Sortir de l’impasse… par le haut edit
Le mouvement social actuel résulte d’attentes déçues concernant le pouvoir d’achat autant que d’un sentiment progressif d’enfermement et de déclassement chez nombre de nos concitoyens. Ses formes d’action inédites témoignent quant à elles de la perte de crédibilité des gouvernants, des partis et plus largement des corps intermédiaires. Il est impératif de sortir rapidement de ces difficultés en répondant aux attentes sans exclure a priori aucune marge d’action réaliste et soutenable. Mais les contraintes de ces marges d’action demandent à être expliquées et comprises et parmi ces contraintes, le respect des engagements budgétaires pris par la France vis-à-vis de ses partenaires sont centrales. Ces contraintes, on ne le dira jamais assez, sont des garde-fou pour préserver les chances de la France de rebondir après l’épreuve. Pour cela, nous proposons une réponse à deux dimensions : à court terme, des mesures de pouvoir d’achat, et à moyen terme une mise à plat des questions soulevées et la concrétisation d’un véritable pacte social.
À court terme, des ressources à trouver…
Les mesures de pouvoir d’achat à prendre à court terme pour répondre aux attentes d’un mouvement social inédit ne peuvent être chichement mesurées, et elles nécessitent donc des ressources importantes. Dans le respect impératif des engagements de la France vis-à-vis de ses partenaires, il n’existe pas de nombreuses voies de financement de telles mesures. Nous n’en voyons même qu’une : l’étalement sur deux ans de la mise en œuvre du CICE nouvelle formule. La transformation du CICE de crédit d’impôt en baisse de contributions sociales aboutit en effet à un double transfert aux entreprises de 20 milliards chacun pour 2019. Soyons clairs : les droits acquis par les entreprises dans le cadre du CICE actuel sur leur situation observée en 2018 doivent être respectés. Mais le transfert en 2019 résultant de la transformation du CICE en baisse des contributions sociales pourrait être étalée sur deux ans. Les entreprises bénéficieraient ainsi en 2019 d’un transfert d’environ 30 milliards d’euros, et non de 40 milliards. Cette économie de 10 milliards d’euros pourrait ainsi être mobilisée pour financer les mesures de pouvoir d’achat immédiatement engagées. La mesure envisagée a un coût pour les entreprises et elle consiste à revenir sur un engagement de l’État. Mais dans le contexte actuel, c’est la seule mesure adaptée au contexte social, soutenable par les entreprises dont les marges se sont améliorées, compatible avec nos contraintes budgétaires et qui offre aussi un symbole aux Gilets Jaunes.
… pour financer des mesures de pouvoir d’achat immédiates…
La première mesure à financer est bien entendu le report d’un an, déjà annoncé, de la hausse des taxes environnementales sur les carburants. Cela représente déjà un gros tiers des ressources évoquées ci-dessus. La seconde mesure est la prime ponctuelle pour les salariés, de 500 à 1000 euros, dégressive avec le niveau des salaires, et déchargée de prélèvements fiscaux ou sociaux. Selon son niveau au SMIC et sa dégressivité, cela peut correspondre à environ un second tiers des ressources dégagées. La troisième mesure, enfin, correspond à l’indexation des pensions et du point d’indice de la fonction publique sur l’inflation. En comparaison des décisions déjà prises d’indexation partielle, cela correspond à une mobilisation du troisième tiers des ressources dégagées.
… prenant place dans un pacte social clair…
La paupérisation des retraités et des agents de la fonction publique a été continue sur les dernières années, et tout particulièrement depuis la crise ouverte en 2008.
Pour les retraités, la sous-indexation sur l’inflation et le gel répétés de la revalorisation des pensions se sont de plus inscrits à la suite des nombreuses réformes antérieures des retraites qui, si elles étaient justifiées et même indispensables, avaient déjà sérieusement entamé le pouvoir d’achat des pensionnés. Cette situation n’est plus acceptée : les retraités ont manifesté qu’ils ne pouvaient être sujets à des mesures de gel de leur pouvoir d’achat à chaque inquiétude budgétaire. Cette incertitude est d’ailleurs totalement contreproductive dans la perspective d’une réforme prochaine des retraites qui nécessite un climat de confiance réciproque. Il nous parait indispensable que les pouvoirs publics s’engagent au maintien, désormais, du pouvoir d’achat des pensions via leur indexation sur l’inflation. C’est l’un des piliers du contrat social que l’Etat doit passer avec les citoyens.
Concernant les agents du secteur public, la paupérisation par la modération ou le gel du point d’indice a été d’une ampleur importante sur les dix dernières années. Au point que les vocations sont désormais insuffisantes pour des professions autrefois désirées. Cette paupérisation peut avoir à terme des conséquences sur la qualité même du service public. Le second pilier du contrat social à engager est celui d’une indexation dans le futur du point d’indice sur l’inflation. La nécessaire modération des dépenses de personnel dans la fonction publique doit passer par d’autres voies, plus structurelles : celle d’une réforme globale engageant les contours même et le mode d’intervention des administrations publiques. Chacun a par exemple en tête que l’indispensable réforme des collectivités locales permettrait de réduire le nombre de niveaux du fameux millefeuille territorial (communes, collectivités de communes, départements, régions et État). L’une des dimensions de la réforme de l’État est de supprimer l’un au moins de ces niveaux, et d’en tirer toutes les sources d’économies envisageables. En clair, afin de modérer la dépense en masse salariale dans le public, plutôt qu’une paupérisation des agents il s’agirait de la recherche d’une plus grande efficacité. Cette voie est certes plus complexe mais elle est la seule à pouvoir être socialement acceptée et également la seule à donner des perspectives d’efficacité à notre pays dans le domaine de l’action publique.
… et dans une véritable discussion large sur les prochains mois
Enfin, le mouvement actuel ne peut être contenu par de simples mesures immédiates. Il témoigne souvent d’une incompréhension et méconnaissance des réalités économiques et des mécanismes économiques les plus simples. La France est déjà sans doute le pays développé le plus redistributif, et par ailleurs l’engagement des dépenses sociales d’un coût très élevé comparé aux autres pays ne peut être financé que via des prélèvements eux aussi très lourds. Ces réalités demeurent et l’examen attentif mais intransigeant des mesures proposées doit être engagé. Cela ne peut se faire que dans le cadre d’un sommet social (un « Grenelle », pour reprendre une appellation commune) de grande ampleur, associant les pouvoirs publics, les partenaires sociaux, des représentants des Gilets Jaunes et bénéficiant de l’expertise des administrations publiques et des économistes. Pour traiter correctement les questions soulevées, ce sommet social doit d’inscrire dans une durée de plusieurs mois et s’engager sans a priori ni tabous.
La sortie par le haut de la crise sociale que connaît actuellement la France ne peut faire l’économie d’un débat de fond. Ce dernier ne peut être engagé que si des premières réponses sont rapidement apportées aux fortes attentes, afin de réduire la tension et peut-être décourager les violences. Mais le respect de nos engagements, gage de la crédibilité de notre pays, ne peut être compromis. C’est la stabilité de l’Europe et de la Zone euro qui est ici en jeu, du fait des effets de dominos qu’un non-respect de nos engagements pourrait entraîner. La leçon des crises en Grèce, en Italie est trop récente pour qu’on oublie les enchainements calamiteux provoqués par le doute sur la crédibilité des politiques économiques menées. C’est dans le cadre d’une politique maîtrisée qu’il devient possible de poser toutes les questions soulevées par la révolte des gilets jaunes, celle du pouvoir d’achat, celle de la fiscalité écologique déjà évoquées mais aussi celle des inégalités perçues dans un pays largement redistributif, ou celle de la montée inexorable des dépenses pré-engagées. La crise que nous traversons illustre une fois de plus la distance qui s’est creusée entre les politiques publiques les mieux intentionnées et leur vécu par un public qui se sent marginalisé, abandonné. La lutte contre les inégalités, pour ne prendre qu’un exemple, est plus décisive lorsqu’elle est menée en amont par des politiques éducatives ou d’insertion par l’emploi qui permettent d’équiper les individus que lorsqu’elles corrigent ex-post par des prestations. Le grand débat décentralisé envisagé par le gouvernement qui devra accompagner le Grenelle social et fiscal attendu posera les termes des choix à rendre. Il faudra si possible établir un diagnostic partagé pour sortir des injonctions contradictoires. Il faudra soumettre des scenarios alternatifs, les détailler, les chiffrer. Il faudra enfin choisir. Ce n’est qu’à ces conditions que l’exercice démocratique reprendra ses droits et que la sanction éventuelle par les électeurs ouvrira vers d’autres alternatives politiques crédibles.
Les propositions qui précèdent visent à satisfaire à la fois ces objectifs tout en respectant ces contraintes. Oublier l’un ou l’autre pan de ces aspects serait faire courir de grands risques à notre pays et, au-delà, à l’Europe.
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