Quand les salaires français sont fixés en Allemagne edit
La conclusion est dans ce titre en apparence paradoxal. Pour y arriver, il faut partir du pacte faustien qu’est devenue la zone monétaire européenne : venez, s’il vous plaît, cher pays (disons la Grèce ou le Portugal) ! Passez un examen assez gentillet (le Pacte de stabilité), on fermera les yeux sur le détail de vos comptes ! Vous avez d’un seul coup une monnaie stable, un coût de votre dette réduit de moitié, une capacité quasiment illimitée à l’emprunt public, vos citoyens n’ont plus à emprunter en devise étrangère forte pour chercher des taux d'intérêt plus bas, laissez cela aux Lituaniens ou aux Hongrois ; ils auront leur nouvelle monnaie, toute jolie, toute brillante, l’euro !
On le découvre à présent l’Allemagne avait les habits de Méphistophélès. Méthode allemande : des positions concurrentielles déjà solides, une industrie d’exportation à toute épreuve, et une politique délibérée de désinflation compétitive. Merci à M. Schröder, dont on ne dira jamais assez l’homme politique qu’il a été avec son plan d’ajustement, acceptant pour cela le risque de perdre les élections (il les a perdues). L’industrie allemande grignote ainsi chaque année un point, deux points, trois points d’inflation des prix et surtout des salaires par rapport à ces pays assez benêts ou assez braves pour avoir signé le pacte sans en tirer les conséquences. Pas moyen de s’en échapper, la clé de la dévaluation a été confisquée. Au bout de cinq ans, dix ans pour certains, ouvrez les yeux ! Deutschland AG est dans la place et a repoussé inexorablement l’industrie locale, pas la peine d’accuser la Chine.
Surtout ne pas s’étonner, on connaît le phénomène dans un cadre national : une monnaie, et donc l’euro comme une autre, cela façonne et cela polarise un territoire ! Les entreprises s’installent en région parisienne plutôt que dans le Cantal ; et donc, mêmes mécanismes, les entreprises s’installeront à terme en Rhénanie plutôt qu’en Thessalie ou dans l’Algarve. Ou peut-être, c’est là le danger, qu’en Lombardie ou qu’en Alsace. Mme Merkel s’en défend, indique que tous les autres pays n’ont qu’à copier l’Allemagne et sa vertueuse gestion, mais est-ce si facile ? Qu’elle compare la Pologne, qui prospère dans son rôle d’hinterland de l’industrie allemande, et l’Allemagne de l’est étouffée par les Länder de l’ouest.
Pour parer le danger, il faut déjà connaître les règles du jeu. La France l’avait fait en son temps et avait payé pour cela. Rappelons-nous, c’était la période du franc fort, intelligemment mais durement conduite par la gauche à compter de 1983 : dans une zone économique dominée par l’Allemagne, et avec l’intégration croissante que dans les faits, Union européenne ou pas, connaissait l’Europe, la politique monétaire et de change devenait un privilège allemand, selon des directives fixées à Francfort. Eh bien, ouvrons les yeux, il en va pareillement aujourd'hui, sauf que ce n’est plus seulement la politique monétaire qui est unique, c’est la politique des prix et des salaires.
Désormais, les salaires français seront largement fixés par le patronat allemand, en liaison avec l’IG Metall, le grand syndicat allemand de la métallurgie. On peut s’insurger contre cette perte de souveraineté, mais c’est un fait. On peut débattre du bénéfice collectif du phénomène, indiquer à raison comme Christine Lagarde qu’il faut être deux pour un tango, mais il s’impose. La liberté, disait Spinoza, c’est la nécessité consentie. Il y a bien davantage que les salaires dans l’avantage compétitif de l’industrie allemande, mais autant ne pas rajouter celui-ci à ses très nombreux autres atouts. Selon l’OCDE, les coûts salariaux ont augmenté de près de 30% en France depuis 1996, contre 5% en Allemagne (et 60% en Espagne !).
C’est dans ce décor qu’arrive l’affaire Proglio. Non pas son propre arrangement salarial, une peccadille. Plutôt l’annonce, dès son arrivée, selon on ne sait quel autre arrangement, d’une hausse de 4,4% en moyenne pour les salariés d’EDF. Voici une entreprise, emblématique en France pour sa politique salariale et sociale, qui annonce à l’ensemble des entreprises françaises qu’une hausse de 4,4% des salaires est au fond dans l’ordre des choses. Celles du CAC40 essayent de s’en tenir à des hausses comprises entre 0,5% et 2%, selon le journal Les Echos. Les salaires allemands sont à zéro en 2009 (notamment par la chute de la part variable dans les salaires) et sont sur des normes proches en 2010. Le signal est vraiment désastreux, à la fois pour la contagion directe sur les salaires de l’industrie française et par l’effet indirect sur prix de l’électricité fixée par une entreprise peu concurrencée.
Il est impératif qu’une des cibles majeures de la politique économique française devienne la parité d’évolution salariale avec l’Allemagne. C’est peut-être une mesure déflationniste, mais moins qu’une glissade continue de ses coûts salariaux. Les spécialistes monétaires indiquent qu’une zone monétaire ne peut être viable à terme sans une certaine intégration budgétaire propre à stabiliser géographiquement la conjoncture. Sans doute. Mais on ne corrige pas par des subsides fiscaux ou budgétaires les distorsions de compétitivité ; on ne fait que les rendre tolérables, un peu comme le Cantal se satisfait de sa position économique par rapport à la Région parisienne, ou les Antilles par rapport à la métropole. Il est préférable d’avoir un marché du travail sinon fluide au sein de la zone – l’objectif est très éloigné –, du moins n’enregistrant pas géographiquement d’écart salarial par rapport à la productivité. C’est à ce prix qu’on arrêtera la fuite des emplois industriels vers la Rhénanie.
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