Retraites : une dramaturgie française edit
Le gouvernement a décidé de faire de la réforme des retraites la grande affaire de la fin du quinquennat. Il l’a fait de propos délibéré en dramatisant l’enjeu, en anticipant la clause de rendez-vous prévue lors de la réforme Fillon, alors que rien dans les données démographiques ne justifiait cette urgence et que l’aggravation des déficits est un effet mécanique de la crise, et en sachant que la réforme ne pouvait être que très partielle. Le PS, symétriquement, a décidé d’en faire l’axe majeur d’une opposition sans concession au gouvernement en prêtant à cette réforme une radicalité et une portée qu’elles n’ont pas et en saisissant l’occasion pour promouvoir ses solutions de taxation du capital. Une fois de plus un « débat à la française » s’instaure où à la fausse audace réformatrice des uns s’oppose la fausse radicalité des autres pour la plus grande confusion de tous alors que pendant ce temps la situation économique et financière se dégrade. Essayons donc d’ordonner les termes du débat.
La dramaturgie de la réforme a été parfaite. Le gouvernement a fait monter progressivement l’intensité en usant des travaux du COR, en différant des réformes non essentielles, en prévoyant de longues auditions des partenaires sociaux, en tentant de discréditer un PS attaché aux « dogmes ». Il fallait qu’avant même l’annonce d’un texte, chacun en soit convaincu : la reforme est une urgence, une nécessité absolue pour éviter de plus grands périls. Mais à trop en faire, on risque le grand écart entre les discours et les réalités.
La difficulté actuelle ne vient pas d’une soudaine dégradation de la situation démographique ou des fondamentaux économiques par rapport aux scenarii du COR mais des effets de la crise qui rapprochent de 15 ans les échéances financières envisagées lors du rapport de 2007. S’il en fallait une preuve, il suffit de considérer les hypothèses des scenarii de croissance, tous fondés sur des hypothèses de gains de productivité et de chômage très favorables par rapport à la situation actuelle. En réalité l’équilibre financier des régimes de retraite n’est guère différent de l’évolution des soldes budgétaires ou de l’évolution de l’assurance maladie : la crise a partout creusé les déficits. Il n’y a pas de singularité du dossier des retraites.
Les mesures d’âge envisagées (âge légal porté progressivement à 62/63 ans, allongement de la durée de cotisations à 41,5 ans et au delà à partir de 2020) ne suffiront pas. À l’échéance 2025, selon le COR, pour consolider le système il faut envisager soit une baisse du taux de remplacement de 22%, soit une hausse des prélèvements vieillesse de 5 points, soit un report de l’âge effectif de la retraite de 3/4 ans par rapport à l’âge actuel de 61,6 ans. Les mesures envisagées, pour autant qu’on puisse en juger, ne permettront de faire que la moitié du chemin et encore pour les seuls régimes privés.
Le recul uniforme de l’âge légal de départ à la retraite frappera surtout les travailleurs ayant connu le chômage, il atteindra ceux qui exercent les taches les plus pénibles et il remet en cause le compromis fondateur de 2003 négocié entre la CFDT et le gouvernement Raffarin puisqu’il empêchera ceux qui ont commencé très tôt leur carrière et qui ont leurs 41 ans de cotisation de partir en retraite avant 60 ans.
Ces remarques sont reprises à juste titre par le PS dans son argumentaire contre la réforme Sarkozy. De plus, en se ralliant aux réformes Balladur/Fillon et en s’inscrivant dans le cadre des hypothèses et des scenarii du COR, le PS fait preuve de courage politique par rapport à sa base militante. Ce faisant il s’inscrit dans une bataille politique en avançant ses solutions – l’accroissement des ressources – contre celles du Gouvernement – l’allongement de la durée du travail – mais à partir d’une base commune, à savoir les 45 milliards d’euros à trouver en rythme de croisière à partir de 2025 soit 1,7 point de PIB de plus qu’aujourd’hui.
La solution réside-t-elle, comme le croit le PS, dans une taxation du capital à hauteur de 25 milliards d’euros à l’horizon 2025 (mesures sur l’intéressement et la participation, taxation des stocks options et des bonus, contribution sur la valeur ajoutée, taxe sur les banques) ? Une taxation plus lourde des revenus du capital est envisagée par nombre de gouvernements et même par Nicolas Sarkozy : que le PS y songe est dans l’ordre des choses mais il aurait gagné en crédibilité s’il avait indiqué qu’une taxation de 2 milliards d’euros pour une assiette de 2,7 ne peut avoir qu’un effet : faire disparaître l’assiette. De même le PS qui était hostile à la réforme de la taxe professionnelle aurait gagné à dire publiquement qu’il la réinstaurait à travers l’accroissement de la CVA mais au profit des régimes de retraite. Enfin le PS se serait grandi s’il avait expliqué que la taxation supplémentaire des banques allant au régime des retraites, il ne sera pas possible de l’affecter au budget de l’État ou à une caisse de résolution des crises bancaires.
Mais il y a un problème plus large que soulèvent ces multiples taxations des revenus du capital. À supposer même que la matière ne disparaisse pas du fait de la globalisation financière, est-il justifié d’affecter massivement des ressources fiscales à un système contributif de protection sociale ? Autant il est justifié de recourir à l’impôt pour la part non contributive du régime vieillesse (abondement du Fonds de solidarité vieillesse), autant un financement fiscal massif mine le régime, en affaiblit la légitimité, et donc à terme le met en péril. Il est étonnant que le PS s’engage sur cette voie.
La solution réside-t-elle davantage dans l’augmentation de 12 milliards des cotisations salariales et patronales envisagée à titre complémentaire par le PS ? Qu’il faille à terme augmenter les cotisations est à peu près inévitable si l’on veut éviter une dégradation trop forte du taux de remplacement et si l’on veut augmenter les petites pensions. Mais cette mesure ne va pas sans coût et on devrait savoir que tout alourdissement des charges, c’est-à-dire du coût du travail, aggravera le problème du chômage. De plus une telle mesure sera d’autant plus légitime que les salariés d’aujourd’hui accepteront de travailler davantage. Le PS à juste titre refuse la logique de guerre des générations mais comment peut-on demander aux jeunes générations actives actuelles de faire une part majeure de l’effort sans rien demander aux générations actuelles qui s’apprêtent à prendre leur retraite ? Si on ajoute que le PS entend dépenser 5 milliards de plus pour traiter la pénibilité et faciliter des départs précoces à la retraite, on est obligé de constater que ce ne sont pas les mesures de retour à l’emploi des seniors ou l’adoption de la retraite choisie qui vont permettre de dégager les moyens nécessaires.
Dans sa volonté démonstrative de cohérence financière, le PS mobilise tout à la fois le Fonds de réserve pour les retraites, la taxation du capital, l’augmentation des cotisations, la taxation des banques… Toutes les ressources réelles ou imaginaires sont mobilisées au service d’un seul objectif : le financement des retraites. Mais qu’inventera-t-on demain quand il faudra réduire le déficit budgétaire, trouver un financement pérenne à l’assurance maladie, répondre aux demandes des collectivités locales ?
Pour autant, le gouvernement n’est pas mieux inspiré dans ses orientations. Le programme qu’il distille jour après jour comporte certes des mesures d’âge avec le recul de l’âge légal de départ à la retraite à 62/63 ans et l’allongement à l’horizon 2020 de la durée de cotisation pour obtenir une retraite à taux plein, mais les mesures financières envisagées comme la « taxation des riches » ne sont pas à la hauteur de l’enjeu et fleurent bon la démagogie. La réforme Sarkozy est donc moins radicale que la réforme Fillon qui érigeait pour l’avenir le principe 2/3 / 1/3 (tout gain d’espérance de vie doit être partagé entre allongement de la durée d’activité pour les 2/3 et retraite pour 1/3), moins rentable que les réformes Balladur et Fillon (les allongements de durée de cotisation ont baissé les retraites servies de 20%), moins équitable socialement que la réforme Fillon (mesures pour les carrières précoces).
À la vérité, dès lors qu’on écarte la mise en scène du gouvernement qui prétend régler une question que tant d’autres ont négligé et la mise en scène du PS qui prétend organiser la résistance contre la mise en cause des acquis sociaux, la réforme actuelle se révèle limitée dans sa portée, lacunaire dans son objet et néanmoins utile. Elle constitue la troisième étape d’un processus dans la voie ouverte par le livre blanc Rocard qui en connaîtra d’autres ; elle ne permet pas d’atteindre l’équilibre financier même à l’horizon 2020 ; elle ne s’attaque pas à la constitution d’un régime fonctionnaire ; elle cède à la démagogie des financements non pérennes. Les solutions pragmatiques sont pourtant assez simples à énoncer.
Il faut bien sûr prendre des mesures d’âge et notamment reculer l’âge d’ouverture des droits pour une double raison : c’est une source d’économies pour les régimes de retraite mais c’est aussi un message adressé à tous les acteurs économiques : les carrières doivent être plus longues. L’un des effets pervers de l’avancement à 60 ans de l’âge légal du départ à la retraite au moment où l’espérance de vie augmentait a été de considérer qu’à 50 ans on était un travailleur senior.
Une telle mesure a pour contrepartie immédiate la confirmation du compromis Cherèque-Fillon sur les carrières longues et précoces, faute de quoi la réforme serait inéquitable pour ceux qui ont travaillé le plus, qui ont commencé jeunes et dont en outre l’espérance de vie à la retraite est plus faible. Ce compromis a été une bonne manière d’aborder de facto la question de la pénibilité.
Il faut préserver le caractère contributif et paritaire du système de retraite : c’est une condition fondamentale de sa préservation. Les financements budgétaires assis sur des prélèvements nouveaux (revenus du capital ou taxation des riches) doivent financer les avantages non-contributifs.
Les financements nouveaux doivent être assis sur des assiettes larges, stables, aux rendements prévisibles. Le gouvernement doit gérer une double contrainte : trouver des financements nouveaux pour la protection sociale tout en réduisant globalement les déficits. Il doit le faire parce s’il veut pérenniser le système et répondre aux inquiétudes des créanciers de la France.
Enfin le gouvernement doit esquisser la constitution d’un régime fonctionnaire quitte à étaler dans le temps sa réalisation.
Une réforme conçue au départ comme une opération politique mettant en scène un président capable de mener à bien la mère de toutes les réformes s’est transformée, à la suite des développements de la crise des dettes souveraines, en un premier test de la capacité de la France à préserver sa note AAA. C’est sur un mode purement politique que la réforme des retraites avait été annoncée ; la crise des dettes souveraines change les priorités, la crédibilité financière est une exigence première. Le gel des dépenses budgétaires en euros courants, la réforme des retraites, les mesures nouvelles d’économie dans l’assurance maladie doivent y contribuer en attendant que des mesures plus rigoureuses encore ne soient prises quand il faudra reconnaître que l’objectif de croissance de 2,5% pour les prochaines années est hors d’atteinte.
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