Y a-t-il un vote Pirate ? edit
On connaissait le vote de gauche, de droite, du centre, le vote vert et le vote blanc. Il nous faudra peut-être commencer à nous intéresser au vote pirate. En effet, le 4 juillet, le Parti pirate présentera un candidat à la législative partielle des Yvelines. Affilié aux partis pirates nés en Europe en 2006, doté depuis peu d’un comité national, ce parti défend la culture du Net : réforme du droit d’auteur, lutte contre Hadopi, suppression des systèmes propriétaires des licences et des brevets, mobilisation pour les libertés individuelles et la culture pour tous en libre accès (notamment grâce aux biens dématérialisés), transparence de la vie politique (sur les moyens, le cumul des mandats et le recours à l’expertise), utilisation citoyenne des outils de la société de l’information. Certes, ce parti a obtenu seulement 2% des voix en 2009. Ses moyens sont modestes (par exemple il n’a pas réussi à faire imprimer à temps les bulletins de vote) et son influence ne s’exerce guère au delà des communautés technophiles. Pourtant l’esprit pirate a-t-il un avenir ? Certainement.
Trois éléments se croisent et se confortent mutuellement dans « cet esprit du Net ». D’abord, à l’abri des valeurs issues de la généalogie du Net, les opérateurs du numérique résistent vaillamment aux tentatives étatiques d’encadrer leur activité. D’autre part, les partis de gauche, par leurs prises de position sur les dossiers du Net (Hadopi, Loppsi), cautionnent intellectuellement ce mouvement techno-culturel. Enfin, et voilà ce qui laisse présager un destin favorable, une grande partie des jeunes affectionne et cultive l’esprit du Net.
Les opérateurs du Net sont à la manœuvre. Selon leur taille et selon leur lien avec le monde institutionnel, soit ils cherchent à retarder ou contourner la volonté régulatrice des Etats, soit ils se mobilisent pour la torpiller. Dans le cadre d’Hadopi, par exemple, les grands fournisseurs d’accès qui doivent communiquer les identités des abonnés à internet correspondant à des adresses IP, n’ont pas engagé une lutte frontale. Mais ils ont laissé lentement se déliter le sujet. En effet, face à la facilité à dissimuler une signature numérique en usant d’une autre identité, un décret a introduit la notion de « négligence caractérisée » pour non sécurisation d’un accès internet. Le débat s’est alors rapidement éloigné de la question du piratage pour rallier celle d’une obligation de sécurisation (Orange a même proposé ses services en commercialisant un logiciel – retiré au bout de quelques jours pour manque d’efficacité), entrainant alors d’autres débats sur la pertinence et la labellisation de ces fameux logiciels. La présidente d’Hadopi, Marie-Françoise Marais, aurait déclaré : "Les pirates ne sont pas notre cible : ils sont plus forts que nous. Notre cible, ce sont les personnes négligentes ou qui n'ont pas pleinement conscience d'avoir commis une infraction".
Dans ce même registre de la résistance passive, les opérateurs internet ont introduit un recours auprès de la Commission européenne lorsque la loi audiovisuelle a entendu leur imposer une taxe pour contribuer au financement de France-Télévisions. On attend l’issue de ce recours. Une taxe du même ordre est envisagée pour financer la carte musique jeune proposée par la Commission Zelnik. Prévue pour juin 2010, cette carte a pris du retard et n’est pas encore lancée.
Dans une habile distribution des rôles, alors que « les gros » jouent la guerre de position, les « petits » s’agitent. Des cybermilitants (de la Quadrature du Net à la Ligue Odebi) entretiennent la flamme des origines du Net à partir de petites entreprises ou de sites dédiés. Ces thuriféraires, pourtant, n’englobent qu’une modeste peuplade de l’archipel numérique mais ils usent de sa puissance contagieuse, et sont capables de déployer une influence pour faire reculer les tentatives de régulation du Réseau. Toute « menace » politique sur les droits des internautes soulèvent des tempêtes numériques auxquelles le navigateur de base ne saurait échapper. Veille de l’action et des paroles des politiques, mobilisation immédiate par des forums, pétitions, sondages, circulation d’argumentaires, parfois création d’armée numérique pour lancer des attaques virales sur les sites « ennemis », diffusion en temps réel des débats parlementaires accompagnée de commentaires : les sites et les forums qui, en temps ordinaire, vouent déjà une part importante de leur tribune aux « affaires du net », deviennent alors monomaniaques.
Notons que la gauche semble aussi avoir fait sienne la culture du Net. Ainsi lors du débat Hadopi au Parlement, les députés socialistes (Patrick Bloche, Christian Paul) se sont battus sur le front des libertés publiques pour s’opposer au principe du suivi des activités des internautes sur le réseau. En outre, ils ont plus ou moins adroitement soutenu le piratage en arguant que son interdiction réduirait l’accès à la musique des jeunes défavorisés. Enfin, ils se sont rattachés à des idées qui circulent sur le Net à propos de la rémunération des artistes : licence globale, lien direct entre les créateurs et les amateurs de musique, rétributions par des voies indirectes (publicité pour les sites de streaming, concerts dont l’information est popularisée via les sites sociaux). Au final, la gauche a voté contre la loi Hadopi, et lors de chaque épisode du débat parlementaire, elle a accentué sa pression en faveur des logiques propres à la communication internet.
Pour les jeunes le Web est un viatique du quotidien. Les réseaux sociaux figurent comme le troisième usage du Net en Europe, après les messageries et la recherche d’informations. Le Web incarne ainsi une sphère d’investissement affectif, un espace de relations avec des pairs, une niche protégée du regard des adultes où l’on s’exprime, se dévoile, se met en scène, où l’on jongle avec les facettes de son identité. Il véhicule des idéaux prisés par la jeunesse, comme l’échange convivial et désintéressé ainsi qu’une réciprocité fraternelle. Ici, dans son sens altruiste, la notion de gratuité est sublimée. Et la sensibilité libertaire, avec ce qu’elle comporte de potentialité populiste, de rage contre les puissants, trouve dans l’humus numérique un terreau fertile.
Cette humeur politique est-elle si nouvelle ? De fait, le web n’innove pas mais retravaille et amplifie des modes d’expression qui ont explosé dans le contexte du post-modernisme : le fun et la dérision à l’égard de la scène politique traditionnelle, la confiance accordée à la parole des individus ordinaires, l’indignation contre le sort subi par « les petits ». Tous ces éléments entrent en congruence avec la sensibilité des jeunes, ces générations prises entre les délices du consumérisme et l’âpreté de la compétition pour les places – une compétition organisée en France sous l’égide de la tyrannie du diplôme initial. En temps ordinaire cette humeur conduit à la démobilisation politique, et à la défiance à l’égard des partis. Mais au moment des élections elle peut s’éparpiller dans plusieurs directions : vers la gauche, l’extrême gauche et l’écologie… ou en faveur des frais émoulus partis « pirates ». Les pirates ne gagneront pas forcément des élections mais l’esprit pirate a de beaux jours devant lui.
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