Pourquoi les immigrés votent social-démocrate edit
Dans de nombreux pays occidentaux, les citoyens d’origine étrangère sont devenus suffisamment nombreux pour avoir un impact sur le sort électoral des partis politiques. On sait qu’ils ont tendance à voter de manière pour les partis de gauche, et plus particulièrement en Europe pour les sociaux-démocrates. Mais cette tendance cache des disparités et les explications classiques n’en rendent pas raison.
Dans de nombreux pays occidentaux, les citoyens d’origine étrangère sont devenus suffisamment nombreux pour avoir un impact sur le sort électoral des partis politiques. Dans des pays comme la France, la Suède, le Luxembourg, la Suisse et le Royaume-Uni, les immigrés de première et de deuxième génération qui ont le droit de vote aux élections nationales représentent plus d'un cinquième de l'électorat total.
On sait qu’ils ont tendance à voter de manière pour les partis de gauche, et plus particulièrement en Europe pour les sociaux-démocrates. Mais cette tendance cache des disparités et les explications classiques n’en rendent pas raison.
Les deux explications généralement invoquées de la préférence des immigrés pour les partis sociaux-démocrates sont leur position de classe et leurs préférences en matière de politique migratoire. Étant donné que les immigrés sont traditionnellement surreprésentés dans la classe ouvrière dont les sociaux-démocrates représentent les intérêts, il est intuitif de supposer que la classe sociale peut expliquer les écarts de préférences électorales entre les natifs et les immigrés. Cependant, non seulement l'image de l'immigré comme « travailleur invité » est de plus en plus dépassée, mais de surcroît le vote ouvrier ne se tourne plus majoritairement vers les partis sociaux-démocrates. La classe sociale n’est pas un facteur solide pour expliquer les préférences électorales des citoyens d’origine immigrée.
Plus surprenant, les études menées jusqu'à présent sur le comportement électoral montrent que les attitudes à l'égard de l'immigration n'ont que peu d'importance dans les choix électoraux des électeurs d’origine immigrée. Par exemple, en étudiant le vote lors d’une initiative populaire contre l'immigration de masse en Suisse, Javier Polavieja (Universidad Carlos III de Madrid) et moi-même avons constaté que les électeurs d’origine immigrée étaient à peu près aussi susceptibles de voter en faveur de cette proposition que les « autochtones ». De même, des études sur les préférences électorales des immigrants en Allemagne et en Suisse n'ont pas permis d'expliquer les différences entre autochtones et électeurs d’origine immigrée par les préférences en matière de politiques migratoires.
Si ce n'est pas la classe sociale ou les préférences en matière de politiques migratoires, comment expliquer la persistance d’un écart ? L’élément d’explication le plus solide à mon sens est l’existence d’un discours hostile à l'égard des immigrés, et la perception d’une discrimination. Les sociaux-démocrates présentent l'immigration de manière positive et soutiennent activement les politiques de lutte contre la discrimination. Cela peut être un puissante motif pour leur donner son suffrage.
Cependant, tous les immigrés ne sont pas traités et perçus de la même manière. En particulier, il faut faire la différence entre endogroupe et exogroupe (« ingroup » et « outgroup »), entre ceux qui sont principalement perçus comme appartenant à un groupe, et ceux qui y sont moins spontanément associés ; le sentiment de discrimination est évidemment plus marqué chez les premiers.
La question de savoir quels immigrés sont considérés comme exogroupe dépend dans une large mesure de la hiérarchie sociale spécifique d'un pays, c'est-à-dire du système informel de stratification qui classe les gens selon leur statut en fonction de leur appartenance sociale. Les origines ethniques font partie de ce système. Les personnes issues de l'immigration d'un pays d'origine qui se situe au bas de ce classement font partie de l'exogroupe. Par exemple, en Europe occidentale, les migrants originaires d'autres pays européens sont souvent considérés comme plus populaires (c'est-à-dire qu'on les préfère comme voisins) que ceux originaires de pays non occidentaux. L'appartenance à un sous-groupe n'est pas seulement liée au pays d'origine, mais peut également être déterminée par des marqueurs culturels tels que la religion. Par exemple, les personnes de confession musulmane ont généralement un statut inférieur aux autres dans la société occidentale, même si elles partagent le même pays d'origine.
Figure. Intentions de vote en Allemagne, en fonction des origines migratoires
L'impact de l'origine migratoire sur les choix électoraux peut être illustré par des données sur l'Allemagne, le plus grand pays européen. La figure ci-dessus montre les intentions de vote en fonction de l’origine migratoire dans depuis le milieu des années 1990. Elle montre la tendance générale des immigrés de première et de deuxième génération à voter pour la gauche politique, composée de Die Linke, des Verts et du Parti social-démocrate (SPD), ainsi que les fortes différences de comportement électoral entre les groupes d'immigrants. L'étude montre que ce sont surtout les immigrants issus de l'immigration turque qui votent majoritairement pour les sociaux-démocrates. Cette constatation est conforme aux résultats obtenus dans d'autres pays d'Europe occidentale et se reflète dans la préférence pour les sociaux-démocrates d'autres groupes minoritaires, tels que les Marocains en Belgique et aux Pays-Bas, ainsi que les immigrants non occidentaux au Royaume-Uni.
En revanche, les immigrés de l'ancienne Union soviétique et d'autres pays d'Europe de l'Est ont tendance à voter pour les chrétiens-démocrates, et même davantage que les autochtones. Le cas des électeurs issus de l'immigration est-européenne illustre la principale exception à la tendance à la gauche des immigrants. Les immigrés qui ont fait des expériences négatives avec des régimes socialistes ou communistes ont tendance à voter pour des partis centristes ou de droite. Ce résultat n'a pas seulement été constaté pour les immigrés d'Europe de l'Est en Europe occidentale, mais il se retrouve aux États-Unis, où les immigrés de Cuba préfèrent traditionnellement les républicains aux démocrates, et en Espagne, où les électeurs issus de l'immigration vénézuélienne préfèrent la droite.
Si tous les groupes d'immigrés n'ont pas la même tendance à soutenir les sociaux-démocrates, dans leur ensemble ils sont généralement favorables aux sociaux-démocrates et font déjà partie, dans certains pays, de leurs circonscriptions électorales traditionnelles. Avec l'augmentation continue du nombre d'électeurs issus de l'immigration et le déclin de la classe ouvrière traditionnelle, l'importance de cet électorat pour les sociaux-démocrates ne fera qu'augmenter.
La version anglaise de cet article est publiée par notre partenaire Agenda Publica.
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