Écologie et démocratie. À propos d’une tribune de scientifiques sur la crise écologique edit
La tribune signée dans le journal Le Monde du 20 février 2020 par 1000 scientifiques de disciplines et de statuts très divers[1], dénonce l’inaction des gouvernements face à l’urgence écologique et prône la « rébellion » et la « désobéissance civile ». Le constat sur lequel se fondent les signataires et qui porte essentiellement sur la question climatique est très sombre, voire apocalyptique. Selon eux, le réchauffement prévisible remettrait en question « l’habitabilité de la France » à cause des « niveaux de température et d’humidité pouvant provoquer le décès par hyperthermie ». Même si l’évolution climatique est préoccupante, il est probable que tous les scientifiques ne partagent pas une vision aussi sombre. Mais l’essentiel n’est pas là.
Le point qui pose problème dans cette tribune n’est pas tant celui du diagnostic – il y a aujourd’hui un consensus scientifique sur le réchauffement climatique et sur l’impact des activités humaines – que celui des choix politiques que les signataires en tirent. En effet ces derniers remettent en cause « les objectifs de croissance » défendus par le « gouvernement » (mais en réalité par tous les gouvernements qui se sont succédé depuis la Libération) et prônent un « changement radical de modèle économique et productif ». Les auteurs ne sont pas très diserts sur ce que recouvre exactement ce changement radical, mais on comprend bien qu’il conduit, en renonçant à la croissance économique, à abandonner le mode de vie auquel, jusqu’à présent, les citoyens ont aspiré en améliorant leur pouvoir d’achat et en accédant aux biens de consommation et aux biens d’équipement des ménages : « notre mode de vie actuel et la croissance économique ne sont pas compatibles, écrivent-ils, avec la limitation du dérèglement climatiques à des niveaux acceptables ». Enoncée ainsi la phrase est floue : jusqu’à quel degré et en quels domaines le mode de vie des Français doit-il être révisé ? Les auteurs de la tribune se gardent bien d’entrer dans ces détails pourtant cruciaux.
Mais surtout les signataires laissent totalement de côté la question du consentement des citoyens. Ce n’est, en effet, pas une mince affaire que de renoncer à ce qui a constitué, depuis des siècles, l’objectif de la plupart des êtres humains : chercher, surtout pour les plus pauvres, à gagner plus d’argent pour améliorer ses conditions de vie en acquérant des équipements qui permettent de réduire les contraintes des tâches domestiques, permettent de se déplacer rapidement, de communiquer avec les autres même lorsqu’ils sont éloignés, d’accéder à la connaissance et aux informations et de se distraire à travers le déploiement des technologies de l’information et de la communication. Les auteurs ne précisent pas, encore une fois, quels sont ceux de ces biens auxquels il faudrait renoncer, mais l’objectif est clair, il est d’inverser la tendance et de stopper la croissance économique, le progrès technologique, en abandonnant par exemple, disent-ils, « des technologies superflues et énergivores comme la 5G ou la voiture autonome ».
Le problème est que les Français sont attachés à l’amélioration du pouvoir d’achat et que le renoncement à la croissance économique entraîne inévitablement l’abandon de cet objectif qui est en tête des préoccupations de la plupart des gens. Ajoutons qu’il conduirait à la croissance du chômage et donc à une augmentation de la pauvreté. Les auteurs de la tribune prônent une évolution des modes de vie « vers plus de frugalité ». La crise des Gilets jaunes a montré à quel point il était pourtant difficile d’engager la société vers des objectifs écologiques dès qu’ils impactent la vie quotidienne (ce qu’ils ne peuvent manquer de faire si l’on veut qu’ils soient efficaces) et lorsqu’ils ne résultent pas d’un consensus démocratique dûment validé. Ayant sans doute conscience de cette difficulté illustrée par le mouvement des Gilets jaunes, les auteurs de la tribune la contournent avec une solide mauvaise foi : « le mouvement des Gilets jaunes », écrivent-ils, « a dénoncé à juste titre l’inconséquence et l’hypocrisie d’une politique qui voudraient d’un côté imposer la sobriété aux citoyens tout en promouvant de l’autre un consumérisme débridé et un libéralisme économique inégalitaire et prédateur ». Si l’on comprend bien les gens ne sont que le jouet passif d’une manipulation consumériste. On aimerait voir comment cette assertion serait accueillie par un groupe de gilets jaunes ! Quant à l’idée « d’imposer la sobriété aux citoyens », que propose d’autre cette tribune ?
S’orienter vers une société « frugale » peut être effectivement un objectif politique. Mais a-t-il été présenté aux citoyens et l’ont-ils approuvé ? Le programme d’Europe écologie les Verts, par exemple, est loin d’être aussi radical que ce que préconise cette tribune. Il propose certes « la transition écologique de l’économie », mais à travers « la réindustrialisation des territoires et la relocalisation » par « une planification écologique souple, capable d’organiser la programmation des investissements, de dégager les financements adaptés et de hiérarchiser les projets industriels. » Et, en ce qui concerne la consommation, le programme d’EELV est exclusivement centré sur la consommation énergétique en proposant une « politique de sobriété et d’efficacité énergétique dans tous les secteurs d’activité » pour « réduire la consommation d’énergie ». Rien de tout cela n’équivaut au tournant radical défendu dans la tribune du Monde. Cette ligne modérée et centrée sur l’écologie plus que sur un projet de société radical, défendue par Yannick Jadot, a permis à EELV de réaliser un bon score aux dernières élections européennes : 13,5%, beaucoup mieux qu’en 2014 (8,9%).
L’écologie politique est traversée de multiples courants dont certains semblent s’engager dans une radicalisation des moyens d’action. Dans leur appel à la « rébellion » les auteurs de la tribune font référence à certains de ces mouvements dont Youth for Cimate et Extinction Rebellion qui viennent de se distinguer en saccageant les locaux du siège parisien de BlackRock, une société américaine de gestion d’actifs. Est-ce le type d’actions auquel appellent les auteurs de la tribune lorsqu’ils parlent de « désobéissance civile » ?
[1] Parmi les signataires on trouve des écologues, des biologistes, des astrophysiciens, des climatologues (mais sauf erreur aucun climatologue de référence), des géographes, mais aussi quelques sociologues, historiens et politistes. Les signataires sont professeurs d’université ou chercheurs, mais aussi ingénieurs d’étude ou de recherche, maîtres de conférence, ATER, doctorants ou post-doctorants.
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