Les impasses de la diplomatie Obama edit
On a coutume d’opposer les bons résultats de Barack Obama en matière de politique étrangère à ses résultats plus mitigés sur le front intérieur. Pourtant, même dans ce domaine, les résultats ne sont guère au rendez-vous.
Tout dernièrement, Barack Obama annonçait le retrait définitif des troupes américaines d’Irak en décembre 2011. Il s’agit a priori d’une bonne nouvelle, mais ce résultat est plus ambigu qu’il n’y paraît. En effet, l’administration américaine a vainement cherché à maintenir des troupes au-delà de 2011. Moins par volonté de puissance que par crainte de voir l’Irak plonger dans l’instabilité sans pouvoir y intervenir. Or, la paralysie du système politique irakien est aujourd’hui totale compte tenu des dissensions qui le fracturent .Ce dernier est divisé entre chiites et sunnites, entre sunnites et chiites face aux Kurdes ; entre chiites, entre forces laïques et forces plus religieuses, entre partisans d’une relation étroite avec l’Iran et nationalistes arabes. Certes, cette paralysie peut s’interpréter comme l’illustration d’un jeu démocratique où chaque force tente de faire valoir son propre point de vue. Mais elle est également révélatrice de l’immense difficulté pour ce pays à trouver une stabilité sept ans après l’invasion américaine. D’où la volonté des États-Unis d’y maintenir entre 3000 et 5000 hommes et d’établir de solides antennes consulaires de plusieurs centaines de personnes à Kirkouk et Mossoul, lieux de tension extrême entre chiites et sunnites à propos du partage de la rente pétrolière.
Certes, les autorités irakiennes n’étaient pas défavorables à cette solution. Mais elles ont eu du mal à assumer politiquement ce choix en raison des très fortes sensibilités nationalistes qui existent en Irak et des oppositions plus ou moins opportunistes au maintien de la présence américaine dans ce pays. Il est d’ailleurs fort à parier que l’Iran a exercé une influence substantielle sur les forces irakiennes proches de lui pour inciter Bagdad à ne pas accepter le principe d’une prolongation de la présence militaire américaine. Toujours est-il que les négociations entre Bagdad et Washington ont achoppé sur un point essentiel : le statut juridique des forces américaines.
Pour les États-Unis, il est hors de question que ses troupes soient soumises à une juridiction irakienne tandis que pour les Irakiens il était inacceptable qu’elles puissent s’y soustraire. Ce départ d’Irak a pour les États-Unis un goût amer. D’une part parce qu’ils se ne sont pas parvenus à véritablement stabiliser le pays et d’autre part parce qu’ils y conservent une influence limitée. Ce n’est pas fréquent dans l’histoire d’une grande puissance ayant envahi ou libéré un État. Certes, l’intervention américaine en Irak a profondément modifié la géopolitique de la région. Mais pas forcément dans le sens des intérêts américains.
L’autre grand enjeu auquel Obama a beaucoup consacré d’énergie a été la gestion du dossier pakistanais, indissociable du dossier afghan. Trois ans à peine après avoir tenté de redéfinir les termes de la relation américano-pakistanaise, les deux pays se trouvent plus que jamais pris dans une incompréhension profonde. Washington reproche fréquemment à Islamabad de ne pas contrôler les talibans qui combattent ses forces en Afghanistan et affaiblissent le régime Karzai. Mais si les Pakistanais ne parviennent pas à satisfaire les attentes des Américains c’est tout simplement parce que leurs objectifs sont fondamentalement différents. L’Afghanistan n’est pour le Pakistan que le sous-produit de sa stratégie indienne. Une stratégie dans le principe cardinal est d’affaiblir l’Inde par le truchement de forces asymétriques au Cachemire ou en Afghanistan.
Naturellement, cette stratégie demeure périlleuse pour Islamabad car elle conduit le régime à soutenir les talibans afghans tout en combattant les talibans pakistanais qui menacent son pouvoir. Or chacun sait que l’étanchéité entre les deux forces est pour le moins faible même si chacun conserve son autonomie d’action. Mais à tout prendre, les Pakistanais jugent cette stratégie préférable à une stratégie de soutien aux États-Unis qui présentent le défaut de ne leur offrir aucun avantage tangible dans leur confrontation avec l’Inde.
Ce point fondamental est très souvent oublié. Au début de son mandat, Barack Obama avait clairement admis que sans déblocage des relations indo-pakistanaises sur le Cachemire, les relations avec le Pakistan ne progresseraient pas. Or sur ce plan les Américains ne sont parvenus à aucun résultat. Les Indiens sont farouchement hostiles à toute médiation américaine et s’appuient sur les fameux accords de Simla de 1972, par lesquels Indiens et Pakistanais s’engageaient à régler le problème du Cachemire sur une base strictement bilatérale. Washington n’a donc pas insisté, d’autant que sur un plan stratégique global sa relation avec Delhi est infiniment plus importante que celle qui la lie au Pakistan. Face à la Chine, l’Inde constitue un contrepoids qui explique d’ailleurs pourquoi les États-Unis poussent en faveur de l’admission de l’Inde en tant que membre permanent du conseil de sécurité.
La mort de Ben Laden n’a pas arrangé les choses. Cette victoire américaine a été vécue comme une véritable humiliation politique par les autorités d’Islamabad qui n’ont pas été préalablement informées de l’intervention américaine. Paradoxalement, la perspective de retrait des troupes américaines d’Afghanistan prévue pour 2014 accentue la tension entre les deux pays. Les Américains cherchent à atténuer la valeur de nuisance du Pakistan sans trop y croire, tandis que les Pakistanais veulent plus que jamais se préparer à gérer en position de force le retrait américain d’Afghanistan. Leur crainte est en effet qu’après leur départ, les Américains soient tentés de durcir le ton vis-à-vis d’eux ou de leur imposer des sanctions comme ils le firent dans les années 1990 après l’invasion de l’Afghanistan par les soviétiques. Mais là encore, on voit bien que l’intervention américaine en Afghanistan n’a probablement aucune chance de régler les problèmes structurels de ce pays.
Reste un troisième problème : le règlement du conflit Israël-Palestine. Le président Obama avait au départ placé la barre très haut, en exigeant notamment de la part d’Israël le gel de la colonisation sans se demander comment il parviendrait à arracher une telle concession à M. Nétanyahou, revenu au pouvoir en 2009. Dans un premier temps, les États-Unis ont eu la naïveté de croire que leur stratégie était payante puisqu’Israël accepta de geler pendant dix mois les colonies en Cisjordanie (mais pas Jérusalem est). Mais cette concession s’est révélée extrêmement limitée. Au lieu de capitaliser sur cette première concession pour relancer la négociation israélo-palestinienne qui bénéficiait d’ailleurs d’une base relativement sérieuse : le protocole Olmert -Abbas consécutif aux rencontres d’Annapolis sponsorisée par l’administration Bush, Washington n’a pas persévéré.
En fait, les contraintes de la politique intérieure américaine ont très vite conduit Obama à réduire ses ambitions et à revenir à une gestion des petits pas préconisés depuis 20 ans, avec le succès que l’on sait, par Dennis Ross, principal architecte de la politique américaine au Moyen-Orient.
Certes, en mai dernier le président Obama a dans une déclaration consacrée au printemps arabe réaffirmé l’attachement des États-Unis à un règlement prenant comme base les frontières du 4 juin 1967. Mais cette déclaration audacieuse a été une semaine plus tard très sérieusement atténuée par un discours très pro-israélien devant l’AIPAC. Le coup de grâce a été donné par Obama en septembre dernier devant les Nations unies. Il a fait valoir que seule une solution négociée entre les deux parties pourrait régler le problème et cela sans interférence de l’ONU. Or outre le fait que ces déclarations contredisent totalement ses propos antérieurs elles offraient l’inconvénient majeur d’être très contestables. C’est en effet grâce l’implication directe et volontaire des États-Unis que les accords de Camp David de 1978 ont pu être signés. C’est également grâce aux efforts des États-Unis que la conférence de Madrid en 1991 a pu se tenir. C’est enfin grâce aux efforts américains que la conférence d’Annapolis a permis à MM. Olmert et Abbas d’aller très loin dans la négociation. Une négociation obérée par un facteur essentiel : la défaite électorale de M. Olmert.
Il apparaît ainsi qu’Obama souffre très clairement de ne pas forcément avoir de vision stratégique globale, déficit que l’absence dans son entourage de véritable concepteur en matière de politique internationale ne peut qu’accentuer.
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