Crise des dettes publiques : toujours pas de stratégie en France edit
Les mesures budgétaires annoncées par le Premier ministre le 24 août sont désespérantes. Elles confirment, s’il en était besoin, que le gouvernement n’a pas pris la mesure de la difficulté de la situation et des défis qui nous attendent. Les chiffres sont homéopathiques, les mesures vont dans le mauvais sens et les prévisions restent trop optimistes pour être crédibles.
Les turbulences d’août, celles qui ont amené le président à vouloir annoncer des mesures nouvelles, indiquent que le AAA de la France n’est plus garanti. Il est désormais possible que la France soit aspirée à son tour, dans quelques mois, par le ras de marée qui a déjà emporté la Grèce, puis l’Irlande, puis le Portugal, et qui approche l’Italie et l’Espagne. Il est même probable que notre sort ne soit plus dans nos mains : si l’Italie sombre à son tour, la France apparaîtra sur les écrans radar des marchés financiers et finira pas sombrer aussi. On a déjà vu comment ça se passe. Mais dans la position délicate où nous sommes, les déclarations et décisions doivent être soigneusement réfléchies. La moindre erreur peut déclencher la suspicion des marchés et, une fois que cela se produit, il est impossible ou presque de remonter la pente.
Bien sûr, on va nous dire que la politique ne se fait pas à la corbeille et que les hommes et femmes d’État ne doivent pas se prosterner devant les marchés financiers. En temps normal, c’est absolument vrai. Mais nous vivons une période historique de crise financière. Depuis le début de la crise grecque, les erreurs ont été si nombreuses que les marchés ont perdu presque toute confiance dans la capacité des responsables politiques à arrêter le désastre. Les marchés comptent aujourd’hui, parce que les États se sont lourdement endettés, et ce depuis des décennies. Quand on est endetté, on est entre les mains de ses créditeurs, sous tous les cieux, sous tous les temps. On peut ne pas payer ses dettes – c’est l’un des enjeux de la crise – mais ce n’est pas sans conséquences non plus.
Face à la menace, il y avait deux stratégies. Celle qui n’a pas été mise en œuvre : éviter de plomber la croissance dans les deux ans qui viennent et s’engager dans la discipline budgétaire pour la suite avec une solide règle constitutionnelle. Les marchés, comme beaucoup de gens de bon sens, s’inquiètent d’une nouvelle récession qui plomberait les rentrées fiscales et donc le déficit. Ils veulent donc de la croissance maintenant, mais aussi être rassurés que la France, après bien d’autres pays, sortira de la tradition des déficits budgétaires de convenance. La deuxième stratégie est de tenter d’impressionner les marchés par notre volontarisme. Un solide coup de frein au déficit, le prélude à une ou deux décennies de purge.
Nous avons eu une version light de la deuxième stratégie. Les ordres de grandeur sont primordiaux dans cette affaire. Le déficit probable pour 2011 est entre 5 et 6% du PIB. Le gouvernement a monté en épingle l’objectif européen de 3% en 2013, mais les marchés ne prennent pas ces 3% au sérieux, et ils n’ont pas tort. Un pays qui n’a pas connu de surplus depuis 1973 (deux générations !) ne va impressionner personne avec 3% de déficit. Il va falloir aller au surplus. Pas tout de suite, bien sûr, mais l’objectif doit être clairement identifié. On n’en est pas là.
Comment trouver ces 5 ou 6% de PIB qui manquent dans le budget ? Les décisions annoncées le 24 août sont muettes sur la question. Le mieux, c’est la croissance, celle qui fait grimper le PIB et donc rend les déficits et la dette plus petits en proportion. Or les mesures annoncées vont ralentir une croissance anémique où le chômage déjà repart à la hausse. À un moment où l’on essaie d’évaluer la possibilité d’une nouvelle récession dans les pays développés, le risque pris est très sérieux. On peut se consoler en observant que l’effort annoncé est limité, environ 1% du PIB sur deux ans. Mais on peut regarder la situation d’un œil plus critique : le gouvernement ne fait rien pour soutenir la croissance – il n’en a plus les moyens, il est vrai – mais il n’est pas prêt non plus à amorcer le rétablissement des comptes qui s’impose.
Pour atteindre l’équilibre budgétaire, dans trois ans ou dans cinq ans, la croissance ne suffira pas. La question est de savoir comment le déficit sera comblé, à hauteur de 3 ou 4% de PIB. Personne n’en parle, et c’est de nature à angoisser les marchés, tout comme les simples citoyens qui savent que la fête est terminée. Or des citoyens angoissés sont des consommateurs apeurés, et la croissance est en berne. Ce n’est pas la langue de bois des politiques de tous bords qui va les rassurer.
Car il y a un vrai débat : couper les dépenses ou augmenter les impôts ? C’est une question qui est vite capturée par les idéologues, on a vu de quelle manière les États-Unis ont sombré dans une foire d’empoigne lamentable. Saurons-nous faire mieux ? Les dernières décisions sont dans la droite ligne des dernières décennies. Quand le déficit grandit, on augmente les impôts, et quand les impôts rentrent, on découvre une cagnotte et on augmente les dépenses. Or un grand nombre d’études très sérieuses ont montré que les stabilisations budgétaires qui réussissent, et qui sont durables, sont celles qui s’appuient avant tout sur une réduction des dépenses publiques. Précisément parce que les augmentations de recettes connaissent le sort décrit ci-dessus.
Pourquoi donc le gouvernement, dont les préférences idéologiques et les promesses du Président laissaient présager des réductions de dépenses, a-t-il agi à contre-courant de ce qui marche et essentiellement accru la pression fiscale ? Parce que couper les dépenses est politiquement plus difficile que raboter des niches fiscales. Certes, les niches représentent quelque 5% du PIB. Les supprimer purement et simplement résoudrait notre problème. Mais en politique le rabot est une chose, la poubelle en est une autre. Le rabotage a bonne presse, mais une suppression totale des niches susciterait des réactions aussi violentes qu’une baisse équivalente des dépenses. Pourquoi a-t-on vu nos « riches » demander au gouvernement d’augmenter leurs impôts ? Parce qu’ils savent compter. Les 3% de surtaxe sur les hauts revenus vont rapporter 0,01% du PIB pendant quelques années. Même si les niches ne profitent pas qu’aux « riches », sacrifier 0,01% du PIB pour ne pas voir les niches disparaître est un calcul très judicieux. Autrement dit, nous ne savons toujours pas comment le déficit sera comblé. Les marchés non plus, et ils ne vont pas aimer.
Ce qui pourrait les rassurer serait un engagement ferme et définitif à cesser les déficits, même si c’est pour plus tard. C’est le thème de la fameuse règle d’or, bien mal nommée par ailleurs car elle n’est pas vraiment contraignante. La gauche n’en veut pas parce que c’est la droite qui a augmenté la dette depuis 2007. La droite y voit surtout un moyen de mettre la gauche sous pression et ne se préoccupe pas des lacunes criantes de la proposition du gouvernement. Ce débat politicien révèle notre incapacité collective à nous engager dans la voie de la discipline budgétaire, sous l’œil inquiet des marchés.
Trop difficile politiquement tout ça ? Cette semaine nous prodigue deux leçons d’humilité. En Espagne, en début de campagne électorale, le Premier ministre (socialiste) et le chef de l’opposition (droite) se sont tranquillement et rapidement mis d’accord pour changer la Constitution pour assurer l’équilibre budgétaire (les détails manquent pour savoir si c’est vraiment sérieux). En Irlande, sans drame, le Premier ministre a ordonné de baisser toutes les dépenses de tous les ministères de 10%. Pourquoi est-ce si simple ailleurs et si impossible chez nous ?
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