L’Allemagne va-t-elle interdire l’AfD? edit
Le 4 mars, le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD), parti eurosceptique et opposé à l’arrivée d’immigrants dans en Allemagne, a été officiellement soupçonné par les services secrets allemands d’aller à l’encontre des valeurs constitutionnelles du pays. Cette qualification autorisait la police à intercepter les communications de ce parti ou même à infiltrer des agents dans ses rangs pour trouver des preuves démontrant qu’il préconisait des politiques contraires à l’ordre démocratique. Dans cette hypothèse, l’affaire pouvait aller devant la Cour constitutionnelle pour réclamer son interdiction. Cette question-clé, chaque État démocratique se la pose : pour garantir la démocratie, faut-il déclarer illégaux ses ennemis ? La liberté peut-elle être reconnue pour les ennemis de cette liberté ?
L’Allemagne, après son expérience traumatisante de la victoire électorale d’Hitler, a estimé que l’interdiction des partis dont l’idéologie était contraire à l’ordre démocratique était nécessaire. En fait, la Loi fondamentale de Bonn dispose que « les partis qui, par leurs buts ou par l’attitude de leurs membres, tendent à dénaturer ou à détruire le régime fondamental de liberté et de démocratie, ou à mettre en danger l’existence de la République fédérale d’Allemagne, seront déclarés inconstitutionnels » (art. 21.2). En application de cette disposition, la Cour constitutionnelle allemande a procédé, en octobre 1952, à l’interdiction du parti nazi et, quelques années plus tard – août 1956 – elle en a fait de même pour le parti communiste. Dans la première des sentences, la Haute Cour a souligné qu’une telle organisation « est contraire à l’ordre démocratique, qu’elle méprise les droits fondamentaux, qu’elle est bâtie sur le principe de l’autocratie et que ses dirigeants sont étroitement liés à ceux du parti d’Adolf Hitler ». Elle a ajouté que « les électeurs des représentants éliminés n’ont pas le droit de porter plainte pour cette perte car la prétention d’être représentés par un député d’un parti inconstitutionnel est déjà, en soi, inconstitutionnelle ». Depuis lors, il n’y a plus eu d’interdictions de partis politiques en Allemagne.
En 2017, la Cour Constitutionnelle est revenue sur la question, à propos du NfD (Parti national démocratique d’Allemagne), mais avec une réponse quelque peu différente. Fondé en 1964, ce parti a obtenu une représentation au cours de ses premières années d’existence dans sept parlements de Länder ouest-allemands. Puis il est devenu un parti minoritaire sans représentation parlementaire (ni étatique ni fédérale) dans les années 70, 80 et 90. En 2004 et en 2009, il est entré au Parlement régional de Saxe ; et en 2006 et 2011, dans celui de Mecklembourg-Poméranie occidentale. Lors des élections au Parlement européen en 2014, il a obtenu un député. Deux ans plus tard, il avait perdu toute représentation dans les chambres régionales allemandes.
En janvier 2017, au vu de ces résultats électoraux, la Cour constitutionnelle a décidé de ne pas déclarer le NfD inconstitutionnel, car elle était consciente que l’interdiction des partis politiques en raison de leur seule idéologie est une question délicate. Tout en admettant que le parti cherchait à remplacer l’ordre constitutionnel existant par un État-nation lié à une communauté définie sur le plan ethnique, elle précisait qu’il n’y avait « aucune preuve concrète d’un poids suffisant dans l’électorat » pour qu’il soit possible que ses actions puissent aboutir et que, par conséquent, il ne pouvait pas être déclaré inconstitutionnel. En bref, compte tenu du faible soutien électoral dont le NfD disposait, la Cour a estimé que l’interdire lui donnerait une importance qui lui manquait dans les urnes.
L’élément le plus important de cette décision concerne ce que la Cour constitutionnelle a suggéré comme autres moyens que l’interdiction pour limiter l’influence des partis antidémocratiques : la réduction du financement public. À la suite de cette suggestion, le 13 juillet 2017, le Parlement allemand a approuvé une réforme constitutionnelle ajoutant un nouveau paragraphe dans l’art. 21 de la Constitution. Il a été déterminé que les partis qui aspirent à saper ou à éliminer l’ordre fondamental démocratique libre, ou à mettre en danger l’existence de la République fédérale d’Allemagne, sont exclus du financement public et qu’aucun avantage fiscal ne sera appliqué ni à ces partis ni aux dons qui leur sont faits.
Ainsi, noyé sous les difficultés économiques et contraint de restituer les financements publics reçus illégalement depuis 1997 par des falsifications successives, le NfD a connu une débâcle en 2017 aux élections fédérales aussi bien qu’à celles des Länder. En 2019, il a perdu son siège au Parlement européen.
Ce précédent est intéressant par rapport aux questions soulevées par les succès du nouveau parti d’extrême droite, Alternative pour l’Allemagne (AfD). En premier lieu, il ne semble pas que le sujet de son interdiction remonte facilement jusqu’à la Cour constitutionnelle allemande, parce que les positions du parti demeurent ambigües, entre l’extrême-droite et la droite. Par exemple, le parti interdit à ses membres d’avoir des liens avec l’extrême droite allemande, et en particulier avec le NfD.
Deuxièmement, si les services secrets trouvaient des preuves solides de la promotion de politiques contraires à l’ordre démocratique, la Cour constitutionnelle ne pourrait pas utiliser ici l’argument du faible soutien social pour éviter de prononcer son interdiction. Fondé en 2013, il est aujourd’hui le principal parti d’opposition au gouvernement d’une grande coalition entre sociaux-démocrates et conservateurs. En outre, il compte des dizaines de représentants dans les différents parlements des Länder. Son poids parlementaire rendrait son interdiction encore plus délicate.
Troisièmement, seule l’application de limites à son financement public et la restriction des avantages fiscaux seraient applicables en cas de preuves solides, quelque chose de beaucoup moins visible pour son électorat, mais beaucoup plus efficace dans la pratique… La subtilité en la matière est une chose essentielle.
Traduction Isabel Serrano. Article publié par notre partenaire Agenda Publica (agendapublica.es)
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)