Sortir de l’impasse sur la loi Travail edit
Les positions des acteurs du conflit actuel au sujet du projet de loi Travail sont caricaturalement opposées. Du côté gouvernemental, il est hors de question de modifier des articles fondamentaux de ce projet. Du côté des syndicats engagés dans le conflit, en particulier la CGT, il faut retirer ce projet, a minima son fameux article 2. Chacune des deux parties fait presque de sa position une question identitaire. Le gouvernement entend faire preuve d’une véritable et courageuse capacité de réformer. Pour la CGT, il s’agit d’inverser une perte de reconnaissance dans l’opinion publique et le monde salarié liée à la fois à des difficultés à s’adapter aux évolutions économiques et sociales et à des péripéties internes malheureuses. Dans cette épreuve de force d’une autre époque, chacune des deux parties a tout fait pour que le moindre changement de sa position apparaisse comme un recul. Pourtant, il faudra bien sortir de cette impasse, par le haut si possible, autrement dit sans que l’autorité légitime de l’exécutif ou que l’image de cet important syndicat ne soit définitivement abîmée. Et tout doit être fait pour une issue rapide.
Des initiatives sans doute malheureuses ont conduit à un blocage concrétisant un conflit majeur. Ainsi d’une fuite de l’avant-projet de loi dans la presse avant toute information complète des partenaires sociaux. Ce texte est en partie inspiré du rapport Combrexelle connu de tous mais surtout commandé par le gouvernement pour préparer le projet de loi. Cela prend la forme d’un renforcement du rôle de la négociation collective, y compris voire principalement dans l’entreprise, grâce notamment à l’accord majoritaire, recommandé par ce rapport Combrexelle mais aussi par nos deux contributions pour le Conseil d’analyse économique en 2010 et pour Terra Nova en 2015. Comme suggéré par ces rapports, la concrétisation de cet objectif se fait, dans une première étape, dans le domaine de la durée du travail ; de ce fait, à droit constant, sous réserve des modifications inhérentes au rôle plus important conféré de ce fait à l’accord d’entreprise. Le manque d’explication à ce sujet fait dès lors appréhender comme droit nouveau ce qui existait déjà, spécialement la possibilité de fixer à 10 % la majoration des heures supplémentaires (loi du 17 janvier 2003), celle de déroger par accord d’entreprise à la convention de branche (loi du 4 mai 2004), celle, en matière de répartition des horaires et d’aménagement des temps de travail, de faire de l’accord d’entreprise le droit commun, la convention de branche ne s’appliquant qu’à défaut et la réglementation qu’en l’absence de tissu conventionnel (loi du 20 août 2008).
Mais le texte ajoutait à ces éléments d’autres propositions apparaissant inacceptables à tous les syndicats de salariés. Il s’agit pour l’essentiel de la barémisation des dommages et intérêts dus par l’employeur en cas d’absence de cause sérieuse de licenciement et de modifications touchant au droit des licenciements pour cause économique. On peut aussi présenter sous cet angle les dispositions permettant un traitement direct par décision de l’employeur dans certains domaines, tels les forfaits jours dans les PME ce qui est contradictoire avec le renforcement de la place de l’accord collectif.
Ce qui est apparu dès lors comme chiffons rouges pour tous les syndicats a dû être écarté ou amodié pour que le projet soit acceptable par les réformistes, sensibles aux mérites de la promotion du contrat collectif vecteur de compromis grâce au contrat, lui-même inspiré de libertés. Ces mêmes syndicats, en premier lieu la CFDT, mettent de ce fait en exergue les avancées au plan du progrès social matérialisées par d’autres dispositions du projet tel le compte professionnel d’activité, amorce de moyens de concilier, dans un monde du travail profondément marqué par l’émergence du numérique, la promotion des droits fondamentaux autrement que par la responsabilité directe de l’employeur. La cristallisation du conflit a été évidemment accentuée par le recours au 49.3, matérialisant une absence de majorité effective… relayé par l’opinion publique majoritairement hostile au projet mais pour des raisons diamétralement opposées selon les catégories de citoyens (certains parce qu’ils souhaitaient conserver le texte initial) ce qui rend intellectuellement malhonnête d’avancer des pourcentages pour justifier l’hostilité à cette loi.
L’article 2 du projet de loi est mis en avant par les opposants au texte, qui le présentent parfois comme un recul inacceptable des protections des travailleurs. C’est fondamentalement inexact puisque la norme substitutive à celle légale ne peut venir que d’un accord collectif, donc sous la responsabilité des syndicats – dont le rôle est de ce fait accru –, de surcroît avec un taux d’audience, pour valablement conclure, passant de 30 % à 50 % c’est-à-dire à la majorité du personnel concerné. Il s’agit donc de construire la protection des travailleurs autrement que par l’intervention de la loi au-delà des principes qui sont de la compétence exclusive du législateur (article 34 de la constitution). De ce fait, le « principe de faveur », dont on prétend qu’il est écarté, continue à s’appliquer mais sur l’ensemble de l’accord du fait de concessions réciproques caractéristiques de tout contrat et non plus avantage par avantage. Ainsi affirmer que l’employeur va pouvoir ne majorer les heures supplémentaires que de 10 % est fallacieux non seulement parce qu’une possibilité de fixer ce taux existe déjà depuis 2003 mais encore et surtout parce que cela suppose l’accord de syndicats représentant la majorité du personnel. Soutenir en outre que, dans l’entreprise, les syndicats ne peuvent que se soumettre au diktat de l’employeur est plus qu’excessif, ceci d’autant que – mais cela on ne le souligne pas – le projet de loi incite fortement à mettre en place, par accord de méthode, les règles de conduite de la négociation – ce que nous recommandons comme essentiel dans nos deux rapports successifs – permettant équilibre des pouvoirs, comportement loyal et exécution de bonne foi des textes.
Aujourd’hui et du fait de la loi du 4 mai 2004, un accord d’entreprise peut déroger à la convention de branche. Le projet fait de celui-ci le droit commun, celle-ci ne s’appliquant qu’à défaut selon la méthode déjà en vigueur, depuis 2008, en matière de répartition et d’aménagement des temps de travail. De ce fait, la possibilité pour la convention de branche de s’opposer à l’autonomie de l’accord d’entreprise disparaît. On comprend qu’à cette inversion le gouvernement soit attaché car sa suppression détruirait l’essence même de la réforme. C’est ce qui explique son refus d’écarter l’article 2. Un compromis – pour mettre fin à une situation conflictuelle grave qui menace tant la démocratie que l’économie – pourrait être trouvé dans une déclinaison de ce qu’on peut appeler « ordre public professionnel », pendant des principes du droit du travail (auquel un accord ne peut déroger), qu’un accord d’entreprise ne peut donc méconnaître. Ceci est déjà consacré par l’article L2253.3 du code du travail qui interdit toute dérogation aux clauses conventionnelles de branche relatives aux classifications (qui identifient économiquement la branche) et aux règles de mutualisation des contributions alimentant les actions de formation et les garanties de prévoyance (qui, par le biais de la solidarité, consolident la collectivité de travail). Il serait possible de préciser dans le projet de loi que la convention de branche doit définir les domaines concrets de cet « ordre public professionnel », auquel l’accord d’entreprise ne pourrait déroger, et ceci pourrait être la base d’un compromis acceptable. Il faudrait aussi renforcer les dispositions du projet de loi concernant la pré-négociation sur les pourparlers, donc sur l’accord de méthode, pour faire apparaître que s’il n’y a pas obligation de conclure, les parties doivent tout mettre en œuvre pour y parvenir, ce qui est conforme aux principes de la théorie contractuelle. Dans cette perspective, il serait bien d’imposer à la convention de branche de définir les règles de conduite de la négociation dans l’entreprise qui s’appliqueraient à défaut d’accord d’entreprise sur ce point.
Il faut que, par une stratégie forte de communication, soit promue l’idée qu’un droit du travail faisant une place essentielle au contrat collectif non seulement concilie mieux efficacité économique et protection du travailleur, donc favorise l’emploi, mais qu’un tissu législatif abondant est contre performant dans sa fonction protectrice dès lors que l’adage « nul n’est censé ignorer la loi » devient surréaliste. Qui peut sérieusement soutenir qu’il domine plus de la moitié du code du travail ? Par contre, il ne faut pas, au nom de ce constat, en réduire le volume mais simplement le rendre supplétif pour tout ce qui ne ressort pas des principes.
Il est urgent de sortir de l’impasse actuelle pour revenir au débat de fond. Dans le monde développé, la France fait partie des rares pays à pâtir d’un taux de chômage massif. Seules des réformes ambitieuses, du marché du travail mais aussi de l’Etat, de la fiscalité, de l’école... lui permettront de connaitre elle aussi la situation de quasi plein emploi dont bénéficie une grande majorité de pays développés. La réforme du droit du travail est une dimension de la réforme du marché du travail. Cette réforme du droit du travail doit concilier un accroissement de l’efficacité économique et de la protection effective des travailleurs. La seule voie respectant cet équilibre est celle d’une refondation concrétisée par la possible dérogation par accord collectif à la loi (au-delà des principes et du droit supranational). Cela permet en effet l’adaptation des normes à chaque contexte ce qui est vecteur, par l’adaptation des normes, de valeur ajoutée donc contribue à la compétitivité. Force est de constater que, pour l’instant, cette démarche de réforme ne se concrétise pas par des moyens affirmés et ambitieux. On en reste aux mots de la réforme. Quelle qu’elle soit, la future majorité issue des urnes en 2017 devra s’y engager avec audace.
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