L’Italie face à ses démons edit
Après trois mois de négociations houleuses, l’Italie a un nouveau gouvernement. Il s’agit d’un gouvernement sans précédent, fils d’une élection qui n’a donné aucune majorité claire, comme il arrive le plus souvent avec les lois électorales proportionnelles. Le gouvernement, dirigé par un professeur de droit privé inconnu jusqu’ici, est le produit de l’alliance probablement temporaire entre deux partis qui se sont opposés lors de la campagne électorale. La Ligue, aujourd’hui le plus vieux parti politique de la péninsule, passé, avec son nouveau leader, Matteo Salvini, de la stratégie sécessionniste d’Umberto Bossi à une rhétorique nationaliste semblable à celle du parti lepéniste, d’un côté, et le Mouvement 5 étoiles, de l’autre. Cette formation politique « post-idéologique », au programme politique vague et apparemment très « flexible » – qui a montré pendant les négociations une disponibilité à gouverner aussi bien avec la droite nationaliste qu’avec la gauche modérée du Parti Démocrate – est l’expression du mécontentement populaire très fort, surtout dans le Sud du pays, et, j’ajouterais, du manque de sens de la réalité d’un grand nombre d’électeurs.
Pour comprendre la nature de cette alliance improbable, il est utile, me semble-t-il, de comparer la situation politique italienne avec celle qui s’est imposée en France avec l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République.
Si l’on raisonne à partir du continuum gauche/droite, il y a aujourd’hui en Italie un gouvernement qui, du point de vue de la description de l’espace politique, se trouverait au centre. Si on regarde le « contrat de gouvernement » préparé par les deux partis on y voit exprimées des positions de type souverainiste et anti-européennes (la Ligue) en même temps que des positions de gauche radicale (Mélenchon semble apprécier beaucoup le Mouvement 5 étoiles). Il s’agit sans doute d’un mélange toxique, car on peut parler dans ce cas d’un centre opportuniste, d’un centre qui est le point géographique intermédiaire de positions extrêmes. Les deux membres de la coalition se sont associés pour prendre le pouvoir mais l’on peut penser que ce centre va exploser car les tendances centrifuges sont sans doute plus fortes que les forces centripètes. Il en va de même des réalités socio-économiques que les deux partis représentent : le prospère et productif Nord par opposition à un Sud où le revenu par tête est largement inférieur et où le chômage est beaucoup plus important, ceci dans un pays où la solidarité nationale n’a jamais véritablement existé.
L’alliance de gouvernement peut être qualifiée, avec une métaphore tirée de la physique, de fusion froide.
Macron a, quant à lui, produit, grâce aussi au système électoral avec ballotage, un type tout à fait différent de gouvernement centriste (pour rester dans la métaphore spatiale) en s’appuyant sur les forces et les opinions modérées de gauche et de droite, favorables à l’Union Européenne, de sorte que le centre ressemble, lui, à une fusion vraie. Il s’agit d’un pari extraordinaire car il implique une transformation radicale des clivages politiques qui existent en Europe depuis un siècle et demi au moins, pari qui consiste à imposer un nouveau clivage entre forces modérées (européistes) et forces extrémistes (souverainistes). Le rêve que le centre gauche italien, de Prodi à Renzi, n’a pas pu/su réaliser, du fait sans doute qu’il n’existe quasiment pas de droite modérée en Italie.
Il faut ajouter que l’origine de ce chamboulement est la création de l’Union Européenne et, plus récemment la crise économique qui l’a frappée. Ce qui fonde en substance l’opération Macron est son choix courageux et risqué en faveur de la souveraineté européenne. C’est en réalité ce choix qui force le gouvernement français à mener des politiques économiques que beaucoup qualifient de droite. Mais c’est plus encore la politique allemande, mélange de sagesse nationale et d’obstination obtuse par rapport à ses partenaires.
À l’égard de cette politique, que le géant économique a imposée, avec ses alliés du nord, à la France et à l’Italie, il convient de comparer les attitudes de la France et de l’Italie. Le nouveau gouvernement de la péninsule, et notamment la Ligue, demande une aide économique à l’Allemagne, tout en adoptant une attitude bêtement agressive vis-à-vis de son puissant partenaire. Il s’agit d’une attitude naïve et dangereuse qui peut créer des problèmes sérieux à l’Union Européenne… mais surtout aux Italiens. Macron comprend que le seul moyen pour fléchir quelque peu l’Allemagne est d’assainir l’économie française – ce qui implique des sacrifices pour améliorer la réputation de la France dans le monde et en Europe – une France dont on disait ces dix dernières années en Allemagne qu’elle avait disparu du radar de l’Union.
C’est un pari très lourd mais l’alternative est la fin de l’Union Européenne et sans doute le déclin de notre vieux continent et sa soumission aux grandes puissances comme la Chine, l’Inde et les Etats-Unis.
Quid de l’Italie ? Le nouveau gouvernement italien, si la poussée souverainiste ne s’arrête pas très vite, risque de détruire la réputation du pays en Europe et vis-à-vis des marchés financiers. L’Allemagne se préparerait alors à réduire au maximum les coûts d’une possible sortie de l’Italie de l’Union Européenne.
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