Présidentielle américaine: une menace pour l’Ukraine edit
À dix-neuf mois de l’élection présidentielle, les États-Unis sont déjà en précampagne. Le débat qui s’amorce porte surtout sur les sujets de politique intérieure, ce qui préoccupe le plus les électeurs. Néanmoins la crise ukrainienne qui a des implications importantes en matière financière apparaît comme un sujet majeur de politique étrangère, au même titre que les relations avec la Chine. Les prises de position des candidats républicains comme du président sortant Biden auront dès 2023 un impact décisif sur la poursuite de l’aide occidentale à l’Ukraine.
La visite impromptue de Biden à Kiev en février dernier et ses nombreuses déclarations de soutien inconditionnel à l’Ukraine face à l’agresseur russe ont profondément impressionné l’opinion publique en Europe. On y a vu un engagement irréversible de la plus grande puissance militaire mondiale, engagement sans lequel Kiev ne pourrait pas résister au rouleau compresseur russe.
Un engagement pour le présent, des incertitudes pour l’avenir
Néanmoins, les commentaires des éditorialistes du New York Times, du Washington Post ou du Wall Street Journal ont été beaucoup plus prudents. Ils ont souligné l’ampleur de l’aide américaine qui se chiffre à près d’une centaine de milliards de dollars alors que le Congrès à majorité républicaine a entamé un long débat sur les moyens de réduire un colossal déficit budgétaire. Ils ont donc mis en doute la capacité du président à poursuivre un tel rythme dans la durée. Certains ont même fixé une date limite à l’été 2023.
Les sondages qui commencent à apparaître sur les échéances électorales de 2024 confirment cette prudence. Globalement, d’après les travaux du Pew Research Center, le sujet de l’aide à l’Ukraine divise de plus en plus profondément l’opinion, comme c’est d’ailleurs le cas pour les autres grands dossiers nationaux. Certes le Parti démocrate continue à soutenir la politique suivie par le président. 61% de ses électeurs restent favorables au soutien inconditionnel affirmé par celui-ci. Il n’en va pas de même pour l’électorat républicain : seuls 27% approuvent l’aide et ce pourcentage ne cesse de baisser alors qu’il était de plus de 60% en mars 2022. Par ailleurs, le pourcentage d’électeurs républicains qui considèrent que la guerre en Ukraine est une menace majeure pour les États-Unis est passé de 51% en mars 2022 à 29% en janvier 2023 et 40% des Républicains estiment que l’aide à l’Ukraine est excessive.
Au total 43% des électeurs approuvent l’action de Biden et 34% la désapprouvent. Des chiffres qui montrent qu’une partie de l’électorat indépendant partage désormais le scepticisme des Républicains.
Cette évolution a déjà une influence sur les discours des candidats potentiels. Ron DeSantis, le gouverneur de Floride qui est aujourd’hui le principal concurrent de Donald Trump pour l’investiture républicaine, a saisi l’occasion d’une émission sur Fox News avec Tucker Carlson, bien connu pour son hostilité à l’aide à l’Ukraine, pour mettre en doute l’intérêt pour son pays d’intervenir dans ce qu’il a baptisé une « querelle territoriale ». Cette déclaration s’est cependant retournée contre lui car un certain nombre d’élus républicains, et notamment des candidats potentiels comme Niki Halley, y ont vu l’expression d’un manque de compétence en matière d’affaires internationales, une carence embarrassante pour un aspirant à la présidence. DeSantis a vu le danger et a immédiatement réagi en qualifiant publiquement Poutine de criminel.
L’influence majeure de Trump chez les Républicains
Cette agitation superficielle masque ce qui est le problème de fond du parti républicain : quelle est la place et l’influence de Trump qui est notoirement favorable à Poutine et hostile à toute forme de soutien à l’Ukraine. Actuellement, la cote de Trump dans les sondages est au même niveau que celle de Biden avec environ 42% d’opinions favorables. Par ailleurs, la prise de position de DeSantis sur l’Ukraine ne lui a rien rapporté en matière de popularité. En dépit de ses multiples tentatives d’alignement sur l’ancien président pour séduire l’importante clientèle républicaine favorable à Trump, l’écart de popularité entre les deux reste important, de l’ordre de quinze points et, comme l’observe Nate Cohn, le spécialiste des sondages du New York Times, la tendance à s’accroître. Manifestement, les électeurs républicains préfèrent l’original à la copie et cela, d’autant plus, que DeSantis refuse de répondre aux attaques incessantes de Trump par crainte de s’aliéner une partie des électeurs.
Pour le moment, l’inculpation de Trump par le procureur de New York au sujet de l’argent versé à une star du porno pendant la campagne de 2016 ne semble pas avoir d’impact négatif sur le comportement des électeurs. Ceux-ci sont au courant de cette affaire depuis des années et les républicains y voient une manœuvre déloyale contre l’ancien président, victime de magistrats élus sous l’étiquette démocrate. Une position reprise par la plupart des élus du parti qui craignent plus que tout de s’aliéner la base trumpiste si influente dans les primaires. Certains observateurs pensent même que cette inculpation peut faire gagner des suffrages en faveur d’un homme qui se pose bruyamment en victime de sombres machinations. Dans ces conditions, les chances d’une victoire de Trump aux primaires républicaines sont considérables.
Des choix difficiles pour Biden
Cette situation a forcément un impact sur la campagne démocrate. Biden a clairement indiqué son intention de se représenter et il recentre sa position pour conserver une majorité en dépit de sa médiocre cote dans l’opinion et attirer les indépendants et ce qui reste des Républicains modérés. Or le dossier ukrainien peut lui attirer de sérieuses difficultés. C’est ainsi que des militants de l’aile gauche du parti démocrate manifestent des réserves sur une aide massive à l’Ukraine en évoquant la nécessité de soutenir les catégories les plus défavorisées de la population américaine frappées par l’inflation. Toutefois, la porte-parole de cette gauche, Alexandria Ocasio-Cortez, a réaffirmé son soutien à l’action de Biden.
Néanmoins, le plus grand danger pour Biden est la lassitude de l’électorat indépendant qui est moins motivé que les Démocrates et qui semble se désintéresser de cet interminable conflit. On peut compter sur la Chambre à majorité républicaine pour orchestrer en permanence la critique de l’activisme de la Maison Blanche. Kevin McCarthy, le président de la Chambre, a déjà préconisé un contrôle plus strict des fournitures à l’Ukraine en faisant valoir que la seule priorité pour Washington était la confrontation avec la Chine et la défense de Taiwan.
Il est prévisible que lorsque la campagne présidentielle deviendra plus intense, à partir de septembre 2023, Biden subira des pressions croissantes pour résoudre le problème ukrainien et mettre un terme aux aides considérables versées à ce pays, surtout si son adversaire est Trump. Son retrait brutal d’Afghanistan a montré qu’il n’hésitait pas à prendre des décisions drastiques quand sa survie politique et celle de son parti était en jeu. Seule une minorité d’Américains estime que cette guerre dans un pays lointain et peu connu est une menace pour le pays. Une fois de plus les considérations de politique intérieure pèseront d’un poids déterminant sur les choix géopolitiques des États-Unis.
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