Emmanuel Macron et la démocratie représentative edit
Lors de sa conférence de presse du 25 avril 2019, Emmanuel Macron a traité longuement de la démocratie et des manières d’en améliorer le fonctionnement dans notre pays. Disons d’emblée qu’il l’a fait courageusement et justement. Dans une période où la démocratie représentative est mise en cause de divers côtés et où, en France, le mouvement des Gilets jaunes a avancé une critique radicale de son fonctionnement, exaltant les vertus de la démocratie directe au détriment de l’élection des représentants, le président de la République a réaffirmé avec force son attachement aux principes de la représentation et de l’élection. « Je crois aux élus, a-t-il déclaré. Je crois aux élus de la République parce que l’élu a une légitimité, celle que lui procure l’élection. Si on se met à dire, quand il s’agit des décisions de la cité, l’avis, la vision d’un citoyen est aussi importante que celle du maire, elle l’est en tant que citoyen mais le maire est allé à l’élection. Il a obtenu une légitimité (…) Je ne veux pas que de cette crise, le rôle du Parlement ne soit, en aucun cas, fragilisé. »
Écartant les propositions avancées par le mouvement des Gilets jaunes pour répondre à la crise de la représentation, notamment, la prise en compte du vote blanc dans les suffrages exprimés, le vote obligatoire et surtout le référendum d’initiative citoyenne tel qu’il était réclamé, le Président a estimé qu’il fallait s’appuyer davantage sur les élus locaux, et d’abord sur les maires, se prononçant pour un nouvel acte de décentralisation. « Nous devons changer de méthodes d’organisation de notre République, a-t-il déclaré. Ce qui s’est exprimé très profondément c’est un besoin de proximité d’enracinement de l’action que nous devons conduire dans beaucoup de domaines. Et j’ai pleinement conscience que la politique que nous avons parfois menée a été perçue comme lointaine parfois trop froide, venant de Paris et donc technocratique. Les Français ont confiance dans leurs élus locaux. »
Dans le cadre de ce court article, nous n’analyserons pas le large ensemble de propositions avancées dans son intervention, nous limitant ici au vote blanc et au référendum d’initiative partagée.
À propos du vote blanc, les arguments du chef de l’État sont entièrement persuasifs. Faire une telle réforme reviendrait à considérer que le vote blanc est de même nature que le vote en faveur d’un candidat. « Je ne retiendrai pas cette proposition, a dit le président, parce qu’au fond la crise de notre démocratie est aussi une crise d’efficacité et de capacité à prendre les décisions. Alors, on peut avoir des projets dont aucun ne nous plaît totalement à une élection mais on doit choisir parfois le moindre mal ou le mieux possible, et ce choix est important parce que dans les moments difficiles de la démocratie, il faut prendre des options et il faut choisir et je sais une chose : c’est que quand on vit une période difficile, blanc ça ne décide pas. Blanc c’est l’agrégation des rejets, des refus ». Ajoutons que retenir cette proposition aurait pour conséquence d’affaiblir la légitimité des élus. C’est d’ailleurs souvent dans ce but qu’elle est émise. Dans un pays démocratique comme le nôtre où le droit de vote est établi, où il existe un réel pluralisme politique au niveau des candidatures et où les élections se déroulent dans des conditions satisfaisantes, il est parfaitement légitime et nécessaire pour la bonne santé démocratique d’asseoir la légitimité et de garantir le pouvoir du candidat qui est élu. Il est tout à fait normal que les citoyens qui ne veulent voter pour aucun des candidats en présence puissent voter blanc et montrer ainsi qu’ils participent à la consultation. Mais comptabiliser ces voix comme des suffrages exprimés reviendrait, en considérant de la même manière les citoyens qui ont fait un choix et ceux qui ont refusé de le faire, à affaiblir la légitimité des élus et, du coup, plus généralement, celle du système représentatif lui-même. En théorie, il pourrait même se faire que ce soit le vote blanc qui arrive en tête. Que faire alors : annuler l’élection, déclarer le vote blanc élu, ou proclamer l’élection du candidat arrivé derrière, affaiblissant ainsi dès le départ sa légitimité ?
S’agissant du référendum d’initiative populaire, le président a répondu : « Tel qu’il est proposé, il me semble remettre en cause la démocratie représentative ». De fait, il est souvent présenté par ses partisans comme un moyen de contourner le système représentatif et donc de l’affaiblir en donnant au électeurs le pouvoir de faire eux-mêmes directement les lois. De manière plus dangereuse encore, certains vont jusqu’à réclamer un référendum révocatoire des élus. Ici, c’est le cœur même du régime représentatif qui se trouverait atteint.
Le principe essentiel de ce régime est que les représentants prennent les décisions en fonction de ce qu’ils jugent être dans l’intérêt public, mais doivent rendre des comptes au terme de leur mandat. Cet intervalle entre la décision et la reddition de comptes incite les représentants à agir en fonction des conséquences de leurs décisions, plutôt que de leur popularité instantanée. On se plaint souvent que les démocraties représentatives soient atteintes d’une myopie structurelle et privilégient à l’excès le court-terme. On déplore même parfois que les décisions publiques y soient prises en fonction des sondages du moment. De tels effets seraient à la fois assurés et exacerbés sous un régime de référendum révocatoire d’initiative populaire.
Ajoutons que l’établissement du référendum révocatoire aurait pour effet de désynchroniser les élections au Parlement, différentes circonscriptions pouvant révoquer leur député à des moments différents. Comment, dans de telles conditions, les électeurs pourraient-ils savoir clairement quelle majorité gouverne en un moment donné ? Paradoxalement, le référendum révocatoire minerait la capacité des électeurs à imputer la responsabilité des politiques suivies.
Pour autant, a poursuivi le Président, « je crois malgré tout que nous devons donner plus de place à la voie référendaire dans notre démocratie et ce que je souhaite, c’est que dans le cadre de notre réforme constitutionnelle, nous puissions aller plus loin sur le référendum d’initiative partagée qui a été créé il y a maintenant 11 ans dans notre Constitution, en en simplifiant les règles, en permettant que l’initiative puisse venir de citoyens, un million de citoyens qui signeraient une pétition et qu’elle puisse prospérer en projet de loi et, si elle n’était pas examinée par les assemblées, aller au référendum ». Telle qu’elle est formulée, cette proposition mérite cependant d’être précisée.
Il est vrai que l’instauration par la révision constitutionnelle de 2008 du référendum d’initiative partagée était très restrictive du point de vue des pouvoirs donnés aux citoyens dans cette procédure. En effet, il ne s’agissait pas à proprement parler d’une initiative partagée puisque le nouvel article 11 stipulait « qu’un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa pouvait être organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits ». L’initiative était ainsi en réalité réservée aux parlementaires. Quant aux électeurs, 10% des inscrits représentaient 4,6 millions de personnes en 2018. La proposition du président accroît donc sensiblement le pouvoir des électeurs, et ce de deux manières : en leur donnant la possibilité de prendre eux-mêmes l’initiative de lancer la procédure et en divisant par quatre le nombre d’électeurs nécessaire pour sa mise en œuvre puisqu’il suffirait d’une pétition rassemblant un million de signatures. Mais il n’est pas précisé si les parlementaires de leur côté conservent le droit d’initiative concurremment aux électeurs, c’est-à-dire s’il s’agit réellement d’un référendum d’initiative partagée. Par ailleurs, comme dans la Constitution actuelle, il semble qu’il revient aux parlementaires de se prononcer sur le texte présenté par les électeurs, et donc de le retenir, de l’amender ou de le rejeter, ce qui est une bonne chose car sinon coexisteraient deux systèmes concurrents de démocratie directe et de démocratie représentative, ce qui aboutirait, là encore, nécessairement à affaiblir cette dernière. En effet, l’organisation d’un référendum sur le texte soumis par les électeurs ne donnerait lieu obligatoirement à l’organisation d’un referendum que dans le cas où le Parlement ne l’aurait pas discuté dans un laps de temps défini. Mais, de toutes manières, la proposition du président rend indéniablement plus facile l’organisation de ce type de procédure et il est probable que contrairement à la situation actuelle, de tels référendums seront organisés dans l’avenir. Les partisans du référendum d’initiative partagée, sous bénéfice d’inventaire de ce que sera la proposition exacte du président, devraient se réjouir d’une réforme fondamentale, qui, à la différence de la révision de 2008, ouvre véritablement aux citoyens la possibilité de participer directement à l’élaboration des lois.
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