Les accords de Musk edit
Ordinairement, c’est pour ses qualités de visionnaire et d’ingénieur qu’Elon Musk est reconnu : le paiement en ligne, les voitures électriques, les fusées réutilisables sont ses domaines d’excellence. Ces réalités d’aujourd’hui étaient pourtant encore il y a quelques années des visions audacieuses peinant à convaincre les investisseurs. SpaceX, PayPal ou Neuralink étant passés par là, nous sommes grâce à lui près de savoir si son nouveau robot humanoïde optimus rêve à des moutons électriques, pour paraphraser le titre du roman de Philip K. Dick.
Pourquoi descendre de l’univers confortable de la science-fiction vers la guerre russo-ukrainienne en proposant un plan de paix ?
Plan de paix en Ukraine: l’hubris de l’ingénieur?
C’est par Twitter le 3 octobre dernier qu’Elon Musk a partagé son plan de paix en quatre points, nécessairement court du fait de la limitation du nombre de signes. En quoi cela consiste-t-il ? De manière synthétique, l’entrepreneur en appelle à la tenue de nouveaux référendums dans la région récemment annexée par la Russie, sous l’égide de l’ONU. Il revendique également la solution de la neutralité pour l’Ukraine, qui vient récemment de faire part de son souhait de réclamer une adhésion accélérée à l’OTAN. Ensuite, il propose que la Crimée fasse formellement partie de la Russie, comme elle l’a été « depuis 1783 (jusqu’à l’erreur de Khrouchtchev) ». Enfin, l’approvisionnement en eau potable de la Crimée doit être assuré.
En bon ingénieur, Elon Musk crée, conçoit, innove dans plusieurs domaines, en prenant en compte des évolutions technologiques, sociales, politiques ou environnementales. Il aime revenir aux principes premiers de la physique, procéder par itération successive afin de trouver la formule gagnante. Pourquoi le politique, ici le conflit russo-ukrainien, résisterait-il aux réflexions d’un visionnaire qui a dû affronter le scepticisme de ses contemporains plus souvent qu’à son tour ? C’est ici que le risque de l’hubris joue à plein.
Face aux critiques, Elon Musk ne se démonte pas, réfléchissant dans le cadre d’une logique conséquentialiste, soupesant les risques multiples et graves de la situation. Visiblement inquiet d'une potentielle conflagration nucléaire, Elon Musk affirme que son plan sera de toute façon « très probablement » semblable à celui dont le conflit accouchera en fin de compte, affirmant que la seule inconnue était le nombre de personnes qui perdront la vie d'ici là pour arriver au même résultat. Selon sa logique, dans le cadre d’une guerre totale, une victoire de l’Ukraine est peu probable (en raison notamment du différentiel de population, allant du simple au triple, mais pas uniquement), et donc que chercher la paix devrait guider ceux qui se soucient du peuple ukrainien.
Autopromotion?
C’est peu dire que cette initiative a déplu aux soutiens inconditionnels de l’Ukraine, l’accusant de faire le jeu des Russes. Ainsi, si l’on ne relève pas les messages injurieux, le président ukrainien Volodymyr Zelenski a répondu avec un sondage pour ses trois millions d’abonnés : « Quel Elon Musk préférez-vous, celui qui soutient l’Ukraine ou celui qui soutient la Russie ? » Quant à lui, le président de la Lituanie Gitanas Nauseda a répondu sur Twitter : « Cher Elon Musk, quand quelqu'un essaie de voler les roues de votre Tesla, cela ne fait pas de lui le propriétaire des roues ou de la voiture. »
Il est vrai que sur le fond, la proposition d’Elon souffre de nombreuses faiblesses, que dénoncent les partisans inconditionnels de l’Ukraine. Ils espèrent une victoire prochaine, et souligne que l’Ukraine était neutre quand la Russie l’a attaquée (même si, de fait, l’OTAN et l’Ukraine ont déjà largement collaboré en matière de formation des unités ukrainiennes). Sur la Crimée, il n’est pas fait mention des Tatars de Crimée, historiquement présents avant 1783, et qui ont fait partie des peuples déportés, n’ayant eu la possibilité de revenir sur leurs terres qu’en 1989. Les crimes de guerre, l’impossible tenue d’un référendum organisé par l’ONU sur un territoire en guerre (et qui risquerait de mener au départ du camp minoritaire), l’absence de garantie de sécurité rendant un conflit ultérieur moins probable sont autant de raisons fragilisant cette initiative.
Dans ce contexte, l'heure n'est pas aux concessions pour le pouvoir ukrainien. D'abord parce que le pouvoir russe demeure inflexible, comme l’ont montré les référendums d’annexion. Ensuite parce que l'armée de Vladimir Poutine ne cesse de reculer face aux forces ukrainiennes, dont les offensives dans l'Est et dans la région de Kherson se révèlent des succès. Un tel dénouement était acceptable en février, il ne peut l’être aujourd’hui ; il arriverait soit trop tôt, soit trop tard, en fonction du rapport de force sur le terrain, qui n’a pas encore donné son verdict.
Est-ce à dire qu’il convient de ranger simplement Elon Musk parmi les ennemis de l’Ukraine ? Ce serait bien vite oublier que Kiev est parvenu à déjouer les tentatives de désactivation de ses communications par la Russie grâce aux milliers de kits d'accès à Internet via le réseau satellite Starlink, fournis par le milliardaire. Le 14 mars dernier, il défiait même publiquement sur Twitter le président russe en « combat singulier » dont l'enjeu serait le sort de l'Ukraine. Difficile, dans ces conditions et au vu de ses réalisations, d’en faire un agent du Kremlin.
Un débat américain
En réalité, cette polémique abondamment relayée ne peut être totalement dissociée de son contexte américain. Elle arrive en effet au moment où Elon Musk vient de finaliser son achat de Twitter pour 44 milliards de dollars, après avoir montré son intérêt en avril et annoncé avoir jeté l’éponge en juillet. En polémiquant de la sorte, tout en s’évitant une épreuve judiciaire à l’occasion du rachat, il vient de rappeler la forte visibilité de ce réseau social. Il faut surtout se souvenir qu’Elon Musk a critiqué ce réseau social qui avait suspendu le compte du New York Post à la suite d’un article concernant Hunter Biden, dont les informations étaient véridiques. Sur un plan intérieur, l’homme le plus riche du monde en janvier 2021 est un donateur du Parti républicain.
Le quinquagénaire natif de Pretoria a émis sa proposition une semaine après que Donald Trump, dont il a été conseiller (nommé fin 2016, mais démissionnaire en 2017 en raison de la sortie de l’Accord de Paris sur le climat), se soit proposé pour mener une négociation de paix internationale, déplorant le gâchis d’un conflit qui, dit-il, ne serait pas arrivé tant qu’il était président. Cette sortie d’Elon Musk montre peut-être aussi qu’au sein du courant libertarien, dont il se réclame, et peut-être au-delà aux Etats-Unis, certains peuvent rester solidaires de l’Ukraine (et être impliqué à ses côtés comme le milliardaire l’a été avec Starlink) mais commencer à appeler à trouver une solution politique plutôt que militaire au conflit aussi rapidement que possible. L’ancien représentant du Texas Ron Paul, libertarien hostile à une politique étrangère interventionniste, a émis ses réserves sur le conflit il y a déjà plusieurs mois. Derrière cette proposition, ce qui se joue est peut-être un débat émergent sur la politique à suivre dans ce conflit pour les Etats-Unis : la question ne porterait pas sur la question de savoir qui a commencé le conflit, mais comment s’en sortir alors que le risque nucléaire existe et que l’économie internationale montre des signes de fragilité. Si cela devait se confirmer, il s’agit d’une possible évolution qu’il faudra surveiller alors que les mid-term aux Etats-Unis sont prévues le 8 novembre prochain.
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