Matteo Renzi et les cinq présidents edit
Matteo Renzi vient d’envoyer à Bruxelles un budget qui diffère l’ajustement budgétaire promis, aggrave le déficit de 0,8 points de PIB voire de 1% si on conteste le traitement comptable des surcoûts induits par les migrants ; le tout au nom d’un impératif de croissance (incitations à l’investissement) et de restauration de la confiance des consommateurs (hausse de la TVA différée et suppression d’une taxe foncière sur la résidence principale).
Le Premier ministre italien assume crânement ce budget de divergence en l’accompagnant d’une affirmation sonore de la souveraineté budgétaire de l’Italie et en déclarant par avance qu’il ne reviendra pas sur ces mesures arguant que même ainsi l’Italie fait partie du club qui respecte le critère des 3% de déficit des finances publiques, à la différence par exemple de la France.
C’est en approfondissant les réformes structurelles et en retrouvant le sentier de la croissance (1,6% prévu en 2016) que Matteo Renzi entend faire reculer le chômage, accroître les rentrées fiscales et à terme réduire le déficit et inverser la courbe de la dette.
Curieusement cette attitude de défi, qui rend encore plus problématique l’atteinte des objectifs du TSCG et du Pacte de Stabilité et de Croissance, n’a pas suscité de rappel à l’ordre de Bruxelles. Elle a, à l’inverse, suscité un débat dans les cercles européens sur le thème de la désobéissance vertueuse, celle qui permet de mener une politique contra-cyclique, contre l’obéissance paralysante, celle qui approfondit la récession et accroit l’euroscepticisme.
Il y a en effet deux lectures de la politique de Matteo Renzi.
La première ne voit dans ses initiatives budgétaires et fiscales que la collection habituelle de mesures populistes que les processus communautaires de validation budgétaire permettent de proscrire. Lorsque Renzi supprime un impôt très impopulaire mais de bon rendement alors que le déficit se creuse, lorsqu’il gonfle les recettes à venir de la chasse à la fraude fiscale, lorsqu’il déclasse certaines dépenses ou lorsqu’il surestime les dividendes du retour à la croissance, il ne fait que préparer les élections en faisant feu de tout bois. Ses méthodes comptables et son budget doivent être rejetés. Sa transgression des règles communautaires aggravée par le défi lancé à l’Europe est une mauvaise action qu’il faut condamner. Ce n’est pas au moment où le TSCG entre en application, où l’Europe prépare sa relance après le dernier épisode grec qu’il faudrait accepter la sortie de route italienne. Rappelons-le, l’Italie doit non seulement viser l’équilibre budgétaire mais commencer à appliquer la règle de réduction par vingtième de sa dette. Comme le dit le bon Dr Schäuble, les règles sont faites pour être appliquées et si on ne le fait pas il faut être prêt à en assumer les conséquences.
La deuxième salue l’initiative Renzi comme une triple contribution au redressement de l’Italie, à la réorientation du policy mix européen et au renouveau de la gouvernance européenne.
En choisissant de faire feu de toutes les armes disponibles pour sortir l’Italie de sa stagnation décennale Matteo Renzi fait œuvre utile pour l’Italie. Il n’est pas d’autre impératif que de stimuler la croissance, d’améliorer la compétitivité du Nord et de redonner espoir au Sud.
En restaurant en actes la dignité des politiques contracycliques, Renzi contribue à rééquilibrer le policy mix européen. L’arme monétaire n’est plus suffisante pour réveiller une croissance anémiée. Bannir les politiques contracycliques, notamment budgétaires, au nom de la priorité à donner aux politiques structurelles visant à restaurer la compétitivité est une erreur grave de perspective : à court terme les politiques structurelles aggravent la situation conjoncturelle.
Enfin en prenant partie contre la doxa communautaire qui assigne à la politique budgétaire l’essentiel de l’effort d’ajustement au mépris de la croissance et de l’adhésion des peuples européens, Renzi invite la Commission à donner un contenu politique à son pouvoir d’interprétation de la conformité des budgets nationaux aux Traités.
Comment trancher entre ces deux lectures ?
Le premier critère que l’on doit mobiliser est celui de la performance en matière de croissance. On le sait, l’Europe a fait nettement moins bien que les États-Unis et on peut se demander légitimement si elle n’est pas prise dans une spirale déflationniste qui rend vain tout espoir de réduction du ratio dette/PIB. Dans un tel contexte, se fixer comme priorité la consolidation budgétaire c’est prendre le double risque de l’inefficacité économique et de l’inéquité sociale pour ne rien dire de l’érosion de l’adhésion des peuples au projet européen.
Le deuxième critère est celui de la coordination des politiques économiques. Au sein de l’Europe on sait qu’il est des pays qui doivent corriger leurs déséquilibres structurels et des pays qui disposent de marges de manœuvre pour stimuler leur activité et tirer l’ensemble communautaire. Lorsque les excédents commerciaux atteignent des niveaux stratosphériques, que les besoins en investissements infrastructurels sont criants le retour accéléré ne devrait pas être la première priorité. L’absence de soutien conjoncturel allemand justifie d’une certaine manière l’initiative italienne.
Le troisième critère est celui de la solidarité. À défaut de politiques de croissance on pourrait imaginer des politiques de transferts au profit des pays qui subissent le plus fortement le choc de la stagnation économique. Des politiques d’indemnisation du chômage, de formation, de soutien aux PME, de mutualisation de dépenses réalisées au profit de l’ensemble européen pourraient aider les pays en difficulté, alléger leurs dépenses et les inciter à la vertu budgétaire. Ce n’est malheureusement pas le cas et la provocation renzienne consistant à ne pas comptabiliser les dépenses d’aide aux réfugiés comme contribuant au déficit au sens maastrichien sont, de ce point de vue, légitimes.
Mais il est une raison plus fondamentale encore de désobéir à des règles aux effets récessifs… c’est qu’elles doivent changer, si l’on en croit les recommandations des cinq présidents.
Trois propositions résument la nouvelle philosophie de l’action et la nouvelle gouvernance.
La première est qu’il faut sortir d’une vision de court terme de l’équilibre budgétaire, penser programmation pluriannuelle et surtout amélioration des conditions structurelles de la croissance.
La deuxième est qu’il faut enrichir le diagnostic pays de données sur la compétitivité et sur l’atteinte d’objectifs sociaux et cesser de s’en remettre aux seuls critères budgétaires et de l’endettement public.
Le troisième est qu’il faut travailler à l’appropriation nationale des stratégies de convergence et à la légitimation des décisions prises. L’expérience des Conseils nationaux de finances publiques et des avis rendus par des experts indépendants est jugée suffisamment positive pour que leur renforcement soit préconisé. Il est même proposé que des Conseils de Compétitivité indépendants soient institués sur les mêmes bases.
Certes les cinq présidents n’oublient pas les traités et notamment les contraintes de retour à la maîtrise budgétaire, ils savent et énumèrent les obstacles à l’union financière mais ils insistent aussi sur les processus de légitimation des politiques nationales et communautaires.
Certes encore les cinq présidents ne livrent pas de feuille de route crédible pour réaliser la triple union économique, budgétaire et politique car ils savent qu’un conflit majeur oppose ceux qui croient que la réalisation des trois unions couronne le rétablissement de situations économiques saines dans les pays membres et ceux pour qui sans effort de solidarité tangible de la part de ceux qui ont déjà assaini leur situation il ne peut y avoir d’efforts supplémentaires de contraction de la dépense publique ou des régimes sociaux.
Mais à l’aune des recommandations des cinq présidents, Matteo Renzi est en avance d’un Traité : il est le meilleur élève de la nouvelle politique économique orientée vers la croissance, il articule réformes structurelles et programmation budgétaire, il a un souci aigu de l’appropriation nationale du programme de consolidation, il insiste sur la nécessité de restaurer la compétitivité et en l’absence d’une solidarité manifeste des pays membres de l’UE il prend sur lui de mener à bien une politique contra-cyclique. Certes il diffère le moment où il respectera formellement les critères du PSC et du TSCG mais l’absence de réaction de la Communauté tend à montrer que la Commission est elle-même en quête d’une dynamique moins procédurière et plus politique. Reste un problème : Matteo Renzi croit habile d’envelopper sa politique d’une rhétorique souverainiste et d’une agressivité verbale à l’égard de Bruxelles. Il s’agit sans doute d’arguments destinés à la consommation interne auxquels il ne faut pas accorder trop d’importance. Le juge de paix en matière économique est dans l’atteinte des objectifs ambitieux de croissance et en matière politique dans le succès aux prochaines élections.
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