Ce que veut Geert Wilders en Europe edit
Le 22 novembre, le Parti pour la liberté (PVV) de Geert Wilders, parti d’extrême droite, a remporté le plus grand nombre de sièges à la Chambre des représentants des Pays-Bas. Le même jour, le Premier ministre hongrois Viktor Orbán prononçait un discours à Zurich à l’invitation du magazine conservateur Die Weltwoche. Ce dernier événement offre une clé pour comprendre le premier. Orbán a donné un aperçu de ce que Wilders veut faire de l’Europe.
Wilders a gagné le droit d’essayer de former une coalition gouvernementale avec plusieurs partis de centre-droit qui lui ont déjà déroulé le tapis rouge. Il a déclaré à plusieurs reprises par le passé qu’il voulait faire sortir son pays de l’Union européenne. Le programme du PVV prévoit un référendum sur le « Nexit ». Mais comme d’autres représentants de l’extrême droite en Europe, Wilders a compris les leçons du Brexit : les pays qui font cavalier seul dans ce monde turbulent se marginalisent et s’affaiblissent, alors au lieu de quitter l’UE, il vaudrait mieux y rester et la changer de l’intérieur. C’est exactement le scénario qu’Orbán a esquissé à Zurich.
Pour commencer, Orbán s’est excusé auprès du public d’être l’orateur, lui, le dirigeant d’un petit pays, alors qu’en ces temps difficiles il aurait mérité un discours d’un vrai dirigeant comme Konrad Adenauer ou Helmut Kohl – des hommes politiques qui ont dirigé l’Allemagne d’après-guerre avec une boussole morale et politique stable, façonnant la démocratie chrétienne en Europe. Hélas, poursuit Orbán, l’Europe est en déclin. Elle n’a plus d’hommes politiques de ce calibre. Elle a perdu son emprise sur le monde parce qu’elle est dirigée par des bureaucrates infectés par le virus libéral-progressiste, et non par de véritables hommes d’État. Si nous voulons mettre fin à ce déclin, a-t-il déclaré, « nous devons revenir à la culture politique et de leadership européenne classique ». Cela signifierait que les dirigeants nationaux prendraient la barre à Bruxelles, traitant désormais la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, comme « notre employée, notre salariée, dont le travail consiste à exécuter ce que nous décidons ».
Wilders, qui est marié à une Hongroise, est proche d’Orbán. Il lui a rendu visite à de nombreuses reprises. Il sait qu’une grande majorité des Néerlandais n’est pas favorable à un Nexit. 80% d’entre eux pensent que l’adhésion à l’UE est bénéfique pour le pays, ce qui est supérieur à la moyenne européenne de 72%. Aucun de ses éventuels partenaires de la coalition de centre-droit ne prône une sortie de l’UE. De plus, comme Orbán, Wilders considère qu’il n’est pas judicieux que le Royaume-Uni ait quitté non seulement l’UE, mais aussi le marché unique. Orbán a expliqué à son public suisse que les décisions prises à Bruxelles affectent directement la Suisse en tant que participante au marché unique, sans que Berne n’ait son mot à dire sur ces décisions. Raison de plus pour rester et façonner ces décisions de l’intérieur. Pour lui, la souveraineté nationale est essentielle, et elle serait mieux servie en restant dans l’UE. Lorsqu’il s’agit de l’Europe, la souveraineté est également un mot clé dans le programme du PVV. « La coopération intensive entre les pays n’a pas besoin d’une union politique comme l’UE », affirme le programme. Il appelle à une réduction du budget de l’UE et à l’utilisation d’opt-out, par exemple, dans les domaines de l’asile et de la migration. Le soir des élections, à la télévision, Wilders a mentionné le règlement de Dublin (sur l’asile et l’immigration) comme un élément positif de la réglementation européenne qu’il souhaite respecter. Si la réglementation européenne n’est pas bonne, a-t-il ajouté, « nous pouvons toujours la changer pour l’améliorer ». Cela ne ressemblait pas du tout à quelqu’un qui veut quitter l’UE. Au contraire, on aurait dit quelqu’un décidé à rester, et à prendre le volant.
Orbán lui a montré la voie. Le Premier ministre hongrois joue actuellement plusieurs cartes maîtresses à Bruxelles. La Commission européenne refuse de lui verser environ 30 milliards d’euros de subventions européennes, car ces fonds sont liés à des exigences relatives à l’État de droit et à la lutte contre la corruption. Malgré quelques réformes cosmétiques, Orbán ne fait rien pour répondre à ces exigences. Aujourd’hui, il se venge. Il continue de bloquer l’adhésion de la Suède à l’OTAN. Lors d’un sommet européen en décembre, les chefs de gouvernement européens sont censés décider d’entamer ou non des négociations officielles d’adhésion avec l’Ukraine. Dans une lettre envoyée la semaine dernière, Orbán a annoncé qu’il ne voulait pas encore de décision. Il menace également de bloquer l’aide financière et militaire européenne à l’Ukraine, 50 milliards d’euros au cours des prochaines années, plus des achats d’armes conjoints par le biais de la Facilité européenne de soutien à la paix. Enfin, Orbán a signalé que s’il n’obtient pas ses milliards, il tentera d’empêcher la reconduction d’Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission européenne en 2024.
Pendant ce temps, il fait placarder dans toute la Hongrie des affiches représentant Ursula von der Leyen et Alex Soros – le fils de George Soros, nouveau dirigeant des Open Society Foundations fondées par son père – avec le texte suivant : « Ne dansons pas sur leur musique. » Il a également organisé une consultation nationale (non contraignante) sur l’Europe, avec 11 questions plutôt suggestives. L’un des segments concernant l’aide financière de l’UE à l’Ukraine se lit comme suit : « Ils demandent à la Hongrie un soutien supplémentaire [pour l’Ukraine] alors même que notre pays n’a pas reçu les fonds européens qui lui sont dus. » L’une des réponses possibles est la suivante : « Nous ne devrions pas payer davantage pour soutenir l’Ukraine tant que nous n’avons pas reçu l’argent qui nous est dû [par l’UE]. »
Comme Orbán, de nombreux hommes et femmes politiques d’extrême droite en Europe ont conclu que ce n’était pas le moment de quitter l’UE. Même un grand pays comme le Royaume-Uni a perdu de son influence depuis le Brexit. L’économie a pris un coup, l’immigration a doublé, les fonds spéculatifs achètent le pays. De plus, les accords commerciaux avec des pays tiers se sont révélés pires que ceux auxquels le Royaume-Uni était partie par l’intermédiaire de l’UE : des pays puissants comme l’Inde ou l’Australie profitent de l’occasion pour arracher à Londres des concessions qu’ils n’ont jamais réussi à obtenir de l’UE. Comme l’a fait remarquer l’ancien Premier ministre britannique John Major lors d’une conférence en 2020, le Royaume-Uni est une puissance de seconde zone qui a choisi de devenir plus pauvre et plus impuissante – le slogan « taking back control » s’appliquant davantage à l’Europe qu’au Royaume-Uni.
Ce n’est pas un hasard si le Royaume-Uni et la Suisse cherchent à se rapprocher de l’Union européenne en ce moment. La salle d’attente de l’UE est pleine de pays candidats. De nombreux pays dans l’orbite de l’UE ont découvert qu’avec des puissances régionales comme la Russie et la Turquie qui intimident tout le monde à volonté, faire partie d’un groupe plus grand peut leur permettre d’être mangés tout crus avant le petit déjeuner.
Le mantra des nationalistes européens était autrefois : « Nous perdons notre souveraineté dans l’Union européenne, alors quittons-la. » Aujourd’hui, beaucoup réalisent qu’avec l’adhésion à l’UE ils gagnent en souveraineté. Des personnalités comme Orbán soulignent soudain les avantages du marché unique européen, de l’accès à des vaccins achetés en commun, ou du pouvoir de discipliner collectivement des multinationales comme Google ou Microsoft.
Si quelqu’un incarne ce revirement sur l’Europe, c’est bien la Première ministre italienne Giorgia Meloni. Dès qu’elle a pris le pouvoir l’année dernière, elle a commencé à investir dans l’Europe d’une manière que personne n’aurait cru possible. Elle est soudain devenue favorable à l’euro et à la défense européenne, et s’est impliquée de manière constructive dans la recherche d’un meilleur système européen d’asile et de migration. Ce n’est que sur la politique environnementale et les questions culturelles qu’elle est restée archi-conservatrice.
Par ailleurs, Marine Le Pen en France, Matteo Salvini en Italie et Herbert Kickl en Autriche, comme Wilders, semblent tous se rendre compte que, contrairement à ce que dit Orban, les États membres de l’UE ont déjà presque tout le pouvoir à Bruxelles. Et que s’ils sont élus, ils pourront comme Orban jouer de ce pouvoir à leur avantage. Comme le trublion hongrois, ils peuvent renforcer leur position en menaçant de temps en temps d’utiliser leur droit de veto et ainsi prendre tout le monde en otage. Ils peuvent ouvrir leurs portes, comme la Hongrie, à ceux qui cherchent à prendre pied en Europe afin de la miner de l’intérieur. Ils peuvent forcer le Bundeskanzleramt et l’Élysée à enfin prêter attention. En bref, l’adhésion à l’UE permet d’exercer un effet de levier. C’est un outil qui rend les dirigeants nationaux plus grands qu’ils ne le seraient autrement.
Telle est l’Europe cynique sur laquelle travaillent les Orbán, Le Pen, Salvini et Wilders. À Florence fin novembre, lors d’une conférence du groupe parlementaire européen d’extrême droite de Salvini, ils ont accordé à nouveau leurs violons.
Les partis d’extrême droite avaient l’habitude de fulminer contre l’UE et les « eurocrates non élus » de Bruxelles, poussant des intérêts nationaux étroits – et, par conséquent, s’opposant souvent entre eux. Ces divergences sont désormais de plus en plus éclipsées par l’importance nouvelle de certains de leurs thèmes favoris : la sécurité, la défense, la migration et le contrôle des frontières. L’extrême droite ne parle plus seulement au nom de la nation contre l’Europe, a récemment écrit Hans Kundnani de Chatham House ; elle commence maintenant à parler au nom de l’Europe. Cet « ethnorégionalisme », comme il l’appelle, se caractérise par une rhétorique axée sur l’idée d’une « civilisation européenne » en danger.
De fait, le « déclin de l’Europe » est devenu un thème commun aux partis d’extrême droite. À Zurich, Orban a mentionné à plusieurs reprises l’incapacité de l’Europe à exercer une « action autonome et souveraine ». Selon lui, l’Europe est en train de perdre sa place dans le monde. Ensuite, il s’est posé en sauveur – sur les traces de géants politiques comme Adenauer et Kohl.
Le fait qu’Orbán se positionne désormais dans une tradition de centre-droit, et non d’extrême droite, n’est pas accidentel. Cela implique que le barrage entre le centre droit et l’extrême droite, en place depuis des décennies, s’est rompu. Dans de nombreux pays, le centre droit copie le discours de l’extrême droite, désormais mainstream. Aux Pays-Bas, c’est le VVD – le parti du Premier ministre sortant Mark Rutte – qui a rendu le PVV éligible en ouvrant la porte à la coopération. La même chose se produit en Autriche, où le parti d’extrême droite FPÖ a dépassé le parti de centre-droit ÖVP dans les sondages, avec des élections prévues pour l’automne prochain. En Belgique, où les élections auront lieu en juin, une dynamique similaire pourrait se mettre en place. En France, sur un certain nombre de sujets les Républicains, parti théoriquement de centre-droit, sont désormais plus radicaux que le Rassemblement national d’extrême-droite – et ils sont beaucoup plus petits aussi. Pendant ce temps, au Parlement européen, la famille conservatrice qui a été un puissant rempart contre l’extrémisme politique depuis la Seconde Guerre mondiale est également en train de virer à droite. Elle vote contre certaines des lois climatiques du Green Deal qu’elle soutenait auparavant ; elle veut fermer les frontières ; et sur les questions de justice sociale elle prend des positions de plus en plus radicales.
Avec tout cela, les politiciens d’extrême droite comme Wilders ont moins de raisons que jamais de quitter l’UE. Comme l’a dit Orbán à Zurich, « la Hongrie n’est pas le mouton noir mais la première hirondelle… et nous attendons les autres avec impatience. »
La version anglaise de ce texte est publiée par Foreign Policy.
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