Les mutations de la famille au prisme des couples présidentiels edit
On le sait, la famille a considérablement évolué, ne serait-ce que depuis le milieu du 20e siècle. Les comportements et la démographie ont changé. Le droit s’est adapté. Les familles sont plus diverses, et reconnues dans leur diversité. Une manière classique de voir est de passer par les courbes et tables statistiques. Une autre, plus originale, est d’observer rapidement les couples présidentiels.
Trois révolutions toujours à l’œuvre: biotechnologies, amour et droit
Principal inspirateur des réformes du droit de la famille à partir des années 1960, le juriste Jean Carbonnier a inspiré et parfois rédigé les importantes lois, sur le divorce ou sur l’autorité parentale, qui ont transformé la famille du Code civil. En 1970 le remplacement de la notion de « puissance paternelle » par celle d’autorité parentale avait été saluée par le doyen Carbonnier comme « l’entrée de la démocratie dans la famille ». « Famille, a-t-il ainsi écrit dans son Flexible Droit, si les savants d’il y a cent ans se demandaient d’où elle venait ; ceux d’aujourd’hui se demandent plutôt où elle va ».
En matière familiale le droit, désormais, cherche davantage à protéger qu’à instituer. C’est certainement moins la préservation de l’institution familiale elle-même qui importe que la liberté et la protection des droits de l’individu. La neutralité de l’Etat, associée à une baisse de l’influence de l’Église, est allée croissante dans la détermination des comportements familiaux, avec un passage général du façonnage des mœurs au simple alignement sur leurs évolutions. Les politiques sont globalement passées, qu’il s’agisse du droit civil ou du droit social, d’une unité de compte et d’action qui était la famille en tant que telle à des modèles où l’unité de compte et d’action devient l’individu.
La famille, plus qu’un socle de normes collectives devient un lieu de contractualisation et d’échange, permettant des arrangements privés entre particuliers. Le sentiment amoureux, plus que la stabilité et le statut, ont progressivement pris place comme principal fondement des unions.
Pour condenser les évolutions familiales, on peut schématiquement recenser trois grandes révolutions. Elles incarnent d’importants changements aux multiples conséquences sur les formes familiales, sur les modalités de leur constitution, et sur la vie quotidienne en leur sein.
Révolution biotechnologique. La contraception a révolutionné la vie des femmes. La science permet ainsi à la sexualité de ne plus être forcément attachée à la reproduction. Elle permet aussi, symétriquement, avec la procréation médicalement assistée (PMA), à la reproduction de se passer de sexualité. La sexualité est dissociée de la procréation, tandis que la conjugalité est associée à la volupté. Encore dans le domaine technique, l’identification génétique a considérablement progressé – avec toujours, en trame, de robustes discussions éthiques. L’établissement du lien de filiation paternelle est désormais, biologiquement, indiscutable. Alors que le vieil adage « mater semper certa est » soutenait que l’on était toujours certain de la mère, c’est le contraire qui se profile. Par test génétique, on peut être absolument assuré de la paternité, quand la maternité devient, elle, juridiquement plus problématique (cas des mères « porteuses » par exemple dans le cas de la gestation pour autrui - GPA). Le mariage qui, historiquement, instituait juridiquement la filiation paternelle par le jeu de la présomption de paternité (les enfants de l’époux sont ceux de son épouse), est, sur ce point, mis en question. Le mariage est dissocié de la paternité.
Révolution amoureuse. La famille, et, en son sein, le mariage, ont connu une transformation radicale par passage du mariage arrangé (entre deux statuts) au mariage d’amour (entre deux personnes). La famille devient affaire de sentiment, quand il s’agit de sexe, de bonheur et d’enfant. Plaisir et jouissance sont érigés en conditions de réalisation de soi. C’est, plus globalement, le bonheur qui est avancé et célébré en tant qu’objectif cardinal d’une existence. La bonne entente amoureuse, complémentaire ou non d’une bonne entente sexuelle, devient déclencheur, liant et raison d’échec des unions. Autre objet de sentiment, l’enfant, qui devient plus rare et qui arrive plus souvent en étant désiré, est l’objet de toutes les attentions. Il n’est plus un chaînon entre les générations mais d’abord un projet de bonheur. L’amour réciproque du conjoint et de l’enfant doit rendre heureux. À défaut, si l’ensemble n’épanouit pas, les séparations sont acceptables. Si les séparations sont plus aisées, les liens sont, en théorie, renforcés à l’égard des enfants. Il y a dissociation du couple conjugal (qui peut se défaire en raison de la quête du bonheur) et du couple parental (que l’on veut faire subsister dans l’intérêt des enfants).
Révolution juridique. Le droit voulait limiter les effets de la précarité des sentiments. Il s’efforce à présent de suivre les vicissitudes conjugales. Surtout, il avance en traduisant et en assimilant les aspirations grandissantes à l’égalité. Il suffit de rappeler qu’avant 1965, le mari était seigneur et maître de la communauté. L’effacement progressif du patriarcat et l’abandon des références au chef de famille se sont accompagnés d’une égalisation (certes toujours imparfaite) des positions des hommes et des femmes, mais aussi des enfants (qu’ils soient naturels, légitimes ou adultérins). La famille traditionnelle ne se comprenait qu’organisée autour du mariage. Unions libres et concubinages ont été tolérés et reconnus. Monoparentalité, recompositions et homoparentalité se sont imposés comme sujets de société appelant des transformations du droit. L’ensemble des mutations est d’une telle importance que l’on appelle désormais famille « traditionnelle », un couple « intact » de parents biologiques (en principe), quelle que soit la forme de leur union. Droit civil et droit social, mais aussi appareil statistique, se sont aussi adaptés à la non concordance systématique entre le fait de vivre ensemble et de constituer véritablement une famille. Il y a dissociation possible entre le logement et la famille.
Ces trois ensembles décrivent des bouleversements qui ont vu l’attention se centrer successivement sur la famille (comme institution intangible à protéger), puis sur le couple (considéré comme lieu de réalisation de soi) et, enfin, sur l’enfant.
La diversité des formes de famille s’est imposée. C’était un enjeu idéologique puissant que de savoir s’il était possible de décliner famille au pluriel. Nombre de critiques et de réserves soutenaient qu’il était impropre de dire famille « recomposée » ou « monoparentale » pour les réseaux formés par les couples et individus vivant avec des enfants ne vivant pas avec leurs deux parents. L’affaire semble plutôt bien entendue maintenant. Le pluriel, célébré par certains, regretté par d’autres, est largement accepté.
Le pluralisme est donc de mise. Pour autant c’est la famille, dans son singulier, qui reste placée au premier rang des valeurs. Les diverses familles sont acceptées. C’est sa famille que l’on aime.
Les couples présidentiels : modèles et illustrations
En complément des analyses savantes et des données et graphiques sur l’évolution des familles, les images parlent. Sans qu’il s’agisse d’exemples ou d’incarnations typiques de ce que sont les familles en France, l’évolution des couples des présidents de la République donnent une indication très nette sur ce que sont les évolutions des mœurs et des comportements en matière familiale. On se permet ce petit parcours historique par l’image avec quelques commentaires.
Et à l’avenir ? L’exercice de prospective est compliqué, moins peut-être pour les évolutions familiales que pour le prochain couple présidentiel. Il est aisé de raisonner, pour la famille, selon trois formats. Le plus classique est de prolonger les tendances récentes. Et la conclusion serait sans appel : un éclatement définitif et une explosion des formes familiales dans une infinie diversité. Une variante est d’entrevoir une stabilisation de ce mouvement de transformation. Une autre option, plus originale est d’envisager un frein aux transformations et un retour aux sources. Mais l’avenir n’est écrit nulle part. Il est en tout cas certain que les Français ont accepté la diversité des structures familiales de leur président.
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