La fiscalité du capital en France reste l’une des plus lourdes de l’OCDE edit
France Stratégie vient de publier sa deuxième évaluation des réformes Macron sur la fiscalité du capital : transformation de l’impôt sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI), instauration du prélèvement forfaitaire unique (PFU) sur les revenus du capital en lieu et place de la taxation à l’impôt sur le revenu (IR) et à la cotisation sociale généralisée (CSG), et (on n’est plus ici dans la fiscalité du capital stricto sensu) baisse de l’impôt sur les sociétés (IS).
On sait que la France avait avec le temps accumulé les prélèvements sur le capital au moment de sa formation, de sa détention, de sa transmission, de son investissement, de sa cession et que le millefeuille fiscal avait abouti à une surtaxation relative marquée du capital par rapport aux pays comparables.
On sait aussi que les travers du système français avaient été aggravés par la réforme Hollande de barémisation de la taxation des revenus du capital (2013).
Décidé à développer l’attractivité de la France, et convaincu que le capital est l’autre nom de l’investissement c’est à dire de l’activité et de l’emploi, Emmanuel Macron avait annoncé cette réforme de la fiscalité du capital dans son programme électoral. Une fois élu, il l’a mise en œuvre en la sachant très impopulaire : les Français en effet sont travaillés par une passion égalitaire et une fixation sur les très hauts patrimoines. C’est pourquoi il accompagna sa réforme d’un discours sur les effets bénéfiques à en attendre à savoir un rebond de l’investissement et une réduction de l’exil fiscal. En France même un président réformateur ne peut s’en tenir à la correction d’une anomalie qui sur la durée produirait des effets vertueux sur la croissance, il doit introduire une forme de conditionnalité.
Le premier rapport de France Stratégie sur cette réforme de la fiscalité du capital, publié l’an passé, manquait encore de recul pour aboutir à des enseignements pertinents. Ce second rapport peut enfin apporter quelques résultats d’évaluations plus affirmés, sans pour autant que le recul soit déjà suffisant pour qu’ils répondent à toutes les questions posées.
La France demeure un pays à forte taxation du capital
Un premier enseignement de ce rapport, déjà fait dans le précédent, est que, même après cette réforme, la France reste l’un des pays avancés où la taxation du capital est la plus forte : « Exprimés en pourcentage du PIB, les prélèvements sur le capital en France – soit l’ensemble des prélèvements sur les ménages et les entreprises au titre d’une détention, d’un revenu ou d‘une transmission de patrimoine – demeurent après les réformes de 2018 parmi les plus élevés en termes de standards internationaux. » En 2018, les prélèvements sur le capital représentent en France 10,8 % du PIB, soit 0,2 points de pourcentage de moins qu’en 2017, ce qui relativise l’ampleur des réformes réalisées. Au sein de l’Union Européenne (UE28), ce taux est en moyenne de 8,5 % et il est supérieur au taux français dans deux pays seulement : le Luxembourg et la Belgique. Il est inférieur à 8 % dans les pays nordiques et scandinaves souvent donnés comme exemple pour leur faible niveau d’inégalités (Danemark, Finlande, Suède mais aussi Autriche et Pays-Bas), et à peine supérieur à 7 % en Allemagne.
En Europe, un prélèvement forfaitaire unique (PFU) sur les revenus du capital est une quasi généralité, le taux français étant plutôt dans la partie haute de la distribution. Même après la transformation de l’ISF en IFI, la fiscalisation du patrimoine reste une quasi exception française. Enfin, Malte est le seul pays où le taux d’IS est plus élevé.
Les taux marginaux d’imposition effectifs (TMIE) sur le capital étaient en France, avant réforme, non seulement au-dessus de la moyenne internationale mais aussi, pour certains actifs, les plus élevés des pays de l’OCDE (produits obligataires, fonds d’investissement…). Les réformes de 2018 ont conduit à les ramener à des niveaux proches de la moyenne sur les actifs mobiliers. Avec la mise en place du PFU et la suppression de l’ISF, la France rejoint de fait la situation majoritaire des pays où les revenus de capitaux mobiliers sont imposés à un taux unique (« flat tax ») et où il n’existe pas d’imposition annuelle sur le patrimoine mobilier.
Ce rapport aux termes mesurés et circonspects a immédiatement suscité des demandes publiques de restauration de l’ISF et de suppression du PFU au motif que le top 0,1% des revenus et patrimoines se serait enrichi du fait de ces réformes. On reste interdits devant des prises de parti d’éditorialistes en vue et d’hommes politiques qui découvrent que la correction d’une anomalie, à savoir la surtaxation du capital, provoque des bénéfices pour le top 0,1% alors qu’on devrait d’abord s’interroger sur l’ampleur de la correction et sur le chemin qui reste à parcourir.
Les comportements affectent les effets redistributifs des réformes fiscales
Un deuxième enseignement important de ce rapport aurait pourtant dû interpeler. La fiscalité influence les comportements des ménages et des entreprises, ce qui rappelle au passage que l’évaluation d’une réforme fiscale ne doit pas se limiter à quantifier de façon statique les transferts de revenus opérés par la reforme. Concernant l’instauration du PFU, le rapport constate une augmentation des dividendes versés et en conséquence un meilleur rendement de la fiscalité des dividendes. Cette divine surprise a eu pour effet de réduire le coût anticipé de la réforme de près de 2,5 milliard d’euros. Et ce coût peut même s’annuler ou devenir un gain dans l’avenir. Le rapport propose une analyse détaillée des effets de la réforme inverse opérée en 2013. Cette réforme avait conduit les petites entreprises familiales à différer les versements de dividendes, avec un rendement fiscal possiblement négatif ! Ce résultat ne peut bien sûr pas être généralisé car des non-linéarités apparaissent selon le niveau de taxation, mais il suggère cependant un rendement nul voire négatif en France d’une augmentation de la fiscalité du capital.
Concernant la réforme de l’ISF transformé en IFI, l’étude de France Stratégie signale de surcroît un autre effet comportemental lié à la mobilité fiscale. La réforme de 2013 a accéléré l’exil fiscal, et celle de 2018 l’a au contraire ralenti, avec à la fois de moindres départs et des retours en France notables. Les chiffres seraient pour l’heure de l’ordre de la centaine mais la preuve est faite, notamment pour la délocalisation fiscale après cession d’un patrimoine professionnel, que la réforme fonctionne.
Quant à la motivation affichée par l’Etat d’un effet favorable des réformes de la fiscalité du capital sur l’investissement privé, rien de probant n’est affiché à ce stade comme il fallait s’y attendre. Et dès lors, l’impact sur la croissance, l’activité et l’emploi ne peut être solidement établi que sur la durée. L’investissement est un choix qui engage sur une période souvent longue, et l’évocation parfois faite d’un possible retour en arrière sur la réforme de l’ISF ne peut qu’inhiber l’effet favorable de la réforme en ce domaine. La menace « si les résultats sur l’investissement ne sont pas au rendez-vous nous reviendrons sur cette réforme » a toutes les meilleures chances de nous priver de ces résultats favorables. La réforme de la fiscalité du capital, qui rapproche seulement en ce domaine la France des autres pays avancés, tout en la laissant dans le petit peloton des pays à forte fiscalité y compris comparée aux pays nordiques et scandinaves, doit être assumée comme pérenne. Ceci afin d’en maximiser les effets favorables ! La crise actuelle liée à la COVID-19 risque de plus de rendre très difficile les évaluations de la réforme sur les prochaines années.
Un point passé inaperçu : la fiscalité du locatif et les politiques de logement
Un autre enseignement du rapport est que « avant comme après les réformes françaises de la fiscalité du capital, la résidence principale apparait comme l’actif le moins taxé (en dehors bien sûr des placements défiscalisés). Cela ne s’observe pas nécessairement dans les autres pays du fait d’une fiscalité plus légère, notamment sur les actifs financiers. À l’inverse, le locatif apparait presque systématiquement comme l’actif le plus taxé. » On lit aussi que « les biens locatifs apparaissent comme l’actif le moins attractif, …, quel que soit le type de contribuable. » Ce constat est important car il interroge sur les politiques du logement en France. Celles, très onéreuses, subventionnant la demande ont des résultats insatisfaisants. Il pourrait être pertinent de les réorienter davantage vers l’offre, où là encore les politiques existantes (défiscalisation dans l’investissement locatif) sont coûteuses et souvent mal ciblées. La disparition simple de l’IFI ou sa concentration dans l’immobilier non locatif seraient à envisager. Outre un probable effet favorable sur le marché locatif, cela rapprocherait davantage encore la fiscalité du capital en France de celles des autres pays avancés.
La question de l’ISF reste un must du débat politique français. Si on y greffe la hausse de la pauvreté du fait de la pandémie, on a tous les éléments d’un cocktail détonant sur les inégalités qui explosent, la sécession des riches, l’exigence de solidarité et donc la nécessité d’une réforme de la fiscalité pour… taxer davantage le capital. Et renforcer ainsi l’idée absurde que la France peut être un « village gaulois » où la taxation diffère nettement de celle des autres pays avancés, sans conséquences néfastes pour la croissance et l’emploi. Ce serait faire le choix d’un décrochage économique et d’un appauvrissement relatif croissant. Le pire n’est hélas jamais à exclure.
Le rapport et l’avis qui en constitue un bon résumé sont téléchargeables sur le site de France Stratégie.
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