L'Allemagne doit-elle relancer sa demande intérieure ? edit
Certains pays européens semblent répéter avec l’Allemagne l'erreur qu’ont commise pendant dix ans les Américains, pour qui la faiblesse de la demande intérieure chinoise était un péché contre le reste du monde. Or il est parfaitement légitime que des pays comme l'Allemagne ou la Chine défendent leurs propres intérêts au lieu de chercher à faire le bonheur du monde. Et c’est aux Allemands, non aux Européens, de décider s’ils veulent conserver un excédent des comptes courants. Reste qu’on peut toujours les aider à instruire la question.
Dans un article publié sur VoxEU, Charles Wyplosz rappelle que l’Allemagne est confrontée aujourd’hui au vieillissement rapide de sa population et qu’elle serait bien avisée d’épargner pendant quelques décennies, le temps d’achever sa transition démographique. Épargner, et donc investir plutôt que consommer.
De fait, c’est bien ce qu’on fait les Allemands depuis une dizaine d’années, en comprimant leur demande intérieure et en investissant massivement à l’étranger. Un coup d’œil sur les données disponibles montre cependant que l'Union monétaire européenne a faussé une partie de ces investissements, en soumettant une partie importante de l'épargne allemande au risque d'être gaspillée. Ainsi, alors même qu'un excédent de balance courante pourrait sembler la bonne politique pour l'Allemagne, les distorsions de ses investissements à l'étranger suggèrent qu’elle pourrait faire fausse route.
Reprenons. Depuis le début de l'Union monétaire, le portefeuille des investissements allemands à l'étranger est passé de 800 milliards de dollars en 2001 à 2150 milliards de dollars en 2008 (les données proviennent de la base construite par Gianmaria Milesi-Ferretti et Philip Lane pour le FMI). Une grande partie de ces investissements a été réalisée dans trois pays d'Europe méridionale, tous trois caractérisés par d’importants déficits des comptes courants (Grèce, Espagne et Portugal). Le total des investissements allemands vers ces pays est passé de 64 à 290 milliards de dollars. Et les investissements réalisés vers ces pays représentaient en 2008 13,5% du total du portefeuille allemand à l'étranger, contre 8,2% sept ans plus tôt. Enfin et pour compléter le tableau, pendant cette période les capitaux allemands ont représenté une source importante de financement pour ces trois pays : environ un quart de leurs emprunts à l'étranger combinés.
Ces données suggèrent que depuis le début de l'Union monétaire l’Allemagne a été un prêteur important pour le sud de l'Europe, et que son portefeuille a évolué significativement en ce sens.
Aujourd'hui, la sagesse de ces investissements semble discutable. La forte croissance espagnole au cours des dix dernières années a été alimentée par une bulle immobilière, et non par une productivité élevée. Quelle que soit la croissance réelle qu’ait connue la Grèce, on sait qu’elle a surtout résulté d’un gonflement du secteur public. Bref, ces pays n’étaient sans doute pas les meilleurs endroits où investir l'épargne des ménages allemands. Pour le dire plus précisément : le rendement des actifs émis par ces pays n'a pas, jusqu'à très récemment, compensé le risque implicite qui leur était associé.
C'est ici que réside la distorsion liée à la zone euro. La monnaie unique a transformé les pays à monnaie faible de l'Europe du Sud en pays à monnaie forte. Cela leur a permis d'émettre de grandes quantités de titres dans le reste de la zone euro sans payer de prime de risque significative.
Au Portugal, par exemple, les emprunts à l'étranger ont principalement financé un boom de la consommation intérieure. Les banques portugaises ont émis des obligations en euros dans la zone euro et elles ont utilisé les capitaux récoltés pour financer au Portugal des prêts à la consommation et des prêts hypothécaires. Avant l'euro, ce n'était pas possible, en tout cas pas dans les proportions que nous avons vues, car les prêts consentis à des banques portugaises aurait entraîné un risque de change significatif.
Dans ces conditions l'Allemagne pourrait maintenir des excédents de compte courant, mais si elle veut éviter de dilapider l’épargne de ses citoyens, il vaudrait mieux cesser de les investir au sud de l'Europe, ou au moins pas dans ces conditions. Et s’il n’est pas possible de modifier les termes de ces investissements, alors il serait peut-être dans l'intérêt de l'Allemagne d’augmenter les salaires et de pousser à la consommation intérieure.
Une version anglaise de cet article est publiée sur le site de notre partenaire VoxEU.
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)