L’échec de l’éducation prioritaire: symptôme d’un mal français edit

16 novembre 2018

L’éducation prioritaire, c’est-à-dire le dispositif qui consiste à allouer plus de moyens aux établissements scolaires situés dans des zones du territoire connaissant plus de difficultés et obtenant des résultats scolaires inférieurs à la moyenne nationale, n’a pas obtenu de résultats significatifs. Ce résultat est connu de longue date. Roland Bénabou, Françis Karmarz et Corinne Prost[1] l’avaient déjà établi à propos des ZEP (Zones d’éducation prioritaire) en 2004 (sur la période 1982-1992). La Cour des comptes, dans un récent rapport (L’éducation prioritaire, octobre 2018) le confirme à nouveau en se fondant sur de nouvelles études, menées notamment en partenariat avec l’Ecole d’économie de Paris.

L’objectif du dispositif est de réduire à moins de 10% les écarts entre élèves scolarisés en éducation prioritaire et les autres dans la maîtrise des compétences de base en français et en mathématiques sans que les résultats globaux ne baissent. Il est loin d’avoir été atteint. Depuis 2007, d’après les travaux de la Cour des comptes, cet écart n’a pas été réduit et reste stable et très élevé : proche de 20% en français, il s’est même creusé en mathématiques (dépassant les 35% à partir de 2011). L’échec est donc flagrant et très dommageable puisque c’est un des principaux instruments visant à rétablir ou améliorer l’équité scolaire qui semble inopérant alors que 1,4 milliard d’euros est consacré à cette politique (le surcoût de l’éducation prioritaire en 2016). Cet échec est probablement un des facteurs importants expliquant les performances médiocres de la France dans les enquêtes PISA de l’OCDE qui montrent que notre système éducatif se caractérise par un poids plus important qu’ailleurs de l’origine socio-culturelle des élèves sur leur réussite et qui montrent par ailleurs que les écarts entre les meilleurs élèves et les moins bons se sont accrus.

Comment l’expliquer ? Plusieurs points-clefs ressortent du rapport de la Cour des comptes.

Une politique mal ciblée

Un premier point très important est que cette politique est mal ciblée. Sans doute pour des raisons politiques et également du fait l’absence d’un véritable dispositif d’évaluation, elle concerne un trop grand nombre d’établissements tout en laissant de côté une partie importante des élèves socialement défavorisées (près de 70% selon la Cour des comptes !). Cet écueil tient également à la conception territorialisée de l’éducation prioritaire et au caractère binaire de l’allocation des moyens. Cela contribue à exclure un grand nombre d’élèves dont les profils justifieraient qu’ils bénéficient d’aides spécifiques mais qui ne le peuvent pas, du fait de la localisation de leur établissement.

Parallèlement les moyens alloués à cette politique ont été dilués du fait de l’extension continue du nombre d’établissements concernés : le nombre de collèges en éducation prioritaire a doublé entre les années 1980 et 2017 (de 500 à 1097). Ainsi, la réduction du nombre d’élèves par classe, un instrument réputé efficace, est restée limitée : l’écart est de 4 élèves par classe entre REP+ et hors éducation prioritaire au collège (de 25 à 21 élèves). Ce ciblage trop large et mal défini rate son objectif. Il ne permet pas de concentrer des moyens importants sur les élèves les plus en difficulté.

Cette politique territorialisée (qui caractérise également la « politique de la ville ») a un autre inconvénient. Elle crée probablement un effet de stigmate qui génère des stratégies d’évitement des familles et des enseignants.

Il serait donc pertinent, comme le propose la Cour des comptes, de sortir de ces dispositifs binaires et territorialisés pour réduire les effets de seuil et établir un continuum dans l’allocation des moyens. La Cour propose ainsi de moduler les moyens alloués de façon progressive en fonction de l’indice synthétique de difficultés sociales et scolaires[2] établi par le Ministère de l’éducation nationale. Les établissements recevraient une aide à due-proportion de leur niveau de difficultés.

Un «effet maître» inefficient voire contreproductif

Un des leviers importants d’une politique d’équité scolaire consiste à affecter aux établissements accueillant une population défavorisée des enseignants motivés, bien formés et expérimentés. Or, sur ce plan également la politique d’éducation prioritaire rate complétement l’objectif. La faute n’en incombe évidemment pas aux enseignants eux-mêmes mais à la politique structurelle d’affectation dans le système « éducation nationale ». Cette politique repose principalement sur un critère d’ancienneté pour classer les vœux d’affectation des enseignants. Le résultat est imparable : les enseignants ayant le plus d’ancienneté peuvent « éviter » les établissements les plus difficiles, dont évidemment ceux de l’éducation prioritaire, bien repérables du fait de leur labellisation, tandis que les plus jeunes et les moins expérimentés y sont affectés prioritairement. Les personnels non titulaires (contractuels) y sont également plus présents et les absences plus fréquentes et moins souvent remplacées.

Les incitations financières (une prime de 2000€ par an et des décharges de service) qui visent à compenser ce défaut d’attractivité n’ont jusqu’à présent pas produit d’effets significatifs. On voit bien, que le système d’affectation devrait être repensé en profondeur, notamment en donnant plus d’autonomie aux chefs d’établissements pour recruter des enseignants sur des « postes à profil » et en améliorant significativement le régime indemnitaire des enseignants en éducation prioritaire (ce que propose la Cour notamment en introduisant des parts variables dans la rémunération en fonction de l’investissement individuel et de l’implication au sein des équipes pédagogiques).

Créer un véritable dispositif d’évaluation

Une politique d’équité scolaire ne peut fonctionner efficacement sans une évaluation systématique et régulière de ses résultats pour identifier les bonnes pratiques et allouer au mieux les moyens, ce qui fait défaut actuellement. Selon la Cour, des tests standardisés dématérialisés devraient être menés de façon systématique auprès des élèves et alimenter des bases de données exhaustives sur les élèves et les établissements de façon à produire des indicateurs de valeur ajourée des établissements et des réseaux.

Au total, la lecture du rapport de la Cour des comptes sur l’éducation prioritaire livre un concentré des défauts structurels du système éducatif français dont les principaux sont un centralisme uniformisateur et une gestion bureaucratique des personnels qui ne répondent plus aux exigences de pédagogies différenciées et de souplesses locales qui sont celles de l’école de masse et de ses profils d’élèves de plus en plus différenciés. Le mot d’ordre devrait être de favoriser les initiatives de terrain en donnant une plus large autonomie aux acteurs locaux, en encourageant leur coopération à l’échelle locale, tout en évaluant rigoureusement leurs résultats.

 

[1] « Zones d'éducation prioritaire : quels moyens pour quels résultats ? » Economie et statistique, n°380, 2004. pp. 3-34

[2] Cet indice est fondé sur quatre paramètres : la part d’élèves appartenant aux catégories socioprofessionnelles défavorisées, le nombre d’élèves boursiers, la part d’élèves résidant en ZUS, la part d’élèves arrivant en 6ème avec au moins un an de retard.