Vieilles lunes et autres fadaises économiques edit
Durant les primaires du PS, pardon de la BAP, Benoît Hamon n’a cessé de contraster le caractère innovant de ses propositions avec les vieilles idées recyclées par Manuel Valls. Le plus stupéfiant est que Valls n’a jamais su renverser cette contre-vérité. Les propositions phares de Hamon, le revenu minimum et les 32 heures, sont de vieilles lunes et leurs justifications font partie du panthéon des erreurs de raisonnement. Le PS va se noyer dans le Loch Ness à force d’y repêcher le vieux monstre des fadaises économiques.
L’idée de donner à chacun selon ses besoins ne remonte pas seulement à Marx. Au début du 16e siècle, Thomas More l’avait déjà envisagée. Elle est revenue périodiquement depuis lors, faisant l’objet de milliers de publications et de dizaines de variantes. Elle a même été expérimentée à plusieurs reprises, à commencer au Canada dans les années 1970 et existe aujourd’hui en Iran. Elle revit un peu partout dans le monde en ce moment. Rien d’original ou de nouveau donc. Par contre, la compréhension de ce mécanisme a bien avancé. Il est désolant que rien de ce savoir n’ait été mis à profit pendant la primaire sinon que, tel que décrit pas Hamon, c’est horriblement coûteux.
On a compris que la question essentielle concerne l’impact sur l’emploi. Si vous avez le choix entre ne pas être payé sans travailler, et travailler et payer des impôts pour verser un revenu à ceux qui ne travaillent pas, que ferez-vous ? Si un grand nombre de gens choisissent de ne pas travailler ou travailler moins, d’où proviendra l’argent pour financer leur revenu ? La conclusion générale est qu’il est impossible d’établir ce programme sans conditionnalité. Autrement dit, le revenu ne peut pas être universel. Un grand nombre de variantes ont été proposées pour résoudre cette difficulté. La plupart restreignent le versement à ceux qui travaillent, et en réduisent le montant en fonction du salaire. Peu importent les détails, on est loin du revenu universel. En fait, on en revient vite à… ce qui existe déjà, les multiples aides, y compris les retraites, les allocations familiales et les revenus supplémentaires (1). On peut consolider le maquis existant pour réduire les coûts de gestion et éviter les fraudes, mais ces considérations nous éloignent du rêve distillé par Hamon. La Bible nous avait déjà expliqué que nous avons été chassés du paradis pour ne plus jamais y revenir.
L’autre proposition de Hamon, les 32 heures, est encore plus stupéfiante. On a compris, me semble-t-il, que le passage aux 35 heures a été une véritable catastrophe économique. Depuis lors, on a essayé d’en réduire la portée, avec succès puisque la durée moyenne du travail est revenue aux alentours de 39 heures, mais au prix d’un alourdissement du coût horaire du travail, l’une des causes du chômage de masse. Pourquoi en remettre une louche, alors ?
La réponse vient d’une vision extraordinairement passéiste du progrès technologique. Les robots nous volent les emplois, dit Hamon, et donc le travail va se raréfier, il n’y en aura pas pour tout le monde, autant alors se partager ce qui restera. On se croirait revenu aux révoltes des soyeux de Lyon ! Les faits, d’abord. La révolution numérique n’est que la version présente du progrès technologique qui s’est brutalement accéléré au 19e siècle, et qui a d’ailleurs beaucoup ralenti depuis. A-t-on assisté à une hausse permanente du chômage ? Par ailleurs, le progrès avance à peu près à la même vitesse dans les pays développés, et encore plus vite dans certains pays émergents. Certes, le chômage peut avoir augmenté dans certains pays, mais les États-Unis, l’Allemagne, la Suisse ou la Suède sont au plein-emploi. Comment la même cause produirait-elle des effets divergents ? Les raisons de cette divergence sont bien comprises. La première d’entre elles est le marché du travail : là où il est flexible, les entreprises peuvent s’adapter rapidement aux évolutions technologiques, là où il est rigide elles sont prises au piège. La seconde raison est la réglementation des marchés, qui produit des effets similaires.
Le raisonnement sur la quantité de travail disponible est un piège classique. On voit les robots remplacer les employés, mais il faut bien fabriquer et entretenir les robots et les programmes informatiques qui les font fonctionner. Des emplois sont détruits, mais d’autres sont créés. Ceux qui sont détruits, le travail à la chaîne et les tâches répétitives, sont pénibles alors que ceux qui sont créés, le développement d’algorithmes, sont valorisants. En fin de compte, les mutations en cours sont positives et ne peuvent pas plus faire chuter le volume de travail que les métiers à tisser. Certes, ce ne sont pas les mêmes personnes qui perdent leur emploi et qui développent les nouveaux modes de production. Il est important d’accompagner la mutation en cours par des aides diverses à ceux qui en pâtissent, mais ce n’est pas du tout ce dont Hamon nous parle, alors que c’est le vrai sujet. Le progrès technologique a toujours été la source d’élévation du niveau de vie. C’est une opportunité à saisir, pas une menace à éviter. Taxer les robots ou les algorithmes d’intelligence artificielle, donc décourager l’adoption du progrès technologique, en est l’exact contraire. Les enjeux consistent à rendre l’économie plus capable de s’adapter, à former correctement les gens à l’école et tout au long de la vie, et à s’assurer que ceux qui ne peuvent pas suivre puissent vivre dignement.
Les hommes politiques se déshonorent en faisant des promesses qu’ils ne pourront pas tenir. Le PS aurait dû s’en rendre compte après la pitoyable présidence qui s’achève, mais non, la base semble avoir cru les promesses du Bourget et elle est aujourd’hui frustrée, punie de son étrange crédulité. Nous vivons une période étrange où les promesses les plus incroyables, que ce soit celles de Trump ou celles de Hamon, sont prises au sérieux. La question est de savoir pourquoi on assiste à une sorte de retour de l’obscurantisme. La réponse est bien au-delà de mes compétences. Un mot, cependant.
Valls n’a pas engagé le débat, sans doute par calcul politique, de crainte de prendre à rebours les électeurs. Mais ceux qui secouent les raisonnements indigents prétendument populaires, Fillon et Macron, rencontrent un écho spectaculaire. La presse dans son ensemble s’est bien gardée de souligner l’inanité de la vision économique de Hamon. Les réseaux sociaux tournent en boucle des fables. Nous semblons vivre une période de carence de l’information. La révolution numérique a aussi des effets pervers.
1. À la fin du 19e siècle, l’écrivain américain Edward Bellamy, considéré comme un des pionniers du revenu universel, avait décrit l’an 2000 comme celui où l’État fournirait à tous les citoyens de quoi de loger, se nourrir, se soigner et s’éduquer. Mission presque accomplie.
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