Le risque-pays victime des révolutions arabes edit
Le printemps arabe a exprimé l’aspiration des populations à une plus grande liberté politique, leur exaspération face à la montée des inégalités sociales dans un contexte d’inflation ; enfin, leur volonté de déloger du pouvoir ceux qui s’étaient emparé de l’Etat pour en confisquer les ressources. Cela modifie-t-il notre perception du risque dans ces pays ?
Certainement. La stabilité politique d’un État n’est plus un indicateur pertinent. De même, les indicateurs macro-économiques, quand ils sont surpondérés, ne sont plus adaptés pour apprécier les risques politiques puisque que ceux-ci ont fait croire à la modestie des risques de ce type en Tunisie ou en Égypte. Aujourd’hui, il faut renverser la méthodologie du risque-pays en accordant une place accrue à des indicateurs qualitatifs comme la qualité de la régulation publique, la transparence et concertation (voice and accountability), lutte contre la corruption, équité et justice, etc.
L’exemple de ces deux pays est éloquent. Dans le cadre de la notation des risques-pays par les assureurs-crédit membres de l’OCDE, ceux-ci se voyaient attribuer, avant le printemps 2011, les notes de 3 pour la Tunisie et 4 pour l’Égypte sur une échelle de risques allant de 1 à 7 (du moins au plus risqué). Dans la classe de risque 3, on trouve aussi des pays tels que le Chili ou l’Inde ; dans la classe de risque 4, on trouve des pays tels que la Lettonie, la République slovaque ou le Mexique.
On aurait ainsi minoré l’importance du degré de redistribution des fruits de la croissance aux populations. Or, la crise économique a exacerbé les tensions dans les pays du monde arabe ; alors même que ceux-ci ont été relativement épargnés par la crise, ils en sortent en étant toujours à l’écart de la mondialisation. L’analyse de la qualité de la gestion économique et politique face à la crise a permis de détecter les premiers signes de détérioration dans des pays comme l’Égypte et la Libye alors même que les membres de l’OCDE maintenaient la même notation. L’analyse récente de la qualité de la gouvernance d’État montre également une dégradation de la situation avant le printemps 2011.
Dès lors, on peut se demander si l’analyse et la mesure du risque politique ne justifient pas davantage la prise en compte et la satisfaction des aspirations socio-économiques et politiques des peuples. Les grèves et les manifestations syndicales qui, à la fin des années 1990, ont conduit à prendre en considération une composante sociale croissante dans le risque politique présenté par les pays producteurs de matières premières ont été une première brèche dans ce sens. La forte inflation qui connaît aujourd’hui la Chine n’est pas non plus neutre sur l’équilibre du pouvoir.
Pourtant, les outils qui permettent de mieux apprécier les frustrations des populations ne sont pas inexistants. Le coefficient de Gini, mesure synthétique des inégalités créée par la Banque mondiale, est un premier outil qui mérite d’être retenu. L’indice de perception de la corruption de Transparency International en est un second, même s’il est communément admis que la corruption est un mal universel. Le Democracy Index, plus récent, mis en place par The Economist, et que l’on peut associer aux indicateurs de bonne gouvernance de la Banque mondiale (Global Governance Indicators) au rang desquels l’État de droit, en est un troisième.
Ce dernier vient quelque peu renverser la philosophie du risque politique qui, à la faveur du Consensus de Beijing, fait de plus en plus abstraction de la nature des régimes politiques des pays émergents ou en développement. Surtout, en intégrant de tels indicateurs dans l’approche du risque-pays dans le monde, on serait amené à complètement rétrograder la notation des BRIC. En matière de corruption, la Chine présente un indice de perception de 3,5 sur une échelle de 0 à 9, zéro étant le niveau le plus élevé. En matière d’inégalité de revenus, sa situation est un peu plus enviable puisqu’elle se situe dans une fourchette de 45-40 sur une échelle comprise en - 25 et + 60. Enfin, en termes démocratiques, la Chine était classée au 136e rang mondial en 2010 par The Economist Intelligence Unit, ce qui la range parmi les régimes autoritaires. Avec ces résultats, on est loin de la bonne notation de la Chine (2 sur une échelle de risques politiques croissants de 1 à 7) dans le classement traditionnel des risques pays. L’exercice de réappréciation des risques politiques n’est donc pas neutre ; il mérite plus que réflexion.
Mais quelle entreprise ne serait pas tentée aujourd’hui par une démarche plus éthique de son internationalisation ? Quelle entreprise ne va pas s’employer à mettre en regard les situations des pays arabes avec celles de ses marchés cibles ? Quelle compagnie pétrolière ou minière occidentale ne va pas davantage lier, à l’avenir, un projet d’exploitation en Afrique à l’appartenance du pays producteur à l’initiative EITI (Extractive Industries Transparency Initiative) ? Là où une entreprise voyait hier de la stabilité – grâce à un code d’investissement qui préserve les revenus des compagnies étrangères sans permettre une véritable redistribution à la population –, certaines pourraient, au contraire, y voir demain une source de risque accru en termes politiques.
Au-delà de ces questions, c’est aussi l’analyse des risques politiques qui devient elle-même plus incertaine. Plus qu’à une réorientation, c’est probablement à une complexification des risques politiques que l’on assiste. Cette complexité avait déjà été mise en évidence par les crises financières asiatiques de 1997-1998 avec l’émergence d’un risque dit « systémique » lié aux systèmes bancaires. Elle a été renforcée par la crise financière et économique de ces deux dernières années, laquelle a déplacé la frontière entre pays industrialisés et pays émergents en la matière, les BRIC étant, désormais, notés de manière sensiblement identique à des pays industrialisés tandis que certains pays européens (Irlande, Grèce et demain peut-être, Portugal et Espagne) sont ou seront classés avec des pays en développement mal notés.
Que dire demain des risques climatiques ou naturels qui, à l’instar du tsunami au Japon, peuvent anéantir un pays en quelques secondes ? Quatre pays (Bangladesh, Pakistan, Philippines et Vietnam), faisant partie des prochains pays émergents (Next-Eleven) identifiés par Goldman Sachs, sont définis comme étant ceux sur lesquels pèse une forte menace liée au réchauffement climatique.
Mais cette complexification du risque politique, elle-même reflet d’un monde qui évolue très vite et de manière complexe, doit peut-être conduire à une analyse plus simple, mais non simpliste : celle des pères du risque politique qui, en ayant moins les yeux rivés sur les indicateurs, avaient une approche presque intuitive des risques.
Finalement, à force de superposer les indicateurs du risque politique et de multiplier les risks solutions dans un contexte de globalisation des problèmes, n’est-on pas en train de réitérer les erreurs des économistes et des financiers qui, en modélisant à outrance l’analyse et en externalisant les sources de risques, n’ont pas vu venir la crise ?
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