Petit rappel historique à l’intention de Gérard Larcher edit
Dans une interview accordée au Figaro et publiée le 15 mars dernier, Gérard Larcher, le président (LR) du Sénat affirme que « le président de la République veut être réélu sans jamais avoir été réellement candidat, sans campagne, sans débat, sans confrontation d’idées. Tous les candidats débattent sauf lui. C’est un paradoxe ! » Il poursuit : « Être en tête dans les sondages n’est pas une raison suffisante pour enjamber l’élection et considérer que ce scrutin n’est qu’une formalité, ne serait-ce que par respect de la démocratie », estimant que « le rendez-vous démocratique ne peut pas être occulté », et concluant : « s’il n’y a pas de campagne, la question de la légitimité du gagnant se posera. »
Le propos est important venant du troisième personnage de la République, garant à ce titre du bon fonctionnement des institutions. Comme le faisait remarquer Julien Denormandie, l’un des organisateurs de la campagne du président sortant, le président du Sénat fait ainsi « courir une petite musique qui serait un procès en illégitimité dans le cas où le président de la République actuel serait réélu, au motif que la campagne n’aurait pas été suffisamment faite ». Ce procès n’est pas seulement infondé, il est également surprenant, venant de l’une des principales personnalités d’un parti dont le premier avatar a été fondé historiquement pour soutenir l’action du général de Gaulle en 1958.
Reportons-nous à la première élection présidentielle au suffrage universel, celle de 1965, pour rappeler comment le fondateur de la Ve République s’est comporté au cours de cette première campagne présidentielle.
De Gaulle n’avait pas une conception pluraliste de l’élection présidentielle. Sa vision était plébiscitaire. Pour lui, la consultation de 1965 n’a pas pour but de choisir l’un des six candidats présents mais de voir confirmer son leadership. Dans son esprit ses opposants n’ont aucune légitimité. Pire ils représentent un danger pour la France. Réaffirmant dans sa conférence de presse du 9 septembre 1965 son lien particulier avec le peuple français, il déclare : « C’est avant tout avec le peuple lui-même que celui qui en est le mandataire et le guide se tient en contact direct. C’est ainsi, en effet, que la nation peut connaître en personne l’homme qui est à sa tête, discerner les liens qui l’unissent à lui, être au fait de ses idées, de ses actes, de ses projets, de ses soucis, de ses espoirs… » Dans son allocution du 4 novembre, il précise : « Certes, il y a encore, il y aura toujours, beaucoup à faire. Mais comment y parviendrait-on si l’État, livré aux partis, retombait dans l’impuissance ? Au contraire, quel élan nouveau prendra notre république quand celui qui a l’honneur d’être à sa tête aura été approuvé par vous dans son mandat national. » « Approuvé » et non pas « réélu », le choix du vocabulaire traduit parfaitement cette conception plébiscitaire. De même lorsqu’il déclare que grâce à sa candidature « notre pays se voit offrir le meilleur moyen de confirmer par ses suffrages le régime stable et efficace que nous avons ensemble institué. Que l’adhésion franche et massive des citoyens m’engage à rester en fonction, l’avenir de la République nouvelle sera décidément assuré. Sinon, personne ne peut douter qu’elle s’écroulera aussitôt et que la France devra subir, mais cette fois sans recours possible – une confusion de l’État plus désastreuse encore que celle qu’elle connut autrefois. »
Le général de Gaulle n’est pas à ses propres yeux un candidat comme les autres. Il est d’une autre nature. Dans son allocution du 30 novembre il explique ainsi : « Le président de la République ne saurait être confondu avec aucune fraction. Il doit être l’homme de la nation tout entière et servir le seul intérêt national. C’est à ce titre et pour cette raison que je demande votre confiance. Cinq oppositions vous présentent cinq candidats. Vous les avez tous entendus. Vous les avez tous reconnus. Leurs voix dénigrantes sur tous les sujets […]. Le seul point sur lequel s’accordent leurs passions, c’est mon départ. » Lui et eux ne se situent pas au même niveau. Lui seul se situe « par-dessus toutes les sollicitations des tendances partisanes, des influences étrangères et des intérêts particuliers ».
C’est la raison pour laquelle il entend demeurer « au-dessus des empoignades » et, donc, ne pas faire campagne. Alors que ses concurrents utiliseront tout leur temps de parole, lui n’interviendra qu’à deux reprises dans la campagne, les 30 novembre et 3 décembre. Il ne présente pas un véritable programme, ne demandant aux Français qu’un nouveau témoignage de leur confiance.
Alors que sa cote de popularité ne cesse de baisser, passant de 66% à moins de 50%, celles de ses concurrents progressent. Sur le conseil de son Premier ministre, Georges Pompidou, il finit par évoquer leurs noms mais uniquement pour leur refuser toute légitimité à exercer le pouvoir : « L’accession de l’un quelconque d’entre eux au poste suprême marquerait infailliblement le retour à l’odieuse confusion où se traînait naguère l’État pour le malheur de la France. » Le 5 décembre, il arrive largement en tête du premier tour avec 45% mais il est en ballotage et devra affronter au second tour le candidat de la gauche, François Mitterrand. Pompidou le presse alors de faire enfin campagne. Il accepte finalement une série d’entretiens avec le journaliste Michel Droit dans la semaine qui précède le second tour. Il se tire avec brio de cet exercice nouveau. En revanche, il n’accepte pas de participer à un face à face avec son concurrent.
Le 19 décembre, il est réélu avec 55% des suffrages exprimés. Personne ne songea alors à mettre en cause la légitimité de cette élection. Ce nouveau type de consultation est un véritable succès puisque la participation est de 84%. Du premier coup l’élection présidentielle s’établit comme l’élection reine de la Ve République. La majorité qu’il obtient, bien que large, est loin cependant d’être celle qu’il espérait. Il ressent ce résultat comme un camouflet. La logique majoritaire, dans le sens pluraliste et non dans la conception unanimiste qui est la sienne, l’a emporté, engageant la Ve République dans une phase nouvelle de son histoire, celle du présidentialisme majoritaire. Les candidats acceptent tous les règles du jeu. Depuis 1974, les deux finalistes ont accepté de participer à un débat contradictoire. Seule exception, en 2002, Jacques Chirac avait refusé de débattre avec Jean-Marie Le Pen, mais, en 2017, Emmanuel Macron a débattu avec sa fille. Aucun président sortant candidat à sa réélection n’a jamais débattu avant le premier tour avec les autres candidats. La situation actuelle n’a donc rien d’exceptionnel.
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