La politique étrangère de Trump: sous le chaos, les obsessions edit
Depuis l’origine, la politique étrangère de Donald Trump a été marquée par trois caractères : l’impulsivité, l’incohérence et l’incompétence. Au titre du premier l’on peut citer la place inédite des Tweets dans sa pratique diplomatique, sa polémique avec Kim Jong-un, qui a culminé cet été avec l’appellation de « Rocket man » et la menace à la tribune des Nations-Unies de « détruire complètement » son pays. Incohérente, la politique envers la Russie de Poutine, les ouvertures faites pendant la campagne suivies du maintien des sanctions ; la condamnation de l’attentat au poison innervant de Salisbury de concert avec le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne, que suivent les félicitations solitaires de Trump à Poutine à l’occasion de sa réélection. Au titre de l’incompétence, on peut rappeler que lors de sa première rencontre avec Angela Merkel, Donald Trump lui a longuement proposé de conclure un traité de commerce bilatéral entre les Etats-Unis et l’Allemagne, incompatible avec l’appartenance de celle-ci à l’Union européenne.
Ces trois caractères risquent de s’aggraver avec le renvoi la semaine dernière de plusieurs responsables de politique étrangère qui étaient des facteurs de modération : Rex Tillerson, renvoyé le 13 mars dans des conditions humiliantes et remplacé par Mike Pompeo, issu du Tea Party ; le général McMaster, conseiller de sécurité nationale, qui a démissionné le 17, après que le bruit de sa révocation prochaine par Trump ait été complaisamment répandu par la Maison-Blanche et qui vient d’être remplacé par John Bolton, ce qui est particulièrement inquiétant.
Bolton est en effet un activiste de la droite républicaine, l’un des partisans les plus chauds de l’intervention américaine en Irak, nationaliste hostile à l’ordre multilatéral et aux Nations unies, où il a été ambassadeur quelques mois en 2005-2006 avant que l’administration Bush ne le remplace, sa confirmation par le Sénat se heurtant à une trop forte opposition. Arrogant et brutal, il renforcera les tendances à la manière forte et à l’unilatéralisme de Trump (si ces deux egos trouvent le moyen de coexister ce qui n’est pas garanti).
Ces deux départs font suite à celui de Gary Cohn, le principal conseiller économique de Trump, qui avait démissionné le 6 mars pour marquer son désaccord avec l’imposition par celui-ci de droits sur l’acier et l’aluminium.
Il se confirme ainsi que le président a ses vues, qu’il s’impatiente de toute opinion dissonante, qu’il n’entend pas conserver de conseillers indépendants, fussent-ils aussi loyaux que Tillerson et Mc Master. L’espoir que le parti républicain ou des influences raisonnables au sein de son administration pourraient modérer Trump, dont on pouvait légitimement douter dès l’origine, achève ainsi de se dissiper : c’est bien lui qui décide. Ses nouveaux conseillers vont accroître la confusion, en particulier Bolton dont l’emportement et l’incapacité à travailler en équipe sont notoires, et leur avis n’ira pas dans le sens de la modération.
Ce n’est guère rassurant, et il est d’autant plus important d’essayer de comprendre – au-delà de l’improvisation et de l’incompétence- s’il y a des principes directeurs de Trump en politique étrangère qui permettent de comprendre ce qu’il cherche, et où il va.
Il nous semble qu’on peut identifier des principes au milieu de ce chaos – le mot le plus fréquemment employé par les commentateurs américains pour décrire la présidence Trump et sa politique étrangère en particulier. Ils trouvent leurs origines dans la campagne électorale de 2016 et les sujets de politique intérieure qui ont permis à Donald Trump de s’imposer. Pour lui, la politique étrangère n’est qu’un prolongement de la politique intérieure et, vue sous cet angle, elle s’inscrit dans un cadre cohérent en dépit de ses embardées.
Un prolongement de la politique intérieure
Sur quoi Trump a-t-il bâti sa fortune politique ? Sur le fait qu’il incarnait la colère d’une Amérique marginalisée, victime de la mondialisation, à laquelle il a représenté qu’elle était le jeu de plusieurs forces : l’étranger, un étranger composé d’ennemis avec lesquels Obama avait composé de façon abjecte (l’Iran) ou d’alliés infidèles ne prenant pas leur part du fardeau et abusant de la protection américaine pour agir en concurrents déloyaux ; l’immigration, responsable de la baisse des salaires, et du crime ; les élites en tout genre, en particulier l’establishment washingtonien, les démocrates d’abord, Obama et Hillary la fripouille, mais aussi le vieux parti républicain épuisé, contre lequel Trump s’est imposé ; et, enfin, le politiquement correct qui sape les valeurs et l’unité de l’Amérique, lui interdit de désigner ses ennemis et de combattre à armes égales avec eux.
Ce positionnement de campagne s’est traduit par un appel au protectionnisme et au nationalisme économique et diverses propositions de restrictions à l’immigration. Il s’est traduit dans la forme par un « parler vrai » de politique étrangère, à l’opposé du politiquement correct abhorré, lequel inclut naturellement la diplomatie et ses codes : pour Trump, on est libre de nommer ses ennemis, de les vitupérer dans des Tweets, mais aussi de remettre en cause le statut de braves gens comme Poutine ou Erdogan que le politiquement correct oblige à traiter en adversaires alors que, comme lui, leur seul crime a été de parler vrai et d’agir pour le bien de leur peuple, sans se soucier de ce qu’en pensait Obama ou Clinton.
S’ajoute à cela la détestation d’Hillary Cinton et le souci obsessionnel de déprécier ce qu’a fait Obama : ainsi l’accord nucléaire iranien, un des principaux succès de l’administration précédente, qu’il a qualifié de « pire deal de tous les temps ». Il n’a accepté qu’à contre-cœur de continuer à l’honorer en janvier, au prix de conditions – la négociation dans les quatre mois de restrictions sur le programme balistique iranien – qui montrent bien ce à quoi il incline, c’est-à-dire à s’en retirer : c’était l’issue la plus probable, que la nomination de Pompeo et Bolton rend quasi certaine.
Ainsi, les choix de politique étrangère sont-ils chez Trump inséparables des thèmes intérieurs qui ont assuré son succès. Notons au passage qu’il a fait école et que la contagion de la politique étrangère par le langage et les thèmes populistes est aujourd’hui générale ; l’amortisseur de la diplomatie, qui s’interpose normalement entre les passions intérieures et les relations extérieures, est partout moins opérant.
Cependant, c’est l’axe protectionniste et anti-immigration qui a été le fil le plus constant de la politique étrangère de Trump ; c’est celui qui galvanise le plus efficacement sa base, répond le mieux à sa rage et il le poursuit fidèlement : aussitôt élu, il a suspendu la négociation du traité transpacifique, renégocié l’Alena avec des demandes maximalistes, par exemple que toutes les automobiles produites par les pays de l’Alena aient au moins 50% de contenu américain : même s’il vient d’abandonner cette revendication, ce qui incite à l’optimisme, le doute demeure sur ses intentions réelles et sur l’issue de la négociation.
Les dernières mesures de protection sur l’acier et l’aluminium, annoncées début mars, ont pour base alléguée la « sécurité nationale » des Etats-Unis, clause rarement utilisée qui permet au président de les prendre sans l’aval du Congrès – où les Républicains s’y seraient sans doute opposés. Elle précède l’imposition annoncée de mesures de rétorsion contre les pratiques de la Chine en matière de propriété intellectuelle. De fait c’est sur elle que converge une offensive de Trump dont l’esprit est reflété par un Tweet du 2 mars : « les guerres commerciales sont bonnes, et faciles à gagner. »
Une doctrine?
Cette confusion de la politique commerciale et de la sécurité, du langage de guerre et de l’économie, est une marque de la rhétorique et de la politique de Trump. Elle a été théorisée dans la Stratégie nationale de sécurité adoptée en décembre dernier et dont les têtes de chapitre coïncident fort étroitement avec ses thèmes de campagne : protéger le territoire américain (et donc réviser la politique d’immigration) ; promouvoir la prospérité de l’Amérique (la base de la puissance c’est l’économie, et les Etats-Unis ne toléreront plus les pratiques commerciales déloyales et le pillage de leurs ressources intellectuelles) ; préserver la paix en étant fort (l’Amérique doit se montrer plus forte dans la compétition internationale ; ses alliés, à qui on demandera plus, peuvent amplifier sa puissance) ; promouvoir l’influence américaine (la diplomatie servira à protéger ses intérêts, ouvrir de nouvelles opportunités économiques, et mettre la pression sur ses concurrents).
Doctrine réaliste, où l’économie est centrale, et où la diplomatie et les alliés – d’ailleurs peu évoqués – sont non pas des fins, mais des moyens d’avancer les intérêts américains dans un jeu à somme nulle où tout ce qui n’est pas à l’avantage des Etats-Unis est une perte. Un style qui ressemble aux pratiques d’affaires de Trump : commencer par dire et demander et n’importe quoi, et s’ajuster si ça résiste ; un style utilitaire et sans sentiments, où la loyauté, la fidélité aux engagements, les avantages mutuels et la construction de partenariats sur le long terme n’ont pas leur place.
Certes, Trump est capable de s’émanciper des précédents et des préjugés : il a dit lors de la campagne qu’il était prêt à rencontrer Kim Jong-un, a tenu parole, et rompu avec le dogme diplomatique américain qui était de refuser tout contact direct avec la Corée du Nord. Si Trump, tel qu’il est, sera capable de tirer quelque chose de cette rencontre face à un adversaire rompu au chantage et au brinkmanship (la « politique du bord du gouffre ») est une autre affaire.
C’est néanmoins l’extravagance des positions publiques et des exigences initiales qui domine dans la pratique internationale de Trump. Elle fait craindre le pire. L’absence de scrupules, l’impossibilité de construire une relation de confiance sont patents, de même que le désordre et le découragement de son administration : la réalisation d’une vraie politique, au sens d’un dessein soutenu dans le temps, mené avec ordre et avec de vrais partenaires, est hors de sa portée.
Cette situation présente des risques évidents. Leurs limites ne sont pas à rechercher dans l’entourage de Trump ou le camp républicain, où elles n’ont jamais été bien fortes, et viennent de s’amenuiser encore ; elles se trouveront peut-être chez ses partenaires, mais ils hésitent, légitimement d’ailleurs, entre l’accommodement et la résistance : jusqu’où ira-t-il en cas de rétorsions commerciales sérieuses ? mettra-t-il en cause le système de règlement des différends de l’OMC ? l’Alena ? Combien de temps avant qu’il ne dénonce l’accord nucléaire iranien ?
Il ne suffit pas de se dire que Trump c’est Ubu à Washington ; il faut admettre qu’au-delà de ses extravagances, il y a des idées, ou plutôt des obsessions, et une sorte de méthode : il y a bien une politique étrangère de Donald Trump, qu’il poursuit avec une persévérance indéniable, en particulier le nationalisme économique et le protectionnisme, identifiés à la cause de la sécurité nationale.
Ce n’est pas pour autant rassurant : d’une part parce que sa politique étrangère est contraire aux intérêts et aux conceptions de l’Europe ; d’autre part parce que nul ne sait comment il agira face à une résistance ou une tension majeure ; et enfin parce que la fixité de ses idées, combinée à l’ineptie et à la brutalité de leur mise en œuvre, rend à peu près inévitable l’issue de cette politique, qui ne peut guère se dénouer que dans la déroute ou dans la crise.
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