Les médias numériques après la pandémie edit
Le rapport annuel du Reuters Institute d’Oxford sur l’évolution des médias numériques est consulté avec un grand intérêt par les observateurs du monde entier. Cette année il vient juste d’être rendu public avec deux mois de retard pour tenir compte des séquelles de la pandémie. Il nous fournit de multiples données sur l’essor et la diversité de l’information numérique que le confinement généralisé a fortement stimulé.
Comment réagissent les consommateurs d’information face à l’afflux de nouvelles plus ou moins vérifiées, diffusées par un nombre croissant de canaux ? Le rapport du Reuters Institute apporte une réponse mitigée. D’un côté, un nombre croissant d’usagers accepte de payer pour disposer d’informations sérieuses et fiables. C’est le cas de 20% des Américains et de 10% des Français et des Allemands. Néanmoins, environ 50% du public refuse toute idée de paiement. Les médias traditionnels ont donc encore un long chemin à parcourir avant de convaincre de la nécessité de s’abonner même si le confinement a permis une progression de plus de 50% des abonnés numériques pour des titres comme Le Monde ou Ouest France.
La suprématie des réseaux sociaux
Le rapport constate par ailleurs que l’évolution des usages se poursuit selon les mêmes tendances que les années précédentes. Entre 2013 et 2020, la part de la télévision est passée de 82 à 72% ; celle des journaux imprimés a chuté encore plus, de 63 à 26% ; les réseaux sociaux eux sont passé de 18 à 39%.
Au sein des réseaux sociaux, Facebook, consulté surtout par un public âgé, plafonne. Heureusement pour Mark Zuckerberg, ses deux filiales, Instagram et WhatsApp sont de plus en plus regardés par les jeunes qui apprécient la possibilité de multiplier les envois d’images et de créer des boucles au sein desquelles ils peuvent échanger les informations. On voit aussi apparaître Tik Tok, le nouveau site ludique d’origine chinoise qui s’adressait initialement aux adolescents et qui commence à servir de moyen de communication pour près de 10% des moins de 25 ans.
Toutefois, la période de la pandémie a entrainé des modifications significatives dans les modes de consommation de l’information. On a assisté à un retour en force de la télévision avec notamment des niveaux d’audience exceptionnels pour les interventions des dirigeants politiques tels que Boris Johnson au Royaume Uni ou Emmanuel Macron en France. Néanmoins les moins de 35 ans ont continué à donner la priorité à la consultation de l’information sur Internet. Au Royaume Uni par exemple, en avril 2020, 90% des moins de 35 ans se sont informé sur Internet et 56% seulement ont regardé la télévision. Pour les plus de 55 ans les pourcentages étaient respectivement de 68 et 81%.
Les sites d’information ont constitué un moyen apprécié de suivre l’actualité du coronavirus, avec 59% d’avis favorables. En revanche, les seuls réseaux sociaux tels que Facebook et Twitter ont été jugé moins crédibles avec 26% seulement d’opinions favorables. Cela n’a pas empêché un quart des personnes consultées d’utiliser des boucles WhatsApp pour échanger des informations sur la pandémie, signe de l’enracinement des messageries dans les mentalités et les usages.
Une faible confiance dans les médias
On a donc consommé beaucoup d’information ces derniers mois. Cela ne s’est pas traduit pour autant par un retour en grâce des médias. Le rapport constate que la baisse de confiance se poursuit inexorablement au fil des années. Pour l’ensemble des pays consultés, ce niveau de confiance baisse de 4% par rapport à 2019, passant de 42 à 38%. Il en va de même pour les médias utilisés habituellement par les usagers : 46 contre 49. La confiance dans les réseaux sociaux reste très faible : 22%. Si on considère les résultats par pays, le contraste est saisissant entre l’Allemagne qui affiche un niveau de confiance dans les médias de 45% et le Royaume Uni et la France avec des taux respectifs de 28 et 23%.
Il est assez logique dans ces conditions que les usagers préfèrent des sources d’information qui n’ont pas d’orientation politique affichée. C’est le cas de 80% des Allemands, de 60% des Américains et de 58% des Français. De même, dans la plupart des 40 pays qui font l’objet de l’étude, un pourcentage élevé d’usagers se préoccupe de l’ampleur des fausses nouvelles diffusées sur Internet. C’est le cas de 67% des Américains, de 63% des Britanniques et de 62% des Français. Seule exception parmi les grands pays occidentaux, l’Allemagne avec 37%.
Il n’est pas surprenant non plus que le soupçon de manipulation se porte surtout sur les réseaux sociaux : 40% des personnes interrogées s’en méfient contre 20% pour les sites d’information et 14% seulement pour les messageries, probablement parce que celles-ci transmettent leurs informations dans des cercles d’amis ou de proches en qui on a spontanément confiance. Parmi les plateformes, c’est Facebook qui est la plus suspectée signe d’une crise qui dure depuis des années et qui devrait préoccuper Mark Zuckerberg.
Cet ensemble de données montre que le public ne nourrit pas beaucoup d’illusions à l’égard des réseaux sociaux. Néanmoins le rapport souligne une fois de plus qu’il y a un écart entre les jugements et les comportements. Quand il s’agit de consulter l’information sur Internet, 28% vont directement sur les sites d’information mais 26% passent par les réseaux sociaux et 25% par les moteurs de recherche et donc Google. Chez les moins de 24 ans, la génération Z, les chiffres sont encore plus révélateurs : 16% seulement passent par les sites contre 38% pour les réseaux sociaux et 25% pour les moteurs de recherche. Les médias traditionnels qui ont beaucoup investi dans leurs sites ne peuvent que constater qu’ils restent très dépendants de Facebook, Google et You Tube et qu’ils doivent déployer de nouveaux efforts pour obtenir l’adhésion directe des jeunes générations.
Un instrument pertinent de contact est l’envoi par les journaux d’e-mails et de lettres numériques d’information. 21% des Américains déclarent les consulter contre seulement 15% pour les Français et 9% pour les Britanniques. Pour les alertes sur mobile, on aboutit à des chiffres comparables. Ce sont des résultats décevants et qui n’ont pas varié au cours de ces cinq dernières années.
Un autre défi pour les médias qui veulent survivre dans le numérique est l’évolution rapide des attentes des usagers. En termes de contenus, on assiste à l’essor de l’audio grâce au succès croissant des podcasts. De même, la vidéo est devenue un instrument majeur d’information. 68% des Américains y font appel contre 48% des Français et 43% des Allemands. Ces consultations se font de plus en plus sur les smartphones qui ont largement supplanté les ordinateurs. En 2020, environ 60% des Américains, des Français, des Britanniques ou des Allemands les consultent pour s’informer. En 2013, ils étaient moins de 30%.
La bataille de la crédibilité profite à un nombre limité de titres
Le rapport Reuters, en conclusion tente de tirer les premières leçons de la crise engendrée par la pandémie. Il souligne que les conséquences économiques pour l’ensemble des médias ont été considérables et se traduiront inéluctablement par d’importantes réductions d’effectifs. Surtout les médias numériques devront accentuer un effort entamé depuis plusieurs années pour développer les services payants afin de compenser la chute croissante de la publicité qui disparait sans espoir de retour. Cependant, l’importance qu’accordent les usagers à la qualité et à la fiabilité de l’information favorise la concentration des supports. En effet, un nombre réduit de titres, en Amérique et en Europe a les moyens de proposer une offre crédible et donc de bénéficier de la progression des abonnements. L’exemple du New York Times qui domine le marché américain avec ses quatre millions d’abonnés est évidemment présent dans tous les esprits.
Les grandes tendances illustrées dans ce rapport montrent aussi que le poids des plateformes numériques et des agrégateurs d’information comme Google et Apple news reste inchangé. Les jeunes générations sont massivement attachées aux réseaux sociaux tels qu’Instagram, Snapchat ou Tik Tok ainsi qu’aux boucles des messageries de What’sApp qui ont de plus en plus de succès. C’est un défi redoutable pour la presse qui doit non seulement conforter l’audience de ses sites d’informations mais essayer d’éviter d’être trop dépendante des intermédiaires numériques qui sont plébiscités par les plus jeunes et détournent à leur profit l’essentiel de la publicité numérique.
Les prochains mois vont donc être décisifs pour l’industrie des médias.
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