Comment relancer l’Europe? Zone euro vs ensemble de l'UE? edit
Macron a prononcé un discours optimiste et volontariste sur l’Europe en septembre 2017 à la Sorbonne. Il n’en soulève pas moins des questions sur la mise en œuvre et sur les priorités. Doit-on approfondir l’intégration de la seule zone euro ou relancer l’Union européenne dans son ensemble et quels projets privilégier ?
Il pourrait être plus facile de développer une relance pour l’ensemble de l’UE, qu’autour de la seule zone euro. Fortement souhaitable du point de vue économique, la relance de la zone euro se heurte en effet à de nombreux obstacles politiques.
La relance de l’intégration des pays de la zone euro
La consolidation de la zone euro est la priorité de la nouvelle politique européenne de la France. Macron déclarait en Janvier 2017, avant même d’être élu : « nous devons reconnaître collectivement que l’euro est incomplet et ne pourra durer sans réformes majeures. Il n’a pas permis à l’Europe de se doter d’une pleine souveraineté face au dollar. Il n’a pas poussé à une convergence entre nos différents États membres. À l’heure actuelle, l’euro n’est qu’un Deutsche Mark en plus faible. Et le statu quo signifierait le démantèlement de l’euro dans les dix ans qui viennent ». Le dernier Conseil européen reconnaissait d’ailleurs lui aussi, s’agissant de la zone euro, que son « architecture actuelle présente des défauts persistants ».
Le constat de Macron sur la non-convergence des niveaux de vie entre les pays de la zone euro est bien argumenté. Le revenu par tête relatif de plusieurs pays de la zone euro n’a pas cessé de baisser par rapport à l’Allemagne : en Espagne de 63% par rapport à l’Allemagne en 2016, contre 76% en 2008 ; en France de 88% en 2016, contre 100% en 2008 et en Italie de 72%, contre 87%.
Pour certains économistes, cette divergence ne peut que s'accentuer car l'unification monétaire a favorisé une spécialisation de la production, différente selon les pays (effets d’agglomération à la Krugman). Le poids de l'industrie manufacturière dans l'économie est de 21% en Allemagne, 15% en Italie, 12% en Espagne et seulement 10% en France et les écarts s’accentuent entre les pays les plus industrialisés et les autres. Avec des conséquences considérables sur la balance commerciale puisque les produits industriels manufacturés représentent plus de 75% des échanges internationaux.
Le président français a proposé pour la relance de la zone euro la mise en place d’un parlement et d’un ministre des Finances de la zone euro, une harmonisation fiscale et sociale et un budget pour la zone euro. Quels sont les soutiens et les oppositions à ces propositions ?
Un parlement de la zone euro ? Cette proposition se heurte à de nombreuses oppositions. Le président de la Commission Européenne, Jean-Claude Juncker, est tout à fait opposé à l'idée de doter la zone euro d'un parlement propre et d’un budget : « nous n'avons pas besoin de structure parallèle ». Le Parlement européen actuel ne veut pas non plus d’un parlement pour la zone euro et enfin, les pays de l’UE non-membres de la zone euro ne veulent pas devenir des citoyens européens de seconde zone et sont opposés à tout renforcement de la zone euro.
Certes, la chancelière allemande assurait au dernier Conseil européen qu’« on peut parler » d'un « ministre européen des Finances » de la zone euro et qu'elle n'avait « rien contre un budget de la zone euro ». Cependant, étant donné les résultats des dernières élections allemandes, il faudra attendre le prochain gouvernement pour y voir plus clair sur la position de ce pays.
L’harmonisation de l’impôt des sociétés : la France, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie veulent ouvrir le chantier de l’harmonisation fiscale et sociale à l’intérieur de la zone euro. Dans la zone euro, le taux d'imposition des profits des sociétés va de 12,5% en Irlande à 34% en France. L'harmonisation de l'impôt sur les sociétés est une proposition de la Commission européenne depuis 2011. Merkel soutient ce projet car il « facilitera les activités des entreprises au sein du marché unique mais elle a souligné aussi que ce « travail… n'est pas simple ».
Pour preuve de la difficulté à déboucher sur une position commune, la proposition de Macron de taxer les géants américains du Net en fonction du chiffre d’affaires par pays s’est heurtée à l’opposition de quatre pays. Ces quatre pays, parmi lesquels trois pays membres de la zone euro (Luxembourg, Malte et Irlande) et Chypre, sont ceux où ces multinationales ont basé leurs sièges et où elles rapatrient leurs profits pour bénéficier des faibles taux d'imposition. Pour la fiscalité, la règle de l’unanimité est de rigueur
La mise en place d’un budget de la zone euro soulève aussi beaucoup de difficultés. En principe, ce budget de zone euro devrait permettre des transferts de richesse des pays les plus riches vers les pays les plus pauvres de la zone euro en cas de choc.
Or, l’opposition à un budget de la zone euro est très forte en Allemagne. La montée d'AfD et le poids du parti libéral après les élections allemandes auront de lourdes conséquences. L’AfD au Bundestag va exercer une pression politique permanente sur la CDU contre toute initiative européenne et Christian Lindner, le leader du FDP, a déclaré « avant d’élargir la zone euro, il faut la stabiliser. Les règles en matière de déficit ne sont toujours pas appliquées réellement et il manque un règlement de faillite des États. »
La gestion du budget actuel de l’UE illustre les difficultés pour trouver un accord entre pays. Ce budget de l’UE est bloqué à 1% du revenu national brut de l’UE et il a fallu deux ans et demi de discussions difficiles pour se mettre d’accord sur le cadre pluriannuel 2014-2020. Comment espérer moins pour un budget de la zone euro ?
Comment sortir de cette impasse ? Un budget de la zone euro est un chiffon rouge pour l’Allemagne et d’autres pays du nord de l’Europe. Il faudrait plutôt éviter le terme de budget de la zone euro, trop sensible politiquement, et réfléchir à des programmes très concrets. Par exemple, il pourrait être plus facile pour l’Allemagne d’accepter un budget en vue d’éviter l’effondrement du système éducatif dans les pays en crise de la zone euro, puisque l’immigration d’Italiens ou de Grecs vers l’Allemagne bénéficie économiquement à ce pays. De même, dans le domaine de la santé, des touristes allemands en Grèce ou en Italie ont tout à gagner à empêcher l'effondrement du système de santé dans ces pays, financer des hôpitaux grecs peut dès lors être justifié.
Relancer l’Union Européenne
Avant l’arrivée au pouvoir de Macron, pour construire l’Europe post-Brexit, Angela Merkel privilégiait l’Europe à 27, pas le noyau dur de la zone euro. La priorité de la chancelière allemande était de préserver l’Union européenne et de revenir à l’approche par petits pas pour renforcer l’Europe dans des domaines comme la sécurité et la défense. L’approche allemande, pragmatique, a toujours favorisé des coopérations renforcées dans plusieurs domaines communautaires. C’est le cas de la défense, de la recherche, du climat ou de l’immigration.
Dans le domaine de la défense, en juillet 2017, Paris et Berlin ont décidé de « développer un système de combat aérien européen » sous leur direction, pour remplacer à « long terme », leurs « flottes actuelles d'avions de combat ». Cet avion verrait le jour vers 2030. Il a aussi été décidé de rapprocher les standards pour les chars, les missiles et de coopérer pour le futur eurodrone. Paris et Berlin ont aussi fixé les critères d'appartenance à la « coopération structurée permanente » des pays européens décidés à renforcer leur contribution à la défense européenne commune.
Dans le domaine de la coopération technologique, en Estonie fin septembre 2017, Macron a poussé le projet de financement d’une agence européenne, dédiée au financement de projets technologiques « comme l’intelligence artificielle ou les voitures autonomes » et cette proposition a reçu, elle aussi, un net soutien de l’Allemagne.
Sur le climat, un programme de recherche conjoint avec un financement déjà décidé a été lancé en juillet 2017, à l’issue d’un Conseil des ministres franco-allemand.
Enfin, pour le développement des start-up dans les nouvelles technologies, la France et l’Allemagne ont aussi confirmé au dernier Conseil européen que ces deux pays mobiliseraient, à travers leurs banques publiques d'investissement, Bpi France et KfW, jusqu'à 1 milliard d'euros
On peut penser que l’Allemagne va donc continuer à coopérer avec la France pour relancer toute une série d’initiatives qui, en principe, sont ouvertes à l’ensemble des pays de l’Union européenne. Ces initiatives seront clairement soutenues par la Commission et le Parlement européen, sans rencontrer d’opposition politique en Allemagne.
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