M. Hollande, encore un effort! edit
Affligé et humilié par l’état de la gauche, François Hollande a réaffirmé le 10 octobre dans une interview à Nice Matin son hostilité à la NUPES et en particulier à LFI dont il a fustigé les positions et il a appelé à la reconstitution d’une force socialiste. À travers ses critiques, c’est Olivier Faure, le Premier secrétaire du PS, qu’il visait d’abord dans la perspective du prochain congrès. « Quand on a depuis cinq ans la responsabilité d’un parti et qu’on n’est même pas capable de se défendre, de présenter une candidature aux élections européennes, même pas capable d’avoir un programme crédible pour la présidentielle, on se tait et on laisse sa place », t-il déclaré, officialisant ainsi la lutte sans merci qui l’oppose au chef du parti.
François Hollande a de bonnes raisons de condamner la quasi-fusion du PS avec la NUPES, qui constitue aujourd’hui la stratégie d’Olivier Faure. La soumission au leadership de Jean-Luc Mélenchon rompt avec les valeurs du PS. Ce parti sort aussi de l’ambiguïté historique de son rapport à l’exercice du pouvoir, assumant désormais qu’il est devenu un parti protestataire pour lequel la reconquête du pouvoir n’est plus un objectif majeur.
Plusieurs questions centrales attestent cette dérive inquiétante, contre laquelle s’élève l’ancien président.
Le régime représentatif
Jean-Luc Mélenchon n’a jamais été un partisan de la démocratie représentative. Son modèle, comme il l’a rappelé encore récemment, est celui du peuple soulevé contre les pouvoirs. Son grand homme est Robespierre et son image du citoyen est le sans-culotte pénétrant à l’Assemblée pour exiger des représentants qu’ils fassent des lois qui conviennent au peuple, c’est-à-dire à lui-même. Son rappel récent du retour de la famille royale à Paris en octobre 1789 comme modèle de ce que devrait être la marche du 16 octobre 2022 confirme qu’à ses yeux le pouvoir doit être sous le contrôle étroit et permanent du citoyen. Selon cette vision, partagée et propagée par les élus LFI, le représentant et le gouvernement n’ont pas d’autonomie. Ils doivent appliquer la « volonté du peuple », sans filtre. Appelons un chat un chat : il s’agit d’une démarche insurrectionnelle qui considère les élites au pouvoir comme l’ennemi à abattre. Si l’on écoute attentivement le discours des élus LFI, y compris des parlementaires, le pouvoir légitime est d’abord dans la rue et la police « qui tue » n’a aucune légitimité. La politique met en scène deux acteurs : le peuple et les ennemis du peuple. Dans ces conditions, le Parlement ne sert aux « vrais représentants du peuple », aujourd’hui les élus LFI, qu’à se faire écho à ce niveau de la guerre de classe véritable, celle qui se déroule sur le terrain. D’où la radicalité de leur comportement, qui n’est pas une simple stratégie de communication mais la traduction directe de leur idéologie.
Le 16 octobre, Mélenchon, au cours de la manifestation, a appelé à la grève générale et déclaré Macron en bout de course. On pourrait se gausser de ces rodomontades, mais il faut considérer sérieusement, là encore, le fond du discours, qui est une contestation radicale des institutions. La « grève générale » chez Mélenchon n’est pas de nature sociale mais politique. Cette déclaration quasi-insurrectionnelle confirme le rejet absolu du gouvernement représentatif par la gauche radicale.
Comment Faure a-t-il pu se joindre à cette manifestation ? Quoi de commun ici avec Jaurès, Blum ou Mitterrand qui ont toujours défendu courageusement contre les gauches du Parti socialiste et contre les communistes l’importance du travail parlementaire et rejeté l’action violente ? Mélenchon a été de tout temps un adversaire déterminé de la social-démocratie dont la conception de la politique est fondée sur la recherche du compromis et le maintien de la paix civile. Comme l’écrivait Simon Rai sur Telos le 30 septembre, « le procès constant [de LFI] contre les institutions, que l’on attaque frontalement tous les jours par un travail de sape ininterrompu, aura un impact dont nul ne peut mesurer les conséquences ».
Fonctionnement collectif ou verticale du pouvoir
Les grands leaders socialistes ont toujours défendu le caractère collectif et donc démocratique du Parti socialiste. Blum au congrès de Tours a courageusement combattu ceux qui allaient faire scission pour fonder le Parti communiste ce caractère collectif, anticipant ce que serait le fonctionnement du parti bolchévique. C’est sur cette base qu’il a contribué à refonder la SFIO. Mitterrand, avant de signer avec les communistes le programme commun avait insisté fortement sur le caractère démocratique du Parti socialiste.
Jean-Luc Mélenchon appartient au contraire à cette tendance autoritaire de la gauche française qui valorise le pouvoir du chef. Il a toujours préféré les hommes forts et dictatoriaux, Hugo Chavez au Venezuela, Vladimir Poutine en Russie. Il est lui-même le leader tout-puissant de LFI et ne s’embarrasse point des opinions de ses partenaires de la NUPES pour fixer sa ligne politique.
Que vient faire alors le PS dans cette structure ?
La défense du monde libre
Quelles que soient les critiques qu’ils ont pu adresser aux États-Unis, depuis le début de la guerre froide les leaders socialistes ont toujours conservé leur alliance avec les pays démocratiques contre l’impérialisme soviétique puis poutinien. Ils ont maintenu la France dans l’OTAN et c’est cette alliance qui permet aujourd’hui à l’Ukraine de résister à l’écrasement et d’éviter la soumission à la Russie poutinienne. Olivier Faure lui-même et le Parti socialiste ont voté récemment l’élargissement de l’OTAN.
Mais alors, que signifie l’adhésion du PS à une organisation dont le leader refuse les sanctions contre la Russie poutinienne et, après l’avoir condamnée, ne soutient désormais la livraison d’armes à l’Ukraine que du bout des lèvres, réaffirmant son projet de quitter l’OTAN pour faire de la France un pays non aligné ? Une organisation dont le leader, avant l’invasion russe, appelait à un partenariat avec la Russie, beaucoup plus fiable à ses yeux que l’Alliance atlantique.
Que vient faire alors le PS dans la galère NUPES?
L’Union européenne
Le PS a été dès l’origine un acteur de la construction européenne. Elle est centrale dans son projet comme dans celui de la social-démocratie européenne. Jean-Luc Mélenchon, lui, a toujours été un adversaire déterminé de l’Europe « capitaliste et germano-américaine ». C’est un souverainiste affiché, et comme nombre de « souverainistes » un partisan de cet ennemi de l’Europe qu’est la Russie poutinienne.
Que vient faire alors le PS dans la NUPES ?
Le PS, naguère un parti de gouvernement
Le PS, refondé par François Mitterrand à Epinay en 1971, allait redevenir un parti de gouvernement. Il a exercé le pouvoir vingt années sur trente-cinq entre 1981 et 2017. Il a pu gouverner car il dominait le Parti communiste. LFI n’est pas et ne peut pas être un parti de gouvernement. Les sondages montrent qu’il n’a aucune crédibilité gouvernementale et lui-même se comporte comme un parti protestataire. La radicalité de son chef, comme le montre les sondages, en fait un leader largement impopulaire qui ne peut prétendre à gouverner le pays.
En se fondant dans la NUPES, le PS ne peut espérer regagner la crédibilité qu’il a perdue, d’autant que l’autre partenaire, EELV, s’enfonce chaque jour davantage dans la radicalité. LFI vient encore de montrer qu’il est un parti populiste en laissant entendre qu’il pourrait voter une motion de censure déposée par l’autre parti populiste, le Rassemblement national.
On rappellera ici un épisode historique qui devrait faire réfléchir nos socialistes nupistes. En Allemagne, un référendum commun entre le parti nazi et le parti communiste fut organisé en 1932 contre le gouvernement régional social-démocrate de la Prusse. Une motion soutenue au Reichstag par les députés nazis et communistes provoqua la dissolution du Parlement du Reich en juillet 1932. Une grande grève des transports fut organisée conjointement par les syndicats nazis et communistes à partir du 3 novembre. À cette occasion, Walter Ulbricht, futur dirigeant communiste de la RDA, écrivait : « les membres prolétariens du NSDAP sont entrés dans les rangs du front uni du prolétariat ».Thaelmann, le chef du KDP, ajoutait : « Nous avons constitué un front unique de classe avec les prolétaires nazis… Jeunesse communiste et Hitlerjugend quêtent ensemble dans la rue de la capitale pour soutenir les grévistes ». Quelques mois plus tard, Hitler arrivait au pouvoir.
Tous ces éléments montrent que le projet d’Olivier Faure de réaliser une entente très étroite avec LFI signifie tout simplement la mort du Parti socialiste. François Hollande de ce point de vue a raison.
La critique de François Hollande ne suffit pas
Si l’ancien président a raison de rejeter l’adhésion du PS à la NUPES, il a tort en revanche de s’arrêter en si bon chemin. « J’ai toujours été favorable à une union de la gauche mais c’est sur une ligne, une crédibilité, déclarait-il. Il faut reconstruire une force socialiste qui puisse être une force motrice de la gauche ». Remarquons d’abord que même lorsque l’union de la gauche était au pouvoir, elle n’a jamais duré plus d’une législature et que de 1984 à 1997 le PCF n’a pas voulu participer aux gouvernements socialistes. Choix qu’il a refait en 2012. L’union de la gauche a permis de gagner les élections, non de gouverner dans la durée. La raison en est qu’entre les deux partis les désaccords de fond ont toujours été importants et en réalité insurmontables, en particulier sur les questions mêmes qui séparent aujourd’hui le PS et LFI : les questions de politique étrangère et de défense, l’économie de marché, la construction européenne, le régime représentatif.
Dans les périodes de crise internationale ils ont toujours été en opposition : le pacte germano-soviétique en 1939, la guerre froide après 1947, la crise de Cuba en 1962, la crise des euromissiles à partir de la fin des années 1070, lorsque François Mitterrand déclarait que les pacifistes étaient à l’ouest mais que les missiles étaient à l’est. En réalité sur toutes les grandes questions ces deux partis ont toujours été en fondamental désaccord. Il en va de même aujourd’hui entre le PS et LFI.
La conclusion que le PS devrait en tirer une fois pour toutes est que l’union de la gauche ne peut être, l’extrême-gauche et les écologistes étant ce qu’ils sont, une stratégie gagnante pour gouverner dans la durée. Il ne suffit donc pas de dire que l’union ne peut fonctionner que lorsque le PS est dominant. Il faut avoir le courage de dire que l’union de la gauche n’est pas, en soi, une stratégie pour un parti de gouvernement qui veut transformer le pays et ne pas perdre les élections à chaque renouvellement de l’Assemblée nationale. Dans ces conditions il ne faut pas entretenir le mythe illusoire de l’union de la gauche et en faire l’axe stratégique d’un parti qui se veut social-démocrate.
À cela, les dirigeants socialistes répondront que les électeurs de gauche réclament cette union avant même de connaître son contenu. Ils plébiscitent une idée, non pas une stratégie. Cela est vrai et lorsque la SFIO a voulu nouer d’autres alliances, elle a périclité, comme sous la IVe République.
Pourtant cette objection n’est que partiellement convaincante. Le Parti socialiste s’est enfermé de manière presque permanente dans un face-à-face avec l’extrême-gauche parce qu’il n’a jamais envisagé sérieusement d’autres alliances possibles construites sur de véritables compromis. Il n’a jamais explicité ses désaccords de fond avec l’extrême-gauche, d’abord du fait de son complexe permanent à son égard, et ensuite parce qu’il n’avait pas de véritable projet alternatif au projet anticapitaliste ou anti-libéral, contrairement à la social-démocratie européenne. Il n’en avait pas car il a toujours refusé de faire son congrès de Bad Godesberg comme l’a fait le socialisme allemand en 1959. Rappelons-nous le discours de François Mitterrand à Epinay en 1971 : « Celui-qui n’accepte pas cette rupture avec l’ordre établi, avec la société capitaliste, celui-là ne peut pas être adhérent du Parti socialiste. » Hostile au libéralisme économique, le PS ne pouvait envisager d’alliances de gouvernement sur sa droite. Du coup, soit il s’alliait avec l’extrême gauche soit il pratiquait un « ni ni » qui l’isolait dangereusement.
Les enquêtes montrent que si les sympathisants socialistes sont favorables à l’union de la gauche en revanche ils sont fort différents des électeurs de LFI sur la plupart des questions importantes (voir mon papier Telos la semaine dernière). Il faut donc déconstruire le mythe de l’union en proposant un aggiornamento, seule alternative réelle à la disparition du Parti socialiste. « Nous avons des électeurs », affirme François Hollande. Ce n’est pas vrai. La candidate socialiste a obtenu moins de 2% à l’élection présidentielle. En revanche, la moitié des électeurs socialistes de 2012 ont voté dès le premier tour pour Macron en 2017. La réserve ne peut être que là. Il faut alors sortir du ni ni (ni Mélenchon, ni Macron) qui semble être la posture recommandée par François Hollande et qui n’a aucun avenir, et reconstruire un centre-gauche ouvert à l’alliance au centre. Les enquêtes montrent que sur la plupart des sujets importants, ce qui reste d’électeurs socialistes est plus proche de ceux de Macron que de ceux de Mélenchon.
Il faut avoir le courage de briser le mythe de l’union. Sinon, c’est Faure qui a raison contre Hollande. Lui au moins a sauvé un groupe parlementaire et ses électeurs lui savent gré de faire l’union. S’il ne s’agit pas seulement de gagner un congrès de routine il faut prévoir alors la tenue d’un congrès refondateur. Le parti d’Epinay est mort de toutes manières et il n’y a plus d’espace électoral pour ce qu’il en reste.
Dans ces conditions il ne suffit pas de condamner la tactique d’Olivier Faure, il faut lui opposer une véritable stratégie. La démarche du premier secrétaire peut avoir sa logique si l’objectif n’est plus de chercher à conquérir le pouvoir dans l’État mais plutôt de conserver le plus longtemps possible des bases politiques locales et un groupe d’opposition au Parlement. Combattre cette démarche n’a donc de sens que si l’objectif est de redonner au PS des chances de redevenir un jour un parti de gouvernement.
Alors, M. Hollande, encore un effort !
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