Qui veut souffler les trente bougies du RMI? edit
Le revenu minimum d’insertion (RMI) a fêté, ce 1er décembre, son trentième anniversaire. Il avait franchi ses vingt ans en devenant, le 1er décembre 2008, le revenu de solidarité active (RSA). Pour ses quinze ans, en décembre 2003, il avait été décentralisé et confié, en partie, aux départements. En trente ans, la prestation, plusieurs fois retouchée, a beaucoup déçu.
La désillusion, qui affecte certainement plus les gestionnaires que les allocataires, procède d’un constat très simple : l’allocation, régulièrement reformatée, n’a jamais réussi à atteindre son objectif d’éradication de l’extrême indigence. Renommée et reconfigurée, étendue ou restreinte selon les époques, elle a accompagné bien des évolutions de la société française.
L’histoire de la prestation trentenaire est ponctuée de controverses qui sont toujours d’actualité. Il en va de savoir qui doit la gérer : l’État, les caisses de sécurité sociale, les collectivités territoriales ? Mais ce sujet de gouvernance, qui intéresse aujourd’hui des départements financièrement exsangues, n’est, au fond, pas de première importance. Il en va, également, de questions d’emploi, avec la problématique éternelle des effets désincitatifs à l’emploi des prestations d’aide sociale. Il en va, encore, de thèmes aussi techniques que philosophiques comme celui de la ressource à affecter à un tel budget. Il en va, enfin, du montant de la prestation. Son pouvoir d’achat, dans sa formule basique, a relativement décroché par rapport au SMIC. Mais pour en avoir une appréciation exacte, il faudrait resituer son évolution dans celle, plus générale, du système de redistribution qui, sur trente ans, a beaucoup changé.
Il est en tout cas certain que le RMI/RSA a parfaitement changé la vie des plus pauvres, en tout cas de ceux qui peuvent prétendre à ce revenu. La création du RMI est une date majeure dans la lutte contre la pauvreté. Il y a, incontestablement, un avant et un après en ce qui concerne la situation objective, sur le plan monétaire, des moins favorisés.
Voté à la quasi-unanimité à l’Assemblée nationale, le projet avait fait l’objet d’un beau discours par le Premier ministre. Évoquant un « nouvel espoir », Michel Rocard soulignait une innovation de portée considérable, comparable à la généralisation de la sécurité sociale. À une période de préoccupations et d’innovations tous azimut autour de ce que l’on baptisait « nouvelle pauvreté », Coluche avait créé les Restos du Cœur et les gouvernements cherchaient à agir. Gauche et droite s’accordaient sur la nécessité d’expérimenter et d’investir contre la précarité. Ainsi la création du RMI a-t-elle reposé sur une très large approbation politique. La dispute a cependant très rapidement repris, dès 1988, quand il s’est agi de financement. En effet, alors que le précédent Premier ministre Jacques Chirac avait fait voter, en 1986, l’abrogation de l’impôt sur les grandes fortunes (IGF), les socialistes, revenus aux affaires, le rétablissent sous le nom d’ISF (impôt de solidarité sur la fortune). L’introduction du mot « solidarité » dans le nom n’est pas anodin. Car cet ISF a pour fonction alors, entre autres, de financer ce nouveau RMI. La prestation faisait bien l’objet d’un assentiment et même d’une sorte de belle harmonie politique. Mais la contribution qui la permettait ouvrait sur des luttes partisanes anciennes, appelées à s’approfondir ensuite, et à rebondir aujourd’hui alors que la liaison entre RMI et ISF (devenu impôt sur la fortune immobilière – IFI) est formellement coupée.
Le RMI, avec sa visée de respect de la dignité humaine et sa place d’étage de base de la protection sociale, compte assurément parmi les rares réformes d’envergure du modèle social. Dès son discours à la tribune de l’Assemblée, Michel Rocard déclarait vouloir faire attention à ne pas « créer des abonnés de l’assistance ». Aujourd’hui, la critique est féroce. Le RSA symboliserait les dérives de l’assistanat. C’est en tout cas ce que répète à l’envi Laurent Wauquiez. Celui qui fut, en 2005, dans une commission présidée par Martin Hirsch, l’un des artisans du RSA, incarne cette condamnation. Avec des arguments parfois pernicieux, d’autres parfaitement audibles.
Le grand fond de l’affaire est que le RMI/RSA n’a pas permis ce qu’il promettait : l’extinction de la grande pauvreté et de la mendicité. Il faut se souvenir que l’un des objectifs assignés, en 1988, à cette innovation consistait à « obvier à la mendicité ». Le législateur avec cette expression reprenait, dans les rapports préalables à la loi, une formule issue de la période révolutionnaire. Le RMI reposait également sur des expérimentations menées avec ATD Quart-Monde qui avaient permis aux bénéficiaires, selon le titre d’un rapport, « Un an sans retourner chiner », c’est-à-dire sans fouiller dans les poubelles. Il suffit de constater l’état des rues et les tensions sur les budgets des ménages plus précaires pour considérer que l’objectif révolutionnaire d’en finir avec la manche et les activités dégradantes n’a pas été atteint. Ce qui attriste forcément.
La trajectoire du RMI, sur ces trois décennies, se jalonne de moments d’exaltation et de révision. Alors que l’une des perspectives contemporaines, annoncée pour 2020, porte sur la création d’un « revenu universel d’activité », on oublie rapidement que le RMI avait été revu en ce sens au début des années 2000. Était ainsi né, au moment où on décentralisait le dispositif originel, le « revenu minimum d’activité » (RMA), aujourd’hui totalement oublié. Complétant le RMI, sans le remplacer, ce RMA a rapidement échoué. Extrêmement sophistiqué, ce RMA n’a concerné qu’un nombre très restreint d’allocataires. À peu près autant que le nombre total des parlementaires, qui se sont longuement écharpés à son sujet.
À chaque fois présentées comme des réformes majeures, les transformations du RMI bousculent des principes et des institutions. Si le RMI avait fait dans son principe consensus, il n’en a pas été de même pour le RMA et pour le RSA. Dans les deux cas des oppositions se sont exprimées de manière passionnée.
Toutes les argumentations techniques ou polémiques relèvent d’une même problématique, celle des liens entre activités et garantie de ressources. Dès sa conception ont été adjoints au RMI des dispositifs cherchant à inciter au mieux les allocataires à se replacer ou se placer pour la première fois sur le marché de l’emploi. De fait, le souci de lien avec l’activité, d’« activation » dit-on, a toujours été présent.
Ces prestations ont été élaborées avec un double souci : garantir un revenu minimum, inciter à la reprise d’activité. Or les deux objectifs entrent nécessairement en contradiction, sur le papier comme dans la réalité. D’où des projets alternatifs, à faisabilité discutable, comme le revenu universel (sans être « d’activité ») ou l’impôt négatif. L’ensemble alimente l’usine à gaz socio-fiscale et douche d’une redoutable complexité tous les enthousiasmes réformateurs.
Reste les principaux concernés. Au moment de souffler les trente bougies du RMI, les allocataires continuellement dans le dispositif depuis l’origine se comptent sur les doigts de deux ou trois mains (on en recense une quinzaine). Le stock trentenaire, si on peut dire, est très réduit. Mais le flux, sur la période, aura été considérable. Plus d’une personne sur dix vit actuellement ou a vécu un moment de sa vie dans un foyer dont l’un des membres touche ou touchait ce revenu minimum. Ce qui, en 1988, ne devait toucher, selon les prévisions de l’époque, que quelques centaines de milliers d’individus au maximum, aura concerné plus de 10% de la population française. Ce qui s’élaborait pour une population marginale est devenu un sujet central. Bon anniversaire ?
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