Les partis de gouvernement saisis de panique edit

13 mars 2017

La perspective de plus en plus crédible de l’élimination, dès le premier tour de l’élection présidentielle, des candidats des deux partis de gouvernement au profit de Marine le Pen et d’Emmanuel Macron est en train de produire de dangereux dérapages dans la campagne présidentielle. La panique qui semble s’emparer de ces deux partis les conduit en effet à faire du leader d’En Marche leur ennemi principal.

Ainsi, Vincent Peillon, déjà sollicité pendant la primaire socialiste pour détruire la candidature de Manuel Valls, réapparaît pour tenter de démolir celle d’Emmanuel Macron. Reprenant à son compte le slogan du FN sur l’UMPS, il l’applique au mouvement de ce dernier, estimant que la présence autour de lui de membres du PS et de l’UMP est aussi clairement prouvée que l’existence des chambres à gaz ! Selon lui, En Marche ne préfigure pas une véritable recomposition du système politique français et ne fait que créer la confusion. Or, affirme-t-il, « c'est précisément dans le ventre de la confusion que les monstres se préparent ». Ce mouvement, ajoute-t-il, « représente exactement ce ni droite ni gauche qui, depuis la fin du XIXe siècle, est le thème majeur de l'extrême-droite française ».

Quant aux Républicains, une caricature de Macron mise sur leur site avant d’en être retirée, le représente en smoking et haut de forme, avec un nez crochu, en train de couper le bout de son cigare avec une faucille, reprenant ainsi les caricatures de l’extrême-droite antisémite des années trente qui voulaient montrer ainsi la collusion entre le capitalisme et le communisme, collusion incarnée par le juif.

Ces dérapages prouvent assez la crainte qui a saisi les deux partis ayant alterné au pouvoir depuis 1981. L’un et l’autre tentent de repousser Macron dans l’autre camp afin de préserver le clivage gauche/droite autour duquel ils ont structuré leur opposition et leur domination depuis plusieurs décennies. Pour Hamon, Macron est à droite et peu différent de Fillon. Pour Fillon, Macron est à gauche et l’héritier de François Hollande. Mais en même temps, et contradictoirement, l’un et l’autre entendent dénier au partisan du « ni gauche ni droite » toute crédibilité pour obtenir une majorité législative et gouverner le pays. « On voit bien ce qui se joue et qui est extrêmement grave, a déclaré Benoît Hamon, c'est la disparition des forces politiques traditionnelles qui structurent la vie politique, et après, c'est l'aventure du ni gauche ni droite. Vous imaginez le jour d'après ? »  Il va jusqu’à affirmer que « le projet d’Emmanuel Macron, c’est le marchepied du Front national. »

Selon les candidats du PS et de LR, seul le maintien du clivage gauche/droite peut empêcher la victoire de Marine Le Pen. Le problème est cependant qu’à eux deux, ces candidats ne rassemblent aujourd’hui, selon les sondages, qu’un tiers des intentions de vote. Le candidat socialiste n’a pratiquement aucune chance d’être qualifié pour le second tour tandis que celui de LR n’a qu’une chance réduite de l’être. Il leur est donc difficile de convaincre les électeurs qu’ils peuvent seuls vaincre le FN alors que Macron est celui qui semble le mieux placé pour l’emporter sur Marine Le Pen.

Le clivage gauche/droite ne pourrait retrouver sa capacité à organiser le fonctionnement de notre système politique que s’il se nouait à droite une alliance entre tout ou partie de LR et le FN tandis que Macron recomposerait une gauche positionnée au centre-gauche avec le PS et les centristes. Nous en sommes loin pour le moment, le paysage politique et électoral étant éclaté en au moins quatre segments dont aucun ne veut s’allier avec l’un des trois autres. Dans ces conditions, le clivage gauche/droite ne peut demeurer le clivage politique dominant.

 

D’où l’approfondissement actuel d’un clivage concurrent, le clivage que je nomme Européisme/Souverainisme. Ce clivage correspond mieux que l’autre aux grands enjeux politiques qui divisent actuellement notre société : la question de la politique économique, la construction européenne et la relation avec l’Allemagne, la politique migratoire et celle de l’intégration et donc la question de l’identité nationale. Ce clivage, orthogonal au clivage gauche/droite, provoque une fracture au sein de la gauche comme au sein de la droite. Du coup, chacun des deux partis de gouvernement subit les effets des forces centrifuges qui s’exercent à la fois vers la gauche et vers la droite, pour le PS vers Mélenchon et Macron et pour LR vers Macron et Le Pen, mettant ainsi en péril leur unité. Ce nouveau clivage s’incarne à l’occasion de l’élection présidentielle dans l’opposition entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Occupant pour l’instant dans les sondages d’intentions de vote présidentiel les deux premières places et totalisant autour de 50%, l’opposition entre ces deux candidats conforte l’enracinement de ce clivage. Si le second tour de l’élection présidentielle les oppose effectivement, les deux partis de gouvernement risquent fort d’exploser, soit entre les deux tours soit à la veille des élections législatives.

En dépit de tout ce qui les oppose, il existe ainsi une profonde similitude dans les crises qui frappent aujourd’hui le PS et LR. Malgré leur espoir de préserver à la fois le clivage gauche/droite et leur domination dans leur camp, ils se voient confrontés à la nécessité de s’adapter à la nouvelle donne politique qui résultera de leur éventuelle élimination au soir du premier tour. Le PS, en faisant de Macron son ennemi principal, est déjà en train de se fracturer de manière sans doute définitive. Quant à LR, face à l’éventualité d’un second tour Macron/Le Pen, il risque fort de subir le même sort. La différence est pour l’instant que l’élimination de Fillon n’est pas encore certaine contrairement à celle d’Hamon. Seule une qualification et une victoire du candidat LR au second tour de l’élection présidentielle pourraient faire obstacle, mais pour combien de temps, à la domination progressive du nouveau clivage. Un duel Macron/Le Pen au second tour affaiblirait en revanche de manière décisive l’emprise du clivage gauche/droite sur le fonctionnement de notre système politique. Ce système pourrait connaître alors des changements aussi fondamentaux que ceux qui se sont produits en 1958 et qui ont marqué la fin de la IVe République.