Où en sont la zone euro et la BCE? edit
Partout dans le monde, les conséquences économiques du Covid-19 sont potentiellement gravissimes. La zone euro doit confronter des défis encore plus gigantesques en raison de ses institutions et des divisions entre les États membres. Pour elle, la crise pourrait même devenir existentielle, comme en 2012-13.
Pour éviter de complètement désorganiser les systèmes de santé, et ainsi accroître le nombre de victimes, les gouvernements ont mis les populations en quarantaine. Un grand nombre d’entreprises, celles qui ne peuvent pas recourir au travail à distance, se sont arrêtées et les autres ne fonctionnent pas normalement. Seules prospèrent celles qui répondent aux besoins de la population calfeutrée (surtout alimentation, échanges internet, commerce en ligne). La chute de l’activité est brutale et profonde. En réalité, nul ne peut mettre de chiffres sur cette chute, et encore moins sur sa durée.
Pour faire face à cet effondrement, les gouvernements sont montés au créneau. L’objectif est d’éviter les faillites, ne serait-ce que pour permettre la reprise de l’activité une fois le virus écarté, et la plongée dans la pauvreté des ménages plus vulnérables. Le coût de ces interventions est colossal, du jamais vu, même en temps de guerre. Ainsi, les États-Unis viennent d’engager l’équivalent de 10% de leur PIB. Les autres gouvernements y viendront. Ces sommes mirifiques vont creuser le déficit budgétaire, déjà aggravé par des rentrées fiscales amoindries. Les gouvernements devront donc emprunter des sommes immenses.
C’est ici que le bât baisse. Les gouvernements peu endettés ne devraient pas avoir de problème si la crise sanitaire ne dure pas trop longtemps, ni ceux dont le budget était en surplus. Mais les autres vont se retrouver face à des prêteurs (les marchés financiers) méfiants ou, pire, trop effrayés pour boucher le trou. C’est ce qui s’est produit en 2010 pour la Grèce et le Portugal. Or plusieurs pays de la zone euro abordent la situation en bien mauvaise posture. La liste de ceux dont la dette approche ou dépasse 100% du PIB comprend, par ordre décroissant, la Grèce, l’Italie, la Belgique, la France et l’Espagne.
Que se passera-t-il si les marchés refusent de financer les déficits ? On l’a vu en 2010. Ajouter une crise financière à une crise sanitaire et à une crise économique, c’est la triple peine et c’est impensable, encore que ce qui passe en ce moment était impensable il y a peu. C’est pour cela qu’il est crucial de faire ce qu’il faut pour ne pas en arriver là.
Durant la crise des dettes souveraines, la zone euro s’est dotée de nouveaux instruments. En particulier, on a créé de Mécanisme Européen de Stabilité (MES) qui peut prêter jusqu’à 500 milliards d’euros aux pays en crise, mais au vu de ses prêts passés non encore remboursés, sa force de frappe n’est plus que de 420 milliards. C’est beaucoup et peu. C’est beaucoup car, cela pourrait permettre d’absorber l’équivalent de 7% du PIB des cinq pays les plus endettés précédemment indiqués. Mais c’est peu car, si les marchés venaient à vouloir se délester des dettes existantes de ces pays, le scénario habituel lors d’une crise financière, le MES ne pourrait en racheter que 6%.
Mais le vrai problème avec les MES est que ses statuts stipulent que les prêts ne peuvent être accordés que si le pays récipiendaire s’engage à corriger les erreurs qui l’ont obligé à demander de l’aide. Dans ce cas, bien sûr que tout le monde veut endiguer l’épidémie, mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Il est question de réduire les déficits, ce qui est l’exact contraire de ce qu’il faut faire. Pour que le MES soit utile, cette clause doit être ignorée, ce qui demande un accord politique, peut-être un vote formel, qui semble élusif pour l’instant. Or le virus n’attend pas.
Une autre solution possible est l’émission de « coronabonds », des emprunts publics collectifs. Ce n’est plus de dette italienne, ou française, ou allemande, c’est une dette garantie collectivement. L’idée n’est pas nouvelle, ce n’est qu’une redénomination des « Eurobonds », Proposée et reproposée depuis la de la crise précédente par les pays du sud, cette idée a été vigoureusement rejetée par les pays du nord. La redénomination signale que c’est une opération unique, de circonstance. Même ainsi, les réactions des pas du nord, qui craigne d’établir un précédent, ne sont pas encourageantes.
Si ces propositions sont abandonnées, il n’y aura pas de pare-feu. Il ne restera plus que la BCE pour servir de pompier, une fois de plus. Ces derniers jours, elle a fait une série d’annonces apparemment spectaculaires, mais il n’est pas certain qu’elles seront suffisantes pour pallier les conséquences des désaccords politiques.
Contrairement à d’autres banques centrales comme la Fed, la BCE n’a pas baissé son taux d’intérêt. C’est une bonne décision. D’abord parce que le taux est déjà négatif, sans plus grande marge de manœuvre. Ensuite pare ce que le coût du crédit, très réduit, n’est pas la question. Il s’agit d’aider les entreprises et les particuliers en détresse. Soit ce sont les gouvernements qui offrent des aides, soit ce sont les banques qui prêtent, sans regarder le risque qu’elles prennent.
La BCE a pris des mesures importantes dans ce sens. Les trois plus importantes mesures sont les suivantes, la liste n’est pas exhaustive.
1. Pour encourager les banques à prêter, elle a offert des crédits aux banques à des taux d’autant plus négatifs que les banques consentent plus de prêts.
2. Elle a atténué les exigences vis à vis des banques, tenues de maintenir des soupapes de sécurité qui limitent leurs capacités à prêter.
3. En deux étapes, elle s’est engagée à acheter des dettes publiques et privées pour un total de 870 milliards, soit 7,3% du PIB de la zone euro. Ceci est destiné à remplacer partiellement ce que le MES ou les Coronabonds ne feront pas.
C’est énorme, mais cela n’a pas entièrement convaincu, parfois pour des questions de détails qui pourraient être améliorées, mais aussi pour une raison fondamentale. Imaginez que les marchés financiers refusent de prêter au gouvernement italien. Celui-ci va se retrouver dans une situation catastrophique et le spectre d’une faillite va immédiatement surgir. Ceci va déclencher un mouvement de panique et pousser tous ceux qui détiennent de la dette italienne à s’en débarrasser au plus vite, ce qui risque de ruiner beaucoup de monde. Qu’une telle situation se produise aux États-Unis et la Fed annoncera immédiatement qu’elle est prête à acheter la dette du gouvernement, toute la dette s’il le faut. Cette simple annonce suffira à aussitôt calmer la situation. Dans la zone euro, une telle réaction est politiquement difficile. La décision sur les 870 milliards sert à préempter la situation, ce qui est bien. Mais la dette italienne est de 2500 milliards et, dans une situation de panique, d’autres gouvernements risquent de faire face à la même situation.
En 2012, alors que le même mouvement de panique de développait dans la zone euro, le président de la BCE, Mario Draghi, a utilisé trois mots désormais célèbres, whatever it takes, et la décrue de la crise s’est amorcée, sans que la BCE ne dépense un sou. Ceci illustre que le pouvoir unique d’une banque centrale est sa capacité à créer en un clic un montant infini de monnaie pour racheter ce qu’elle veut, comme elle veut.
Christine Lagarde n’a pas prononcé ces mots, ou une autre habile expression équivalente. Elle a bien dit qu’elle est prête à aller plus loin, mais elle n’est pas allée jusqu’à que ce soit sans limite. Tant qu’elle ne fait pas, la zone euro est en danger. Elle peut se désoler, à juste titre, de la discorde des gouvernements qui ne font pas leur travail. Elle peut garder de la poudre au sec pour ne pas leur rendre la vie trop facile. Elle peut aussi redouter les réactions hostiles des pays du nord. Mais il serait catastrophique de ne prononcer ces mots qu’après le déclenchement d’une crise financière alors qu’elle peut la prévenir.
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