Un Parlement qui fonctionne edit
Les élections au Parlement européen se tiendront dans un peu plus d’un an et seront l’occasion d’un débat sur les enjeux politiques européens, même si, et c’est légitime, les considérations de politique nationale ne seront jamais loin. Le rôle du Parlement européen reste méconnu et trop souvent dénigré alors qu’il est un des éléments essentiels du cadre démocratique européen.
Le scandale de corruption qui a frappé le Parlement à la fin 2022 ne doit pas occulter ses réalisations et sa contribution à l’élaboration démocratique des législations européennes. Par comparaison, le spectacle donné tout au long de l’année 2022 par l’Assemblée nationale et l’incapacité tant du gouvernement que de l’opposition à chercher des compromis montre que si déficit démocratique il y a, ce n’est pas nécessairement là où l’on croit, notamment en matière de contrôle de l’exécutif et dans le processus d’élaboration de la loi.
Là où l’Assemblée nationale est élue dans le prolongement de l’élection du Président de la République et est censée lui apporter une majorité, la première tâche du Parlement européen nouvellement élu est d’élire le Président ou la Présidente de la Commission. Il le fait sur proposition du Conseil qui doit tenir compte du résultat des élections (article 17.7 TEU). Sans discuter les mérites du système de Spitzenkandidat selon lequel le Conseil devrait choisir parmi des candidats pré-désignés avant les élections et soutenus par les partis politiques européens, il suffit de rappeler que le Parlement ne fait pas qu’entériner la proposition du Conseil, mais exige du candidat qu’il présente un programme, dont un certain nombre de points sont négociés par avance avec les différents groupes politiques et dont la mise en œuvre effective est surveillée de près tout au long du mandat. Le vote est à bulletin secret et l’exercice est tout sauf une formalité.
La seconde tâche du Parlement européen, moins connue mais tout aussi importante, est l’audition de l’ensemble des candidats-commissaires. Elle est précédée par la présentation d’une déclaration d’intérêts de chacun des candidats, revue par la Commission européenne et, depuis 2019, par la commission des affaires juridiques du Parlement européen qui donne (ou pas) le feu vert pour les auditions proprement dites par les commissions spécialisées. Ces dernières évaluent les compétences des candidats-commissaires, leur connaissance des dossiers et les orientations qu’ils entendent donner aux politiques de leur portefeuille. À la fin de ce processus très politique, le Parlement vote sur le Collège dans son ensemble. En réalité, les candidats « recalés » individuellement sont invités à se retirer pour éviter un rejet de l’ensemble du Collège et des auditions complémentaires sont organisées avec les nouveaux candidats. Ce système où entrent en jeu de facto des considérations techniques, nationales mais aussi de rapport de force entre les groupes politiques, n'est certainement pas parfait, mais d’une part il a le mérite d’écarter les cas les plus problématiques, et d’autre part démontre, s’il en était besoin, la nature politique du Parlement européen. Si les ministres français et le gouvernement français se soumettaient à un tel exercice de transparence, nombre de situations embarrassantes auraient pu être évitées, que l’on pense à des déclarations intempestives sur les homosexuels, des mises en examen ou des problèmes de conflits d’intérêt ou de déclaration fiscale. En écartant les candidats problématiques avant qu’ils ne prennent leur fonction on préserve l’intégrité et la crédibilité de l’institution.
Dans son fonctionnement législatif, le Parlement européen est maître de son ordre du jour et contrairement à l’Assemblée nationale, il a continué à exercer pleinement ses prérogatives législatives et de contrôle de l’exécutif pendant la crise du COVID. Nombre de décisions ont été adoptées suivant des procédures accélérées, mais toujours en préservant la capacité du Parlement à débattre des textes et à les amender. La création des passes sanitaires européens en est l’exemple le plus emblématique. La directive a été adoptée en trois mois, avec un passage direct en plénière pour l’adoption d’amendements – sans passage en commission parlementaire – suivi de la négociation d’un texte de compromis avec le Conseil. En matière de contrôle, le Parlement européen a été informé constamment, sur la stratégie vaccinale, y compris par la mise en place de groupe de suivi ad hoc. On est loin de l’état d’urgence et de légiférer par ordonnances.
Les sujets de fonds difficiles au niveau européen pourtant ne manquent pas. Le Parlement européen étant élu à la proportionnelle, la norme est celle de la constitution de coalitions impliquant de deux à trois groupes au moins pour établir une majorité pour chaque vote. Le Parlement a donc développé une culture du compromis dans laquelle chaque groupe politique apporte sa contribution et accepte celles des autres pour autant qu’elles ne franchissent pas certaines lignes rouges. Cette culture du compromis, qui existe également au Conseil entre les Etats-membres, se retrouve enfin lors des trilogues, où les deux co-législateurs doivent trouver un accord avec l’aide de la Commission.
Cette culture du compromis n’est pas immanente et provient à la fois de structures institutionnelles qui exigent un accord pour aller de l’avant et de pratiques qui les favorisent. Ainsi malgré l’absence d’un « 49.3 » européen, le budget est adopté chaque année après d’intenses négociations, car il s’inscrit dans un cadre financier pluriannuel qui fixe les priorités de long terme de l’Union. Plus généralement, la pratique des trilogues, la mise en place d’un accord annuel sur les priorités politiques entre les institutions offrent un cadre facilitateur. Certains sujets entraînent des blocages durables, mais la recherche de compromis ne signifie pas renoncement et ce sont des sujets sur lesquels les positions prennent plus de temps pour se rapprocher.
Cette culture de compromis se traduit par l’adoption de la plupart des textes avec des majorités relativement larges, ce qui conduit certains critiques à accuser le Parlement européen d’être une chambre d’enregistrement ou à reprocher aux grands groupes politiques de défendre les mêmes positions. La réalité est que le débat se tient lors de l’élaboration du texte et les enjeux se tranchent au niveau des amendements et des négociations formelles ou informelles.
Plusieurs exemples illustrent le rôle crucial du Parlement. En juillet 2012, le Parlement a rejeté l’accord anti-contrefaçon (ACTA) pourtant agréé par le Conseil. En 2017, l’accord de libre-échange avec le Canada a bel et bien été ratifié par le Parlement, mais après que la clause de règlement des différends entre investisseurs et Etats a été amendée en remplaçant le mécanisme d’arbitrage privé par une cour internationale, une ligne rouge pour le groupe Socialistes et Démocrates. Plus récemment, lors du vote de la position du Parlement concernant l’introduction de la taxe carbone en juin 2022, la gauche a repoussé le texte et demandé son renvoi en commission, car la droite avec le soutien de l’extrême droite avait introduit un amendement repoussant la date-objectif de neutralité carbone au-delà de 2030. Le texte a donc été représenté à la plénière suivante et adopté sans l’amendement controversé.
L’objet de ces rappels sur le Parlement européen n’est pas de prétendre que son fonctionnement est parfait, ni que les politiques adoptées au niveau européen sont indiscutables. Il s’agit simplement de souligner qu’elles sont le fruit des rapports de force politiques tels qu’ils émergent des élections au Parlement européen et parmi les gouvernements européens. Si l’on conteste ces politiques, il ne faut pas incriminer les institutions et leur fonctionnement, mais tout faire pour gagner les élections. L’enjeu pour 2024 ne devrait pas être une répétition en vue de la prochaine élection présidentielle mais bien de proposer un programme politique à déployer au niveau européen.
Serge Le Gal, fonctionnaire européen en disponibilité est ancien chef d’unité adjoint au secrétariat général de la Commission européenne, chargé des relations avec le Parlement européen. Les opinions exprimées dans cette tribune sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de son institution.
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