Mosco I et Mosco II edit
L’ironie du dernier avertissement adressé par la Commission Européenne à la France n’a échappé à personne. Au delà du talent caméléonique du nouveau commissaire et ancien ministre, le dernier épisode du long feuilleton en cours illustre le triste état des mécanismes de discipline budgétaire de la zone euro.
Il n’a jamais fait de doute que la zone euro ne peut pas survivre sans que la discipline budgétaire ne soit fermement établie dans chacun des pays membres. La Grèce, éternellement indisciplinée, en a fait la démonstration spectaculaire en 2010, déclenchant un processus contagieux qui a failli emporter la monnaie unique. La France, presque aussi indisciplinée (les deux pays partagent la caractéristique de n’avoir jamais équilibré leurs budgets depuis 1974) constitue le dernier risque en date.
Encore faut-il s’entendre sur ce que signifie discipline budgétaire. La version rigoriste est que le budget doit être en équilibre ou en surplus. C’est l’opinion qui prévaut en Allemagne et qui a conduit en 2011 au Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), connu sous le nom légèrement plus romantique de Pacte budgétaire européen. En fait, le pacte autorise un déficit de 0,5% du PIB en année normale, un peu plus en période de récession, mais dans ce cas cela se négocie. Nous y sommes.
Le pacte stipule aussi que la dette publique, le résultat des déficits accumulés depuis toujours, ne doit pas excéder 60% du PIB. Si c’est le cas (la France s’approche des 100%), la dette doit impérativement baisser de 0,5% du PIB par an. Nous y sommes aussi.
Une autre version est inspirée par la théorie économique qui considère que la discipline est assurée si la dette reste stable en proportion du PIB, quel que soit son niveau, et sur la longue période. Autrement dit, la règle des 60% n’a pas de sens économique et il n’y a pas d’urgence. La dette peut augmenter un moment à condition de baisser ensuite. Évidemment, cela demande que l’on fasse confiance à chaque pays membre pour prendre les mesures correctives en temps voulu. C’est là que le bât blesse. Comment faire confiance à des pays comme la Grèce ou la France ?
Là encore, deux conceptions s’affrontent. Les rigoristes sont partisans de la confiance zéro, d’où le TSCG. Les principes économiques mettent l’accent sur les incitations. Dans ce cas, il s’agit des institutions qui créent les budgets, c’est-à-dire les procédures qui encadrent les délibérations des gouvernements et de leurs parlements qui votent in fine. C’est d’ailleurs un des aspects les moins connus du TSCG qui demande à chaque pays d’inscrire, si possible, dans la constitution l’obligation de stabiliser la dette publique et de soumettre les lois de finance à l’examen d’un comité indépendant doté d’une forte autorité morale. Cette obligation est connue en France sous le nom de règle d’or. Mais elle n’est pas inscrite dans la constitution – impossible, a jugé Sarkozy, face à l’hostilité ardente de son opposition – et le comité indépendant, le Haut Conseil des Finances Publiques, ne semble guère peser dans le processus. Il semblerait logique de demander à la France de revoir cette copie bâclée plutôt que de lui imposer une cure d’austérité au mauvais moment, punissant ainsi collectivement les citoyens mal servis, depuis des décennies, par des gouvernements laxistes et peu enclins à se laisser réellement contraindre à assurer la discipline budgétaire.
Dans ce climat de confusion économique, la politisation est inévitable. Elle s’est longtemps cachée derrière la bureaucratie. Au fil des ans et des réformes, le pacte de stabilité (et de croissance) a mis en place tout un système de rapports, d’engagements et de vérifications. La France a joué la montre. Mosco I a multiplié des promesses qu’il savait intenables, et la Commission a fait semblant d’y croire. De mansuétude en grognement, elle a déroulé tout l’arsenal du pacte. À la fin de 2014, on est arrivé à la fin du processus, au stade de mise en route de la procédure de sanctions. Comme aucun pays n’a été jusqu’à maintenant sanctionné, l’affaire devient un enjeu important.
En novembre dernier, le gouvernement Valls a décidé de changer de tactique. Au lieu de faire de fausses promesses que Mosco II ne pouvait pas faire semblant de croire, il a clairement indiqué que les engagements de Mosco I, un déficit en dessous de 3% du PIB en 2015, ne seraient pas tenus. La Commission se voyait mise au défi. Elle a louvoyé, demandé des éclaircissements et annoncé que sa réponse ferme arriverait en février. Mosco II a penché pour la mansuétude, les durs de la Commission pour les sanctions. Le président, Jean-Claude Juncker, a coupé la poire en deux. D’un côté, la mansuétude, pas de procédure de sanctions. De l’autre des exigences de réduction du déficit à l’horizon 2017.
Le prédécesseur de Mosco II, Oli Rehn, aujourd’hui député européen, s’est empressé de déclarer que le pacte avait perdu toute crédibilité. Il n’est pas le seul. L’Allemagne, dont l’influence à Bruxelles est considérable, n’a rien dit, mais on sait à quel point elle tient au respect des engagements. Du côté français, on gagne du temps mais l’échéance tombe au mauvais moment puisque c’est la loi de finance adoptée fin 2016, juste avant les élections présidentielles, qui sera sur la sellette. Mais déjà des leçons peuvent être tirées.
La première est que la mécanique européenne est décidément mal ficelée. Le juridisme du pacte de stabilité n’a pas résisté aux arbitrages politiques. On voit resurgir le conflit entre accords internationaux, le pacte, et souveraineté nationale, le budget de l’État. C’est là la seconde leçon. Un pays souverain peut dire non aux injonctions de la Commission, s’il l’ose et s’il en a les moyens, ce qui manque aujourd’hui à la Grèce. Tant que la France peut emprunter sur les marchés financiers, elle peut continuer à produire des déficits. La troisième leçon est que les sanctions n’ont peut-être pas le caractère dissuasif escompté. Une amende de 0,2% du PIB vaut bien une réélection. La dernière leçon est que ce bourbier ne fait que renforcer le camp des partis anti-Europe. Après Syriza en Grèce et peut-être Podemos en Espagne, la Commission n’a sûrement pas envie de voir Marine Le Pen à l’Élysée. Cela conduira-t-il à une remise en question des dogmes qui ont visiblement échoué ? Rien n’est moins sûr.
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)