Des idées italiennes pour une relance européenne edit
Matteo Renzi ne se satisfait pas du fonctionnement actuel de l’Union. Il considère qu’aux risques proprement économiques (faible croissance, fort chômage et risque de déflation) s’ajoute une fragilité systémique de l’Union révélée par les questions des réfugiés et du terrorisme qui au total nourrissent les tentations populistes et la montée de l’euroscepticisme.
Sa stratégie comporte deux volets : à court terme tirer parti des institutions actuelles pour relancer la croissance et l’emploi dans la stabilité financière, à moyen et long terme et sur la base d’une confiance rétablie relancer l’intégration là où ses bénéfices sont incontestables (gestion du cycle économique, réfugiés, terrorisme).
L’intérêt du diagnostic est qu’il repose sur un constat sans concessions de l’état présent de l’union : la défiance grandissante entre partenaires et la dénonciation des pratiques de passager clandestin, les limites avérées de la gouvernance par les règles, l’interrogation des peuples sur les bénéfices réels de l’union, l’épuisement du discours sur la subsidiarité face au tsunami des réfugiés ou à la diffusion du terrorisme.
L’intérêt des propositions tient à leur gradualisme puisque c’est le succès d’une mesure qui entraîne l’étape suivante, à leur pragmatisme puisqu’elles parient sur le renforcement des politiques déjà lancées et à leur cohérence puisqu’elles visent d’abord à corriger les dispositifs incohérents comme la gestion commune des risques sans mutualisation de leurs conséquences financières.
Le point de départ de la réflexion économique du gouvernement italien est difficilement contestable : chacun s’accorde à estimer que les limites de l’action de la BCE sont en passe d’être atteintes et que la solution passe par une combinaison de politiques de réformes structurelles, de gestion de la demande globale et de convergence macro-économique. S’il en fallait une preuve il suffirait de rappeler le discours commun du FMI, de l’OCDE et de la BCE sur la nécessité de combiner accélération des réformes structurelles et soutien de la demande à l’échelle européenne. Pourquoi cette orientation est elle si difficile à mettre en œuvre ? Pour Pier Carlo Padoan («A Shared European Policy Strategy for Growth, Jobs and Stability», Ministro dell’Economia et delle Finanze), l’explication tient à deux facteurs : la demande de flexibilité en matière budgétaire est considérée comme une excuse pour différer les réformes structurelles, il n’existe pas d’instance en charge de l’intérêt général européen qui peut être différent de la somme des politiques nationales organisées par une règle commune. En somme, la défiance entre pays membres conduit à l’adoption de règles non optimales d’un point de vue économique. Alors que faire pour restaurer la confiance et améliorer l’efficacité des politiques économiques menées ? D’une part il faut renforcer les disciplines communes : les engagements nationaux combinant réformes structurelles et stabilité financière doivent être tenus sous la double supervision des hauts Conseils de stabilité nationaux et européen. D’autre part une instance européenne doit pouvoir dire l’intérêt commun qui ne peut passer par les déficits excessifs des uns et les excédents excessifs de balance courante des autres. Enfin, en l’absence de l’arme de la dévaluation, quand les salariés supportent l’essentiel des ajustements il est légitime et nécessaire de prévoir un fonds européen d’indemnisation du chômage cyclique. Les Italiens aiment à rappeler qu’ils respectent les critères de stabilité budgétaire, qu’ils ont entrepris des réformes structurelles majeures et que leur demande de flexibilité budgétaire se justifie par la nécessité d’accompagner la réforme du marché du travail (baisse des charges et incitations à l’embauche) et qu’à l’inverse un excédent de balance courante de 8% se traduit par un excès d’épargne et une contraction artificielle de l’effort d’investissement allemand, nuisible à tous.
Stimuler la croissance et l’emploi passe certes par une bonne combinaison des outils conjoncturels de court terme et par les outils de réforme structurelle qui ne produisent leurs effets qu’à long terme mais cela passe aussi par le bon usage des outils communautaires or, pour Pier Carlo Padoan, on n’en fait pas le meilleur usage. Comment expliquer que l’UE ait tant de mal à stimuler l’investissement quand les besoins liés à la transition énergétique et numérique sont immenses, que l’épargne est abondante et que les taux d’intérêt sont à des niveaux historiquement bas ? Là aussi l’explication réside dans un mauvais usage des outils existants, dans l’incomplétude des dispositifs mis en place et dans l’aversion au risque des investisseurs privés. L’UE a avancé sur la voie de l’Union bancaire mais n’a pas résolu la contradiction entre exigences de la régulation et incitation à la prise de risque, elle a lancé l’initiative Junker pour l’investissement mais en la dotant de faibles moyens, elle souhaite promouvoir une union des marchés de capitaux quand la dynamique est à la renationalisation des marchés financiers. Pour sortir de ces blocages une Union européenne pour le financement et l’investissement combinant ces trois outils devrait voir le jour pour promouvoir l’investissement en levant l’aversion au risque des acteurs privés par un meilleur environnement réglementaire, un partage du risque entre public et privé et une meilleure mutualisation du risque à l’échelle européenne.
Une telle Union pour le financement et l’investissement pourrait prendre en charge une partie du financement de la nouvelle politique de l’énergie à l’ère de l’impératif climatique et financer l’ambitieuse politique de l’innovation et de la connaissance que les Européens affichent comme leur priorité depuis des décennies.
Touche par touche, Pier Carlo Padoan jette ainsi les bases d’un budget fédéral et d’une capacité d’investissement commune quand le bien public européen est en jeu. Il peut dès lors franchir le dernier pas qui consiste à trouver des financements pérennes pour les politiques qui à ses yeux sont d’essence fédérale, à savoir la défense des frontières communes.
La pression migratoire, la question des réfugiés, la faiblesse dramatique de Frontex exigent que la question de la protection des frontières communautaires soit sérieusement traitée. Pour le gouvernement italien il s’agit clairement d’un bien public européen pour lequel les solutions communautaires sont supérieures aux solutions nationales et pour lequel une solution financière à la hauteur du problème doit être rapidement trouvée. À défaut de l’existence d’un budget européen doté de ressources fiscales propres Pier Carlo Padoan relance l’idée d’eurobonds pour financer cette action. Il y voit un double intérêt : financer une action européenne incontestable, acclimater l’idée d’un budget européen consistant quand il s’agit de financer des biens publics européens : la défense aujourd’hui, le chômage cyclique demain, l’intervention conjoncturelle après demain.
Ce qui fait l’originalité de la démarche italienne n’est pas tant le catalogue de propositions (indemnisation du chômage, embryon de budget européen, relance du marché unique…) ni même l’architecture d’ensemble (assez proche de celle des 5 Présidents), mais plutôt la lucidité du diagnostic (les ravages de la défiance et des demi-mesures) et le réalisme des avancées proposées étayées par l’expérience récente italienne.
Le contraste n’en est que plus saisissant avec le silence français et le cavalier seul allemand. L’urgence qui frappe aux frontières communautaires et les limites avérées du « policy mix » européen contraindront peut être l’UE à réagir et à emprunter certaines des voies proposées par le gouvernement Renzi.
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