Poutine 2018: chronique d’une victoire annoncée edit
Le 6 décembre, à Nijni-Novgorod, Vladimir Poutine a annoncé sa candidature à l’élection présidentielle de mars 2018. Il briguera ainsi un quatrième mandat de six ans à la tête de la Fédération de Russie. Sa candidature était assurée. Et sa victoire, plus que probable. En revanche, l’incertitude règne sur les véritables enjeux de la campagne. Et sur le contenu du programme pour le mandat Poutine IV.
Candidat évident et probable vainqueur
Voilà plusieurs mois que cette candidature est attendue. À 62 ans, après avoir réalisé trois mandats présidentiels de 2000 à 2008 puis de 2012 à 2018 avec un interlude comme Premier ministre de 2008 à 2012, le président russe fait figure à la fois de candidat naturel et d’indiscutable favori.
Tout annonce sa victoire en mars prochain. Depuis des années, Vladimir Poutine bénéficie de taux de popularité très élevés. Depuis le début de 2017, même les sondages indépendants annoncent sa victoire dès le premier tour de l’élection à plus de 70% des voix. Son parti, Russie Unie, a largement remporté les élections législatives de septembre 2016 avec 343 sièges sur 450. Son opposant le plus visible, Alexeï Navalny, est pour le moment déclaré inéligible. Et la candidature du président candidat a rallié de nombreux soutiens politiques, médiatiques et économiques.
Atout supplémentaire, sa stature internationale n’a fait que se renforcer ces dernières années. C’est un aspect auquel l’électoral russe est très sensible. Malgré les sanctions consécutives à l’annexion de la Crimée, malgré les controverses sur l’opération russe en Syrie et sur la propagande russe à l’étranger, le président désormais candidat a imposé les priorités russes en Europe, au Moyen-Orient, en Asie et dans l’Arctique.
En somme, la victoire semble aujourd’hui aussi certaine que l’était sa candidature.
Une dramaturgie riche de symboles
En l’occurrence, la dramaturgie de la déclaration de candidature est plus instructive que les pronostics électoraux.
Le lieu choisi est hautement symbolique : Nijni-Novgorod, dénommée Gorki durant l’URSS, est la capitale du district de la Volga, au cœur de la Russie d’Europe. Le nouveau candidat souligne ainsi qu’il incarne le pays profond et non pas les élites de Moscou (où il gouverne) de Sotchi (où il réside souvent) et de Saint-Pétersbourg (dont il vient). Cette annonce s’inscrit dans la continuité des émissions annuelles où le président répond en direct, pendant des heures parfois, aux questions de citoyens ordinaires de toute la Fédération.
Symbole supplémentaire à l’heure où le plan de modernisation des forces armées lancé en 2009 produit ses effets, Nijni-Novgorod est un lieu essentiel dans la géographie du complexe militaro-industriel et a longtemps été pour cela interdite aux étrangers. Elle accueille notamment les usines de l’avionneur MiG, célèbre depuis dans le monde pour ses chasseurs.
L’auditoire choisi pour cette annonce est lui aussi significatif : les ouvriers du groupe automobile GAZ, producteur des célèbres Volga soviétiques, incarnent l’industrie mécanique russe et donc la volonté de réindustrialiser le pays. Ces métallos ne doivent pas faire oublier que la région est également une des plus actives de Russie dans le développement informatique.
Par ces choix symboliques, la candidature se place sous les auspices du passé et du futur de l’économie russe, de la modernisation des forces armées et de la proximité avec le peuple.
Le véritable enjeu de la campagne: l’abstention
Qu’on ne s’y trompe pas : ni les programmes, ni les résultats, ni même les candidatures alternatives à celles du président Poutine ne constitueront le véritable enjeu de la compétition électorale.
L’enjeu essentiel sera le niveau de l’abstention. Or plusieurs éléments risquent de démobiliser l’électorat. La campagne sera relativement brève : le premier tour est prévu le 18 mars 2018, soit dans 14 semaines. Les fêtes de fin d’année réduiront la durée du débat, d’autant plus que le Noël orthodoxe aura lieu le 7 janvier 2018. Cela limitera les risques de manifestations comme celles du printemps dernier. Mais cela risque également de démobiliser l’électorat. Cela avait été le cas en 2016 : les législatives avaient été organisées en septembre 2016 à la sortie de l’été. Un taux d’abstention supérieur à 50% en était résulté. C’est aujourd’hui un écueil que souhaite éviter l’administration présidentielle : garantir la victoire mais éviter l’abstention de masse, telle est la quadrature du cercle que doit réaliser l’équipe récemment renouvelée de l’administration présidentielle.
Le deuxième enjeu (subordonné au premier) sera l’espace laissé à la concurrence. Les challengers déclarés de Vladimir Poutine ne sont pas en mesure de l’inquiéter. Les « candidats éternels » sont mesurés à moins de 10% d’intentions de vote : le nationaliste Vladimir Jirinovski pour le parti libéral-démocrate et le communiste Guennadi Ziouganov. Ces rivaux institutionnalisés ou ces opposants faisant partie du système ne peuvent changer la donne. Seule la candidature de la jeune et télégénique Ksenia Sobtchak introduit un peu de nouveauté. Mais elle est mesurée à des niveaux d’intention de vote très bas. Si l’invalidation de la candidature Navalny se confirme, l’offre politique risque d’être peu attrayante. Le risque est encore une fois une hausse corrélative de l’abstention.
Le troisième enjeu corrélatif sera le niveau de la fraude. Toute la question, pour le candidat Poutine est de se prémunir contre les excès de zèle de ses partisans soucieux d’éviter le niveau d’abstention de 2016. En effet, les gouverneurs, notamment dans des régions périphériques, peuvent être tentés d’utiliser la « ressource administrative » pour parler par euphémisme afin de montrer au niveau central qu’ils luttent contre l’abstention. Là encore l’enjeu, pour les pouvoirs publics, est de démontrer leur capacité à mobiliser largement sans soupçons d’irrégularités massives. À défaut, Poutine IV apparaîtrait comme « mal élu ».
Les priorités du 4e mandat présidentiel
La victoire est certaine. Le score reste à établir. Le niveau de l’abstention est incertain. Mais quel est le programme de Poutine IV ?
Une chose est assurée : désormais, la politique étrangère ne suffit plus aux électeurs. Le retour de la Russie sur l’échiquier international est un fait acquis ; la Crimée ne cimente plus l’opinion russe autour du président candidat. Bien sûr, le prochain mandat continuera à insister sur la lutte contre le terrorisme islamiste. Au Moyen-Orient mais également sur son propre territoire car la Russie redoute le retour de plusieurs milliers de djihadistes de nationalité russe originaires du Nord Caucase au moment où elle organise le Mondial 2018 de football. Évidemment, le président Poutine tentera d’obtenir une levée des sanctions européennes et américaines contre la Russie.
Mais l’essentiel du quatrième mandat sera concentré sur la politique intérieure. La prospérité des années 2000 fondée sur les cours élevés du pétrole ne fait plus illusion : la Russie doit trouver un modèle de développement économique et humain. Dépendance chronique aux exportations d’hydrocarbures, sortie de récession de 2014-2016, taux de pauvreté en hausse à 14% de la population, fuite des capitaux, corruption endémique, etc. : les forces et les faiblesses de l’économie russe sont connues. Trouver un nouveau modèle de développement pour la Russie et lutter contre la pauvreté, voilà les véritables enjeux pour 2018-2024. Et, sur ces points, la stratégie reste à définir.
Une ultime question subsiste : Poutine IV sera-t-il le dernier mandat du président ? En 2024, il sera âgé seulement de 72 ans. Mais la constitution interdit trois mandats consécutifs. Réforme constitutionnelle ou préparation d’un successeur ? L’alternative sera à trancher sous peu.
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