Les deux gauches: deux candidats au banc d’essai edit
Sur Telos et ailleurs, Gérard Grunberg développe le thème des deux gauches: celle qui entend gouverner et celle qui entend s’opposer au gouvernement. Ce prisme permet d’analyser la primaire. Au vu des programmes économiques des candidats, c’est la gauche d’opposition qui, seule, est en piste.
Manuel Valls nous dit qu’il a changé, et c’est vrai. L’ancien pourfendeur de la gauche d’opposition semble avoir tiré une étrange leçon de son passage aux affaires. Celui qui pourfendait jadis les vaches sacrées du PS en est devenu le défenseur. La sécurité sociale à la française est non-négociable, la fonction publique est l’avenir de la croissance, pas question de toucher aux 35 heures, ni au code du travail. Certes il propose de réintroduire la défiscalisation des heures supplémentaires, le moyen ingénieux qu’avait trouvé Sarkozy pour émasculer les 35 heures, mais à part ça ? Un petit catalogue de petites mesures, dans le droit fil de ce qu’il a fait à Matignon, quand on le croyait bridé par Hollande. Un peu de gauche d’opposition avec la promesse de « revenu décent », d’ailleurs bien vague, la hausse des salaires des enseignants, ou la préférence pour les PME en matière d’achats publics. Un peu de gauche de gouvernement avec la baisse des prélèvements obligatoires et l’engagement de ne plus toucher à la fiscalité des entreprises. Au final, le mieux que l’on puisse entrevoir, c’est de la gauche gestionnaire. Comme si tout allait bien.
Arnaud Montebourg, lui, n’a pas changé. Sa vision reste solidement ancrée dans la pensée collectiviste et étatique du XIXe siècle. Il veut mettre les banques au pas, si besoin en les nationalisant. Il propose « d’exercer un influence patriotique » au sein des conseils d’administration des entreprises du CAC 40 et de limiter autoritairement les salaires de leurs patrons. On a déjà essayé tout ça un peu partout au XXe siècle, ça n’a pas marché, et c’est un euphémisme. Il semble aussi croire que l’État doit être le grand stratège économique. Cette vision léniniste s’est effondrée à chaque fois qu’elle a été mise en place, tout récemment encore au Venezuela. Choisir les secteurs d’avenir est diablement difficile. Des millions d’entrepreneurs ne pensent qu’à ça de par le monde. Ils y consacrent leurs vies et leur argent. La concurrence est intense et impitoyable. Les fonctionnaires et les politiques, eux, pensent à bien autre chose et ils y consacrent l’argent des autres, les contribuables. Soutenir les entreprises, c’est toujours miser sur un cheval qui a déjà perdu. Un exemple en cours : Sarkozy a « sauvé » Alstom, Montebourg a organisé son dépeçage quand ça n’a pas marché, gardant « astucieusement » ce que le secteur privé ne voulait pas, et Hollande a « sauvé » ce qui reste en main publique en commandant des TGV destinés à rouler à petite vitesse. Quelle stratégie !
Il invoque Trump pour défendre le protectionnisme, ignorant superbement tout ce que l’on a appris sur le commerce national depuis des décennies. De fait, l’ouverture économique a été une des sources majeures de croissance dans le monde entier, en Europe bien sûr, mais aussi sur tous les continents. Même le parti communiste chinois a changé d’avis depuis Deng Xiaoping, avec des résultats spectaculaires. C’est vrai que le commerce crée des inégalités et que l’on a oublié de s’en préoccuper pendant très longtemps. Aujourd’hui, les perdants de l’intégration économique sont fâchés, et ils ont mille fois raison. Mais on n’interdit pas les voitures parce qu’elles font des accidents, on établit un code de la route et on instaure des assurances obligatoires. Il est grand temps de proposer des solutions pour dédommager les perdants, ceux du passé et ceux du futur, en approfondissant l’intégration économique.
On attendait les candidats sur deux thèmes : les finances publiques et l’Europe. Sur le premier sujet, on ne dira jamais assez le désastre qu’a été la politique d’austérité. Réduire les déficits en période de croissance anémique a pour effet principal de créer de la récession. Souveraine en matière budgétaire, la France a subi la pression de l’Allemagne. C’est pour cela sans doute que Manuel Valls a du mal à jeter la rigueur aux orties. Il faut reconnaître à Montebourg qu’il bataille depuis longtemps contre l’austérité et là, par bonheur, il ne dévie pas. Mais il ne dévie pas non plus sur la manière d’utiliser les degrés de liberté qu’il se donne. Si baisser la CSG est une bonne idée (mais alors comment financer la sécurité sociale ?), engager des dépenses supplémentaires est l’exact opposé de ce qu’il faut faire. Il faudra bien un jour que la gauche comprenne que les dépenses publiques françaises sont excessives et inefficaces.
L’Europe est en crise, comme jamais depuis sa création en 1957. Elle va devoir évoluer et il est intéressant de savoir quelle pourrait être la contribution de la France, elle qui a joué un rôle majeur dans les étapes précédentes. Mais il y a bien longtemps que l’influence de la France s’est dramatiquement amenuisée. Son déclin économique explique sa perte de prestige, mais il y a beaucoup plus. Année après année, et président après président, la France continue de faire des propositions qui n’intéressent personne. Le gouvernement économique, le contrepoids social au volet économique, la défense acharnée de la PAC, sont des sujets classiques à Paris mais qui restent parfaitement inaudibles ailleurs. Montebourg enfourche ces montures épuisées et se réfugie dans des slogans creux sur un nouveau Traité de Rome et une augmentation généralisée des salaires. Valls ne fait pas mieux avec sa promesse de révision (non explicitée) du Pacte de Stabilité, d’instauration d’un SMIC européen et de refondation du modèle social. Rien de cela n’aura lieu.
Depuis l’avènement de la Ve République, la gauche a été trois fois aux affaires. Mitterrand a commencé par dérouler une politique économique marxisante, et il s’est fracassé sur les réalités économiques. Après quoi, il s’est occupé d’autre chose que d’économie. Jospin a essayé un peu de réalisme, mais la gauche ne lui pas pardonné d’avouer publiquement que « l’État ne peut pas tout » et il n’a pas franchi le premier tour des élections en 2002. Hollande a suivi la stratégie de son maître, Mitterrand, avec les résultats que l’on sait. Même s’il s’est ensuite ravisé, trop peu, trop tard, il s’est parfaitement décrédibilisé. Quelle leçon en ont tirée les candidats à la primaire ? Aucune. Ils font de la politique. Ils s’adressent à cette partie de l’électorat de gauche qui semble n’avoir pas non plus tiré de leçon des expériences précédentes. À cajoler la gauche d’opposition, les candidats s’assurent que la gauche retournera dans l’opposition, quel que soit le vainqueur des primaires.
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