PS: la saison des motions edit
Le 29 mars, les membres du Parti socialiste doivent désigner leur prochain premier secrétaire, avant le congrès qui se tiendra les 7 et 8 avril. La motion conduite par Olivier Faure, le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, occupe une position centrale dans la configuration des quatre motions et pourrait arriver en tête. Que nous dit-elle sur la manière dont ses signataires conçoivent l’action de leur parti dans la période à venir?
Le document insiste sur la vocation gouvernementale du Parti socialiste. Ce parti devrait donc se donner les moyens de revenir au pouvoir, c’est-à-dire disposer à la fois d’un leader, d’une stratégie et d’un projet capables de le mettre en situation de remporter une victoire électorale. Or ce qui frappe d’emblée à la lecture de la motion est son caractère intemporel. Le texte, en effet, ne part pas d’une analyse approfondie des trois caractéristiques politiques principales de la période récente : le déroulement et le bilan du quinquennat Hollande, le désastre électoral socialiste et le phénomène Macron. Du coup, le projet apparaît hors sol.
Pour ce qui est du leadership il est certes encore trop tôt pour savoir si Olivier Faure pourrait l’incarner efficacement. Remarquons simplement qu’il s’agit d’une personnalité encore très peu connue des Français. Notons surtout que malgré le dommage que la notion de « président normal » et le faible leadership présidentiel ont infligé au Parti socialiste au cours du précédent quinquennat la motion reproduit l’éternelle ambiguïté des socialistes à propos du régime. S’il n’est plus question de l’instauration d’une Sixième République, le texte n’en reprend pas moins à son compte le projet de limiter les pouvoirs du président de la République, sans d’ailleurs préciser de quels pouvoirs il s’agit. La dernière élection présidentielle a pourtant montré à quel point le faible leadership de son candidat avait pénalisé le Parti socialiste.
Quelle autonomie stratégique?
Pour ce qui est de la stratégie, le texte proclame l’autonomie stratégique du parti qui consiste à refuser de se positionner en fonction des initiatives des concurrents. « Poser aujourd’hui la question des alliances serait se placer en situation de faiblesse et accepter une position de supplétifs. » Cette affirmation est pourtant contradictoire avec l’autre principe énoncé selon lequel « redevenir majoritaires suppose de concilier des gauches que certains voudraient irrémédiablement séparer, ouvrant ainsi une éternité électorale à la droite ». Le parti doit donc se situer clairement comme un parti d’opposition, le pouvoir actuel étant considéré comme de droite puisque le « et de gauche et de droite » n’a aucun sens pour les auteurs. « Le clivage gauche - droite demeure indissociable de la démocratie dans notre pays », affirme solennellement le texte. Mais alors, que signifie l’autonomie stratégique ? Les auteurs reconnaissent que tout dépend de Jean-Luc Mélenchon qui, lui, ne veut pas entendre parler d’une telle alliance, ce qu’ils ne peuvent que regretter : « Notre volonté de rassemblement de la gauche est intacte, mais aujourd’hui cette question est d’abord posée à Jean-Luc Mélenchon. Son obstination dans la volonté de voir disparaître les autres formations politiques, sa stratégie d’isolement, conduisent à l’effacement de la gauche et à une impasse stratégique. Son évolution souverainiste et la remise en cause du principe même de la construction européenne sont contradictoires avec l’identité des Socialistes. Enfin, nous sommes la gauche qui veut gouverner et, à ce stade, nous n’avons pas le sentiment qu’il ait la volonté réelle de se confronter au pouvoir et de le faire en partenariat avec d’autres. »
Ainsi, « substituer au clivage gauche-droite le clivage peuple-élites comme le fait Jean-Luc Mélenchon est tout aussi dangereux » que le « et de gauche et de droite ». Soit. Mais à ce stade du raisonnement, une question surgit : pourquoi, face aux rejets parallèles de Macron et Mélenchon, privilégier l’alliance avec le second plutôt qu’avec le premier ? En attendant, l’impasse stratégique est totale. À quoi sert dans ces conditions l’autonomie stratégique ?
Les auteurs répondront sans doute que les gauches ont un adversaire commun contre lequel il faut mener le combat principal : le libéralisme, tantôt néo, tantôt ultra, tantôt autoritaire et tantôt libéralisme tout court. Mais alors, il faudrait d’une part expliquer pourquoi un parti qui a inscrit dans sa déclaration de principes son attachement à l’économie de marché condamne globalement le libéralisme et d’autre part il faudrait prendre enfin position clairement sur le conflit qui a divisé le Parti socialiste sous le précédent quinquennat sur la question de la compétitivité et de la globalisation, ce que le texte se garde bien de faire. Condamne-t-il clairement ou non les politiques menées dans ce domaine par les gouvernements socialistes ? Sans réponse claire à cette question, la définition du projet lui-même, troisième tâche, risque fort d’être aussi difficile à accomplir efficacement que les deux premières.
Quel projet?
La motion n’entend ni esquisser un bilan du quinquennat Hollande ni tracer les contours d’un nouveau programme, elle ne se prive pas pourtant de renvoyer aux enfers du néo-libéralisme les politiques menées par le gouvernement de « centre droit » voulu par Emmanuel Macron et en creux de dessiner, à travers les combats des socialistes, un nouveau programme. Qu’on en juge !
Les socialistes sont européens, ils estiment que les souverainetés européennes et nationales sont intimement liées et qu’il n’y a pas pire danger que la tentation nationale, ce qui les conduit à réclamer des politiques protectrices, des droits nouveaux pour tous les citoyens, des investissements d’avenir, un budget européen et de nouvelles ressources pour financer les politiques communes. Bref ils veulent toujours rompre avec les politiques austéritaires imposées par la droite allemande. Le problème est que, ce faisant, ils s’interdisent de jouer quelque rôle que ce soit dans l’Europe telle qu’elle cherche à se redéfinir. D’une part les chrétiens-démocrates allemands, qu’ils vouent aux gémonies, ont signé un pacte gouvernemental avec les sociaux-démocrates qui prévoit un maintien de la discipline budgétaire et fiscale, un budget d’intervention limité, et un fonds monétaire européen chargé de porter secours aux pays en difficulté. D’autre part, le partenaire français est aujourd’hui le plus offensif dans la tentative de relance de la construction européenne mais ses propositions ne sont même pas évoquées dans la motion alors qu’une gauche de gouvernement s’honorerait, au moins dans ce domaine, de saluer les tentatives de relance du couple franco-allemand.
Les socialistes sont sociaux ; ils sont les meilleurs défenseurs des travailleurs et les gardiens du droit du travail. Leur jugement sur Macron et notamment sur les lois Travail est sévère : « … les actes sont brutaux, aussi durs pour les plus faibles qu’ils sont doux pour les puissants ». Et de citer les emplois aidés supprimés, les APL réduites et les premières ruptures conventionnelles collectives. La critique sans nuances est de bonne guerre quand on est dans l’opposition et qu’on compte le rester longtemps mais quand on a porté la Loi El Khomri, la loi Rebsamen, quand les Lois Macron votées dans le quinquennat Hollande prévoient explicitement l’accord majoritaire d’entreprise pour les ruptures conventionnelles collectives, quand le chômage persistant appelle des expériences nouvelles, comment peut-on disqualifier Macron en l’affublant de l’étiquette de nouveau Giscard ? Enfin la libéralisation du marché du travail n’est que le premier des volets de la réforme, les autres étant l’apprentissage, la formation et l’indemnisation du chômage. Faut-il rappeler ici que le président Hollande poursuivait les mêmes objectifs et qu’il a buté sur des obstacles que le président Macron essaie à présent de lever ?
Les socialistes sont devenus écologistes et ils réclament avec force la sortie rapide du diesel, la réduction à 50% de la part du nucléaire dans le mix électrique, le développement rapide des énergies renouvelables. Ces propositions hardies sont exactement celles du gouvernement actuel, sauf qu’à l’épreuve du pouvoir même Nicolas Hulot a appris que la transition énergétique devait éviter le black-out électrique et que donc l’objectif 2025 n’était pas tenable, que l’industrie automobile devait phaser la sortie du diesel et que dans un État de droit on ne sait pas déployer les énergies renouvelables aussi vite qu’on le souhaiterait. Que signifie alors le maximalisme socialiste ? Relève-t-il de la simple posture ou du choix d’être simplement opposant ?
Le PS a toujours été le parti de l’École, c’est son histoire et son problème aujourd’hui. La motion dénonce les polémiques stériles sur l’École. Elle reconnaît que la priorité éducative n’a toujours pas profité des budgets nécessaires, elle prône l’accomplissement individuel et la pleine expression des talents. Mais quand les enquêtes PISA révèlent la chute de la performance éducative, le descenseur social à l’œuvre à l’École, et que toutes les grandes enquêtes révèlent l’inadéquation de l’offre de formation aux qualifications requises, on reste interdit devant les prescriptions des socialistes français qui se résument à augmenter les budgets et à maintenir le libre choix des bacheliers à l’entrée à l’Université.
La réforme du millefeuille territorial était au cœur du programme de réformes structurelles de François Hollande, la motion Faure est pour la défense inconditionnelle des collectivités locales « maltraitées par Macron », victimes d’un nouveau césarisme : « les corps intermédiaires sont stipendiés, les collectivités locales méprisées, les élus jetés en pâture à l’opinion publique… »
Le PS entend répondre aux attentes des classes moyennes dont le pouvoir d’achat stagne. Mais comment répondre au ras le bol fiscal de ces mêmes classes moyennes ? Les inégalités sont intolérables et notamment la concentration des patrimoines, soit ! Mais quelle leçon les socialistes tirent-ils de la surimposition du capital dans un univers de concurrence fiscale et quelles leçons tirent-ils des succès scandinaves, on n’en saura rien.
Au total comment comprendre cette régression par rapport à la culture de gouvernement ? Trois hypothèses sont envisageables.
Le document étant destiné à une consommation interne dans le cadre de la préparation du prochain Congrès, ses auteurs ne s’estiment pas tenus par les disciplines de l’analyse et de la proposition. Sa valeur ajoutée est dans la différenciation par rapport aux autres motions.
Deuxième hypothèse, le document étant élaboré par un parti d’opposition et les perspectives de retour au gouvernement étant lointaines, il s’oppose.
Mais on ne peut pas écarter une hypothèse plus inquiétante, celle de la perte de repères. Les socialistes ont d’énormes difficultés à assumer l’héritage Hollande ce qui, en pratique, leur interdit de s’interroger sur son action passée et sur la continuité de fait, sur tous les sujets évoqués ici, entre Hollande et Macron.
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