Faut-il réduire les charges sociales pour les seniors ? edit
La proposition de réduire, voire d'éliminer, les charges sociales pour les travailleurs les plus âgés a le mérite de reconnaître que leur taux d'emploi est particulièrement faible. Mais ce type de mesure n'est pas idéal. D'aucuns craignent qu'une réforme de nos systèmes de retraites fondée sur un report de l'âge de retraite bute sur cet obstacle.
Tout d'abord, il est paradoxal de vouloir allonger la durée de la vie active pour équilibrer les comptes des systèmes de retraites, et d'exonérer de cotisations (c'est à dire de contributions financières à ces mêmes systèmes) les emplois supplémentaires que créerait cet allongement. De plus, les politiques de réductions de charges ont montré leurs limites : en réduisant les charges sur certaines catégories de travailleurs sans remettre en question le niveau général de redistribution associé à notre État-providence, on ne peut qu'augmenter les charges sur d'autres catégories de salariés et donc convertir certaines trappes en d'autres trappes.
C'est ce qu'on a observé avec les allégements de contributions sociales au niveau du smic. Le prix à payer pour ces allégements a été une progressivité accrue des charges pour les salariés touchant plus que le smic, avec à la clé des conséquences néfastes pour l'acquisition de qualifications et la mobilité professionnelle, et une masse grandissante de salariés « coincés » au smic. Une réduction de charges pour les travailleurs âgés risque fort d'être associée à un report de ces charges sur les catégories de travailleurs déjà lourdement imposés et donc à une aggravation de ce type de problèmes. On a aussi observé, notamment lors de la réforme de la contribution Delalande, que les entreprises sont capables d'arbitrer finement entre différentes catégories de salariés : une baisse des charges à partir de cinquante ans, par exemple, risque de se faire au détriment de l'employabilité des travailleurs de quarante-neuf ans.
Enfin, si la réduction des charges stimule la demande de la catégorie de travailleurs qui en bénéficie, il faut aussi se préoccuper de l'offre. Dans le cas d'un chômeur âgé, l'incitation à reprendre un emploi est faible. On sait qu'à partir d'un certain âge la productivité diminue. Dans un monde concurrentiel, cela devrait se traduire par des baisses de salaires. Mais l'indemnisation d'un chômeur est indexée sur le salaire passé, pas sur le salaire futur. Dans bien des cas, elle sera trop élevée par rapport aux revenus qu'ils peuvent espérer de leur futur emploi, ce qui ne les incite pas à en trouver un.
Pour que ces personnes soient incitées à trouver un emploi, il faudrait reconsidérer l'indexation rétroactive de l'indemnisation du chômage. Il faudrait également qu'ils puissent cumuler une partie de leur retraite avec leurs revenus d'activité pour compenser leur baisse du salaire. On pourrait par exemple leur permettre de puiser (selon leurs besoins et suivant certaines limites) de manière anticipée dans un « compte retraite », de façon actuariellement neutre. Plus généralement, la retraite étant la contrepartie d'une contribution passée, il n'y a aucune raison de lier son versement à la cessation d'activité. Le fait de pouvoir librement cumuler la retraite avec l'activité (y compris après l'âge officiel de la retraite) inciterait de nombreuses personnes à travailler plus longtemps et les finances publiques s'y retrouveraient, tandis que la pauvreté diminuerait.
On peut penser que réduire les charges sur les travailleurs âgés permet de répliquer indirectement et de façon administrée une solution concurrentielle où ceux-ci maintiendraient leur employabilité au prix d'une baisse de salaire mais préserveraient leurs revenus en puisant dans leurs retraites. En effet, la baisse des charges permet de réduire le coût du travail pour l'employeur sans toucher au revenu net du salarié. Mais elle souffre des problèmes mentionnés ci-dessus, en particulier le fait qu'elle doit être financée par une hausse des cotisations de classes d'âge inférieures, ce qui signifie que celles-ci financent le supplément de revenu implicite versé des travailleurs âgés. Tout se passe comme si on avait mis en place une « retraite partielle » avant soixante ans, certes cumulable avec un emploi mais tout de même financée par une hausse de la pression fiscale. Ces inconvénients auraient été évités si l'on avait opté pour le système que j'ai décrit plus haut, qui est également plus souple au regard de la diversité des trajectoires individuelles.
Ajoutons, pour conclure, que le degré d'employabilité d'une certaine tranche d'âge dépend lui-même de l'âge de la retraite. Plus un travailleur est proche de celui-ci, moins il est employable. Aux États-Unis où l'on se retire à 65 ans plutôt qu'à 60, le taux d'emploi des 55-60 ans est très supérieur à la France. Et des comparaisons internationales ont montré que celui-ci est plus élevé dans les pays où l'on prend sa retraite plus tard. Cela signifie que le jour où l'âge de la retraite sera repoussé, le taux d'emploi des travailleurs âgés augmentera mécaniquement sous l'effet des forces économiques. Il faut donc se garder de prendre la situation actuelle comme schéma de référence lors de la mise en place de politiques publiques. Ou, tout au moins, reconsidérer ces politiques après la réforme des retraites.
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