Énergie : le retour de Nabucco edit
Depuis son lancement en 2002, le projet de gazoduc Nabucco a eu plusieurs vies. À de nombreuses reprises il a été donné comme mort mais il a finalement su renaître de ses cendres. Même lorsqu’il devint projet prioritaire européen, Nabucco avança peu et recula beaucoup, suscitant les moqueries à peine masquées de Vladimir Poutine, alors président de la Russie et principal promoteur de South Stream, le projet concurrent. Ce schéma dépeint bien la situation de Nabucco avant la crise. Cette dernière a apporté un bol d’air nouveau pour le projet européen qui a su l’utiliser à bon escient. Les derniers développements en Azerbaïdjan et au Turkménistan le montrent bien, car Nabucco est en train de résoudre son principal problème, le manque de sources d’approvisionnement.
En 2006 Nabucco est au point mort. La crise russo-ukrainienne le hausse au statut de projet prioritaire européen au prix d’un changement de finalité, car le projet glisse vers une logique géo-économique. Les entreprises l’ayant imaginé l’ont fait au départ dans une perspective avant tout économique, celle de répondre à la demande croissante en gaz sur le marché européen. Il convenait alors de créer une nouvelle infrastructure gazière permettant au gaz iranien d’être acheminé vers l’Europe. Nabucco version 2006 n’a que peu à voir avec Nabucco version 2002, car la logique politique s’est fortement inscrite dans le projet. Soutenu non seulement par l’UE, mais aussi par les États-Unis, le projet s’est vu opposer une fin de non-recevoir de la part de Washington en ce qui concerne la question de l’approvisionnement iranien. Imposé pour des raisons politiques, l’abandon de la piste iranienne comme modalité d’approvisionnement du gazoduc a rendu sa construction beaucoup plus difficile, car il faut chercher d’autres sources potentielles afin de remplir les 31 milliards de m3 de Nabucco et assurer sa compétitivité économique aux yeux des investisseurs. Consciente de cette évolution, la Commission européenne a cherché à dépolitiser le projet en l'incluant dans le Corridor Sud avec l'Interconnecteur Turquie-Grèce-Italie (ITGI), le White Stream et le Trans-Adriatic Pipeline (TAP).
Malgré ce soutien européen, Nabucco ne réussit pas à résoudre son principal problème lié aux sources d’approvisionnement. La signature de l’accord intergouvernemental et l’obtention de l’exemption à l’article 36 concernant l’accès des tiers au réseau ne suffisent pas pour convaincre le marché de la faisabilité économique du projet. Pour que le projet se fasse, il fallait que l’Azerbaïdjan et le Turkménistan envoient des signaux positifs sur leur disponibilité à fournir du gaz à Nabucco.
C’est chose faite depuis la dernière visite du président de la Commission, José Manuel Barroso, accompagné par le Commissaire à l’énergie Günther Oettinger, début janvier 2011. C’est la première fois qu’un responsable européen de premier niveau fait le déplacement dans ces deux pays. C’est aussi la première fois que l’Azerbaïdjan exprime publiquement son soutien à Nabucco. L’accord signé à Bakou par MM. Barroso et Aliev engage l’Azerbaïdjan à fournir du gaz à l’Union européenne « sur le long terme ». C’est un grand pas en avant pour Nabucco, car l’accord de Bakou revêt une importance particulière dans la faisabilité du projet : le gaz azéri est essentiel pour la première phase d’exploitation. De son côté, le président turkmène Gourbangouly Berdymoukhamedov a tenu un discours similaire, promettant l’envoi des capacités gazière à l’UE et soulignant son soutien à l’édification d’un gazoduc transcaspien. Pour autant, aucun accord n’a été signé entre les deux présidents.
Ce retour en force de Nabucco survient à un moment où South Stream est en panne. Le projet russo-italien a beaucoup avancé à ses débuts, en 2006, mais depuis la crise, sa faisabilité financière est remise en cause. Des problèmes de gouvernance entre Gazprom et ENI liées à l’entrée d’EDF comme troisième partenaire pour la partie offshore viennent s’y ajouter. Des doutes sont venus s’installer sur la capacité de la Russie à fournir les 63 milliards de m3 du gazoduc, compte tenu du sous-investissement dans le développement des nouvelles capacités internes et des relations tendues avec le Turkménistan.
Même si Nabucco semble revenir en force grâce à l’effort politique de la Commission, rien n’est encore acquis. L’accord avec l’Azerbaïdjan est vague : aucune date, ni aucune quantité n’est précisé dans le texte. Le président Aliev s’engage à fournir assez de gaz pour alimenter le Corridor Sud, en précisant que son pays dispose des réserves s’élevant à 2200 milliards de mètres cubes. Pour autant, le président doit composer dans ses décisions avec les entreprises privées qui exploitent le gisement de Shah Deniz, parmi lesquelles StatOil, Total et ENI. De plus, M. Aliev parle de Corridor Sud, alors que M. Barroso met l’accent sur Nabucco. Il est vrai qu’il existe une concurrence à l’intérieur même du Corridor Sud pour obtenir les 10 milliards de m3 de gaz azéri disponibles dans le court terme. Cette concurrence est rude et vise Nabucco et l’ITGI. Pour le moment, le Président Aliev s’est contenté de déclarer que son pays annoncera dans les mois qui viennent le(s) projet(s) soutenu(s) par son pays.
La portée des déclarations turkmènes est encore plus difficile à évaluer, compte tenu de leur contenu vague et de la réputation du Président Berdymoukhamedov. Selon des télégrammes diplomatiques américains datant de 2009 et révélés par Wikileaks, ce dernier serait un bon acteur et un menteur invétéré. De quoi douter de la sincérité des engagements du président turkmène envers l’UE, alors qu’il multiplie les accords gaziers avec la Chine et l’Inde. De son côté, M. Barroso a réitéré le soutien de l’UE à une éventuelle candidature du Turkménistan à l’OMC.
Nabucco semble plus que jamais avoir résolu l’équation de son approvisionnement gazier. Dans le jeu qui l’oppose à South Stream, le premier lancé gagne la rencontre. Avec ses avancées, Nabucco a toutes ses chances pour le remporter, car il dispose actuellement sur South Stream d’une longueur d’avance sur le plan réglementaire et juridique.
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