Le paradoxe des nouvelles radicalités edit
La qualification de Sandrine Rousseau pour le second tour de la primaire des Verts et son étroite défaite devant Yannick Jadot ainsi que la progression rapide des intentions de vote présidentiel en faveur d’Éric Zemmour semblent marquer le réveil du radicalisme politique en France. Quelques exemples permettent de mesurer l’extrême radicalité de leur discours respectifs.
Sandrine Rousseau a déclaré : « Tout notre système économique, social et sociétal est fondé sur le triptyque : nous prenons, nous utilisons et nous jetons. Le corps des femmes, le corps des racisés. Nous ne voulons plus ça et c’est ça la révolution que je vous propose. Pour cela il faudra du courage politique. Et du courage, j’en ai. De la colère, j’en suis remplie. De la radicalité, j’en suis pétrie ! » L’année dernière, elle avait apporté son soutien à la militante indigéniste Rokhaya Diallo qui critiquait le manque de variété de couleurs des pansements : « Votre parole a été pour moi un moment de prise de conscience d’énormément de choses sur l’aveuglement de la domination. Cela m’a servi de mille manières à avancer », avait-elle alors écrit sur son compte Twitter.
Quant à Éric Zemmour, après avoir écrit dans son dernier ouvrage : « La famille de Mohamed Merah a demandé à l’enterrer sur la terre de ses ancêtres en Algérie. On a su aussi que les enfants juifs assassinés devant l’école confessionnelle à Toulouse seraient eux enterrés en Israël. Les anthropologues nous ont enseigné qu’on était du pays où on est enterré. Assassins ou innocents, bourreaux ou victimes, ennemis ou amis, ils voulaient bien vivre en France, faire de la garbure en France ou autre chose, mais pour ce qui est de laisser leurs os, ils ne choisissaient surtout pas la France, étrangers avant tout et voulant le rester par-delà la mort. », il ajoute sur France 2, en réponse à Léa Salamé : Maintenant je le dis, je ne reproche pas aux parents de Mohamed Merah d’avoir voulu enterrer leur enfant en Algérie, ils se sentaient algériens. Je ne reproche pas à ces parents juifs. [Léa Salamé le coupe : mais vous remettez en doute leur appartenance à la France ?] Oui. Je dis qu’il y a là un problème qui se pose à nous [...] Le drame français est qu’on ne fait plus de Français ».
À côté de ces discours, ceux de Jean-Luc Mélenchon et de Marine le Pen pourraient sembler presque modérés. Que signifie donc l’apparition de ces nouvelles radicalités ? Au premier coup d’œil, on serait tenté d’y voir un mouvement de repolarisation politique de la France à partir des thèmes qui structurent ces deux discours radicaux.
Le paradoxe
Une telle interprétation se heurte au développement d’un autre phénomène politique concomitant. Depuis une dizaine d’années, l’électorat français a opéré un mouvement de recentrage politique mesuré à partir de ses déplacements sur l’axe gauche-droite. C’est ce que montre le tableau 1 tiré de l’enquête de l’IFOP de juillet 2021. En 2014, 29% des personnes interrogées se situaient au centre gauche ou au centre droit, en 2021 elles sont 46%. Comment expliquer un tel paradoxe ?
Notre réponse est que ce paradoxe n’est qu’apparent. Le modérantisme accentué de l’opinion française a contribué à l’élection de Macron et cassé le duopole PS/LR et donc la capacité du clivage gauche-droite à organiser le fonctionnement du système politique, capacité qui reposait sur une situation où il existait dans chaque camp un parti dominant électoralement et pouvant à la fois apparaître comme un parti de gouvernement et bénéficier de larges reports de voix provenant de son camp au second tour. La fragmentation du système partisan et la perte par les anciens partis de gouvernement de leur position dominante ont ouvert à la périphérie de ce système un espace pour l’apparition de ces nouvelles radicalités, espace que LFI et surtout le RN n’occupaient pas assez solidement.
Il est intéressant de faire ici le parallèle avec les transformations survenues aux États-Unis au cours des dernières années. Sandrine Rousseau adhère à l’idéologie woke qui a restructuré la gauche du parti démocrate tandis que Trump, dont se réclame Zemmour, a transformé le parti conservateur en un parti raciste et antidémocrate. La grande différence est que les évolutions se sont produites au sein des deux grands partis alors qu’en France la fragmentation du système partisan a favorisé une autonomisation des nouveaux radicalismes. C’est donc, dans un système atomisé qu’ils se sont manifestés à travers de nouvelles figures.
Une fausse symétrie
Le réveil des radicalités aux deux extrêmes du champ politique ne doit pas laisser penser que les deux phénomènes possèdent un égal pouvoir disruptif sur le système politique français. Il s’agirait d’une fausse symétrie. Sandrine Rousseau a été battue au second tour de la primaire par Yannick Jadot qui se réclame d’une écologie de gouvernement. Certes, elle a obtenu 49% des voix, ce qui atteste l’existence d’un fort courant radical au sein des Verts, mais les sondages présidentiels ne lui donnaient pas plus de 3% au départ et c’est désormais Jadot qui a la main.
La situation est profondément différente à l’autre extrême. Le sondage Harris du 29 septembre donne 16% à Marine Le Pen, 14% à Xavier Bertrand et 13% à Éric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon. La candidate du Rassemblement national a perdu douze points entre juin et septembre et Bertrand trois de juillet à septembre. Au point qu’aujourd’hui, il n’est pas possible de prévoir qui affrontera le président sortant au second tour de la prochaine élection présidentielle. L’effet disruptif de l’apparition de cette nouvelle radicalité peut être extrêmement puissant dans la mesure où Zemmour prend des voix à la fois à la droite et à l’extrême-droite, jetant ainsi un pont entre deux électorats qui, jusqu’ici, soutenaient des partis en conflit. Cette enquête contient en effet une information importante : les électeurs de Fillon de 2017 sont un quart à vouloir voter Zemmour et seulement 2% Le Pen en 2022 (tableau 2). Quant aux électeurs de Marine Le Pen de 2017, 19% d’entre eux choisissent également Zemmour.
Il est possible que le siphonage par ce dernier de l’électorat de LR et du RN se poursuive dans les mois à venir. Ce serait alors la structuration même des électorats de droite et d’extrême-droite qui pourrait connaître une profonde transformation. Si l’élection présidentielle de 2022 doit provoquer un mouvement d’ampleur de la tectonique des plaques politiques, c’est donc de ce côté du paysage politique qu’il se produira.
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