L’impasse grecque edit
Trois collectivités locales ont été autorisées à étaler le remboursement de leur dette à l’Etat et à la sécurité sociale jusqu’en 4144, c’est-à-dire sur près de 20 siècles ! Dans le même temps les créanciers européens de la Grèce consentaient à des mesures de court terme de consolidation de la dette et renvoyaient à plus tard les mesures qui fâchent comme l’abandon de créances laissant le FMI s’interroger sur sa participation au 3e plan d’aide et la BCE sur la reprise de ses achats de dette grecque.
On peut difficilement trouver résumé plus absurde de l'impasse grecque : des administrations locales ou nationales qui affaiblissent leurs fournisseurs ou créanciers en exportant leur insolvabilité, lesquels fournisseurs, à leur tour, reportent leurs problèmes sur un système bancaire déjà affaibli, à la demande d’un État condamné à porter une dette insoutenable, mais dont la fiction maintenue du remboursement bloque la reprise de l'activité économique, condamne les citoyens à une insoutenable pénitence et fait grimper Aube dorée dans les sondages.
Commentant cette situation dont on n’ose rappeler qu’elle broie des vies (… avec la baisse des retraites ou la saisie et la liquidation de logements en cas de défaut), le FMI, la BCE et la Commission Européenne réclament une renégociation de la dette déjà promise mais que l’Allemagne refuse d’engager rapidement, ce qui conduit le FMI à menacer de se retirer du quartet, au désespoir du Bundestag qui voit dans la présence du FMI une garantie de sérieux dans l’administration des plans d’aide.
Pour comprendre cette tragi-comédie et en particulier les raisons pour lesquelles la question de la réduction de la dette est devenue centrale il faut partir de la situation économique actuelle de la Grèce.
Deux trimestres de croissance, une prévision à 2,7% pour 2017, un excédent primaire attendu à 2%. La reprise tant attendue semble enfin être de retour.
Le moteur du tourisme tourne à plein rendement : le malheur des pays victimes du terrorisme ou du chaos des « Printemps arabes » fait le bonheur de la Grèce dont le tourisme, une industrie qui pèse 20% du PIB, progresse en 2016 de près de +6%, par rapport à 2015, une très bonne année déjà.
L’emploi dans le secteur tourisme, hôtellerie, restauration est aujourd’hui supérieur au niveau pré-crise alors que l’emploi total reste inférieur de près de 20%.
Par ailleurs on observe un rebond des indices de production manufacturière et industrielle et une forte reprise de la consommation de biens industriels notamment de véhicules automobiles (hausse de 45% en 3 ans). Même le solde commercial frémit, notamment grâce au volet manufacturier.
Dans le même temps la panne de l'investissement est impressionnante et explique qu’on ne puisse parler d’une dynamique véritable de reprise : l’indice base 100 en 2008 est à 40 aujourd’hui. Il faut dire que les mauvais risques bancaires (non performing loans) sont à près de 40% ce qui n’incite guère les banques à prêter.
L’urgence commanderait donc de lever les derniers blocages et amorcer cette renégociation de la dette qui libérerait l’investissement en offrant aux acteurs économiques la visibilité et la lisibilité qui manquent tant encore aujourd’hui, mais la défiance subsiste. Les réformes toujours annoncées, souvent votées et rarement mises en œuvre en sont la justification, dit-on. Qu’en est-il ?
Des efforts tangibles ont été faits en matière de réformes, de maîtrise des dépenses (retraites, dépenses de santé, rémunération des fonctionnaires) et de rentrées fiscales (TVA). Un train de près de 100 mesures est en cours d’adoption au Parlement. Les doutes légitimes soulevés par les difficultés de mise en œuvre des réformes notamment en matière de privatisations viennent d’aboutir à l’éviction des ministres les plus tièdes à l’occasion d’un remaniement ministériel. Les privatisations programmées sont en cours de réalisation, les intérêts allemands et chinois en sont jusqu’ici les principaux bénéficiaires.
Le point contentieux, encore rappelé par le Président d’Ecofin, est celui du niveau d’excédent primaire fixé à 3,5% que doit atteindre la Grèce à partir de 2018 dans le cadre du 3e plan d’aide (86 milliards d’Euros), niveau que le FMI estime inatteignable sans de nouvelles mesures d’austérité qui ne sont pas souhaitables.
Le paradoxe est qu’aujourd’hui le meilleur allié de la Grèce est le FMI qui était jusqu’ici rejeté par la Grèce. Le FMI qui déclare qu’il ne participera pas au plan d’aide à la Grèce si la solvabilité de long terme du pays n’est pas rétablie après une restructuration de la dette sérieuse et soutenable dans le temps.
Le paradoxe est que la BCE qui tient les clés de la dette grecque réclame aussi la participation du FMI au plan d’aide que l’Allemagne refuse de réviser pour en assurer la viabilité de long terme.
Le paradoxe enfin est que le Bundestag allemand a annoncé qu’il ne soutiendrait pas un nouvel engagement allemand sans la participation maintenue du FMI.
Ce retournement de situation au profit du FMI étonne d’autant plus que le FMI a jusqu’ici accepté la logique de l’ « extend and pretend » c’est-à-dire une logique de plans irréalistes d’aide à la Grèce fondés sur des hypothèses de solvabilité irréalistes.
L’Eurogroupe du 5 décembre 2016 a donc, après avoir mené à bien sa revue des engagements, donné son feu vert à la poursuite du plan d’aide dans son triple volet (réformes économiques, objectifs budgétaires, renégociation de la dette).
Au-delà des mesures de court terme d’aménagement de la dette grecque (par le jeu sur les maturités et les taux) qui aboutiraient à terme selon les experts à une baisse consolidée de 20%, le FMI continue à défendre, sans succès, l’engagement immédiat de négociations pour une réduction drastique de cette même dette.
Trois raisons expliquent la position du FMI.
D’abord le FMI a fait l’objet d’une critique interne sérieuse de ses comportements passés, qui l’aurait poussé à se montrer plus intransigeant à l’occasion des débats sur sa participation au 3e plan d’aide. L’institution de Washington se serait trop engagée sur un seul pays, ne faisant pas partie de surcroît des pays les plus fragiles. Le FMI aurait été capturé par les intérêts européens, affaiblissant gravement sa crédibilité. Le FMI aurait manifesté une tendresse coupable à l’égard de l’Eurozone s’interdisant d’en diagnostiquer les faiblesses constitutives.
Par ailleurs les études économiques menées encore récemment par le FMI le conduisent à rejeter le scénario économique européen de retour à la solvabilité de la Grèce.
Enfin tout engagement européen d’abandon de créances sur la Grèce contribue à sécuriser et à garantir le remboursement de la dette grecque contractée auprès du FMI.
À nouveau les décisions qui fâchent sont renvoyées à plus tard.
L’Europe a une longue habitude des négociations menées au-delà des délais. Elle sait suspendre le mouvement des horloges. Mais ce qui fait la difficulté de l’exercice présent est que la présidence Obama s’achève, qu’elle peut encore faire pencher la balance au FMI dans le bon sens là où une résistance trop obstinée de l’Allemagne nous ferait entrer dans les incertitudes de l’ère Trump. À l’inverse, le calendrier électoral allemand (élections en septembre 2017) pousse à l’intransigeance les négociateurs allemands et contribue à différer davantage la renégociation de la dette.
En 2017, il faudra trouver un nouveau compromis dont le résultat est malheureusement prévisible. En échange de concessions sur un objectif d’excédent primaire révisé à la baisse et donc d’une moindre austérité au delà de 2018, la Grèce prendrait l’engagement d’accélérer ses réformes et le FMI accepterait de rester à bord jusqu’à fin 2017. Mais demander de nouvelles concessions à la Grèce fragilisera le gouvernement Tsipras au moment où une reprise s’esquisse. Ainsi la même erreur que celle qui avait abouti à la chute de Samaras et à l’arrivée de Tsipras est en train d’être à nouveau commise. Pendant ce temps les incertitudes accumulées pèseront sur l’activité et renchériront le coût du quatrième plan d’aide qu’il faudra lancer en 2018 après les élections néerlandaises, allemandes et françaises.
Une fois de plus le refus des créanciers de reconnaître leurs pertes en maintenant artificiellement l’illusion de la solvabilité grecque va continuer à nourrir le scepticisme des investisseurs et la paralysie bancaire. Le maintien de la Grèce sous un régime de surveillance permanente du quartet va nourrir la méfiance des autorités multilatérales à l’égard des gouvernements grecs. Enfin tant que l’UE et le quartet maintiennent des hypothèses irréalistes de croissance er d’excédent primaire, le malheur grec continuera à faire peser de sérieux doutes sur la gouvernabilité de la Grèce et sur la pérennité de l’euro.
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