Un vote contre edit

8 juillet 2024

Hier, le barrage contre le Rassemblement national a bien fonctionné, au-delà même des espérances de ceux qui l’ont édifié. Les projections en sièges fournies par les instituts de sondage annonçant une victoire du Rassemblement national, le second tour a été un référendum pour ou contre lui, où deux des trois pôles se sont unis l’espace d’un instant contre le troisième. Le RN et ses alliés, qui au premier tour arrivaient en tête en suffrages exprimés, se sont retrouvés au second tour loin derrière l’union de la gauche en nombre de sièges.

À peine les résultats connus, les leaders des partis de gauche ont immédiatement réclamé le pouvoir, refermant immédiatement la parenthèse de l’anti-RN et réaffirmant leur hostilité à l’ancienne majorité. Olivier Faure, le Premier secrétaire du PS, comme si de rien n’était, a renvoyé à nouveau dos à dos « l’ultralibéralisme » des macronistes et le « fascisme » du RN.

On est ainsi revenus à la situation politique créée à l’issue du second tour des élections législatives de 2022 et caractérisée par une tripartition des forces politiques, gauches/centre/RN. Seule différence, aucun des trois pôles ne supplante clairement les deux autres et le pôle de gauche arrive en tête, LFI y ayant le groupe le plus nombreux.

Dans ces conditions aucun des trois pôles ne pourra obtenir une majorité pour gouverner, chacun étant rejeté par les deux autres. Nous en sommes là. La situation, déjà très difficile, de l’avant-élections, est désormais caractérisée par un blocage, sans qu’aucune perspective politique ne soit discernable.

Dans ces conditions, on peut à nouveau regretter qu’à la suite des élections de 2022 et de l’installation de la tripolarisation qui en a résulté, les partis politiques n’aient pas changé le mode de scrutin. En effet, dans cette structure, le mode de scrutin majoritaire à deux tours, adopté jadis pour fournir des majorités absolues, ce qu’il put permettre tant que le système fut bipolarisé, ne pouvait plus produire que des majorités négatives. Dans un système tripolaire il peut désormais empêcher la formation d’un gouvernement – vote contre – mais non pas la permettre – vote pour.

Il aurait fallu alors instaurer un mode de scrutin proportionnel qui, non seulement, permettrait une représentation équitable des forces politiques à l’Assemblée, mais encore pourrait, dans une conception parlementaire du fonctionnement du régime de la Ve République, c’est-à-dire celle qu’indique la lettre de la constitution et non pas sa pratique gaullienne, faciliter la formation d’un gouvernement dans la situation actuelle de disparition de la bipolarisation. En effet (voir Telos 10 mai 2024) un parti ne serait pas obligé de nouer des alliances électorales avant le premier tour ou entre les deux tours pour conserver ses sièges ou en gagner. Son autonomie stratégique lui permettrait, après des résultats du tour unique, de ne se préoccuper que de la formation d’un gouvernement, tâche primordiale.

Le problème est que, même si les leaders des différents partis semblaient converger hier soir pour affirmer que désormais la partie se jouerait au Parlement, la république présidentielle paraissant rejetée, beaucoup conservaient néanmoins les réflexes de cette république, et, notamment à gauche, le cadre de pensée de la bipolarisation des forces politiques.

C’était notamment le cas de François Hollande, élu en Corrèze, qui, estimant qu’il n’y avait rien à glaner comme allié au-delà de la gauche, réclamait, comme Jean-Luc Mélenchon et (avec des nuances) Marine Tondelier, la formation d’un gouvernement de gauche et l’application entière de son programme, sans même évoquer sa position minoritaire dans l’Assemblée.

Il n’est donc pas certain que l’adoption de la proportionnelle permettrait une véritable parlementarisation du fonctionnement de notre système politique. Mais au moins elle pourrait faciliter à terme le retour d’une culture parlementaire fondée sur l’art du compromis et non pas sur la confrontation. L’Assemblée elle-même devrait se saisir de cette question avant l’éventuelle dissolution qui ne pourra survenir avant une année.

Le succès du barrage au RN aura un coût qui affaiblira encore notre démocratie. D’une part, les électeurs du RN et ses alliés ne pourront que ressentir de la frustration et du ressentiment contre le système politique alors que le RN est désormais le principal parti en voix, mais non pas en sièges. Rappelons-nous que ce parti a rassemblé une part importante des couches populaires. En outre, le fait que le Premier ministre ait fait voter pour les candidats LFI et que le groupe parlementaire de ce parti soit le principal groupe de gauche à l’Assemblée, alors que Jean-Luc Mélenchon est la personnalité la plus largement rejetée par les Français, ne peut que donner une image négative d’une démocratie dans laquelle pour éviter Charybde on se fracasse sur Scylla.

Les partis entendent désormais redonner au Parlement tout son pouvoir. Mais sont-ils prêts pour autant à jouer le jeu du parlementarisme ? Sont-ils prêts à construire des majorités « pour » plutôt que des majorités « contre », à se donner pour objectif premier la formation d’un gouvernement ayant une assise parlementaire suffisante pour pouvoir gouverner dans la durée ?