Espagne 2023: un super cycle électoral edit
Le 28 mai prochain, tous les électeurs espagnols sont invités à renouveler leurs conseils municipaux. Pour douze communautés autonomes – Madrid, Aragon, Asturies, Cantabrie, Castille-La Manche, Valence, Murcie, La Rioja, Canaries, Baléares, Navarre, Estrémadure – et dans les deux villes-autonomes de Ceuta et Melilla, ce 28 mai sera aussi jour d’élection régionale. Ce test a valeur de répétition pour les élections générales qui doivent se tenir avant le 10 décembre. 2023 sera donc une grande année électorale : depuis 1979, les élections municipales ont souvent révélé les basculements de l’opinion publique. Les succès socialistes de cette année annonçaient le triomphe de 1982 tandis que les victoires éclatantes du Parti Populaire en 1995 créaient la dynamique qui conduisait à la conquête du pouvoir national en mars 1996. En 2003, les socialistes l’avaient emporté d’un cheveu… et en 2004, le PSOE gagnait les élections générales. En mai 2011, le PP avait laminé le pouvoir territorial socialiste… et en novembre, il défaisait le PSOE. En mai 2019, le PSOE avait confirmé sa position avantageuse face à un PP déboussolé par la motion de censure de juin 2018 qui avait fait tomber le gouvernement Rajoy et hisser Pedro Sánchez à la Moncloa.
La dynamique qui sortira des urnes le 28 mai 2023 sera celle de la campagne des élections générales… Il n’est pas sûr que les socialistes et leurs alliés de Podemos l’abordent sereinement tant les sondages semblent donner l’avantage à la droite.
Quelles grandes batailles?
Le bilan du 28 mai sera facile à établir : combien de régions et de grandes villes basculent ? Quel est le parti qui en profite ?
Les élections du 28 mai ne concernent ni la Catalogne, ni le Pays basque, ni l’Andalousie. Cela confère au scrutin une polarisation gauche-droite que ne vient pas compliquer la question des nationalismes. Les deux principales batailles se livrent à Madrid et dans la communauté de Valence.
Madrid est, depuis, 1995, le fief inexpugnable du PP. Sauf en 2019, où les socialistes avaient dépassé un PP traumatisé par la perte du gouvernement central (27,3% contre 22,1%), sans toutefois réussir à prendre le contrôle du parlement, le PP a gagné toutes les élections. Mieux même, en 2021, la présidente régionale, Isabel Diaz Ayuso, engagée dans une contestation permanente de la politique gouvernementale concernant la lutte contre le COVID-19, avait dissous le parlement et l’avait emporté haut la main (44,7%). Le PSOE avait été dépassé par Más Madrid, un parti de gauche, lui-même issu d’une scission de Podemos. Les tout derniers sondages laissent entrevoir la possibilité d’une majorité absolue pour le PP d’Isabel Diaz Ayuso et le PSOE resterait troisième. Un tel schéma confirmerait la dynamique en faveur de la droite en même temps qu’il conforterait les aspirations de la leader madrilène à devenir la référence de la droite espagnole… en attendant d’en être la cheffe.
Valence, au contraire, est aux mains de la gauche. Le président Ximo Puig a construit, depuis 2015, un gouvernement de coalition qui est, dans la région, l’équivalent de ce que le gouvernement Sánchez est à l’Espagne. Il avait ainsi récupéré au profit de la gauche une région phare du PP (majoritaire de 1999 à 2015) qui est aussi l’une des régions les plus dynamiques du pays. À la différence de Madrid, la droite ne peut espérer emporter la région que dans une alliance entre ses trois composantes : le PP, Vox et Ciudadanos. Ce dernier parti qui disparaît progressivement de la carte électorale demeure une force non négligeable à Valence. Mais l’accord des droites peut avoir un effet mobilisateur à gauche. La perspective de voir entrer Vox dans un exécutif régional (c’est déjà le cas en Castille-Léon) est, pour beaucoup d’électeurs, un repoussoir.
Dans les autres régions, les barons locaux sont, en général, en position favorable. Mais les présidents socialistes d’Aragon (Javier Lambán) et de Castille-La Manche (Emiliano García Page) semblent menacés. Conscients de l’usure du gouvernement Sánchez, ils essayent de s’en tenir discrètement à distance. La chute de ces deux régions constitueraient une très mauvaise nouvelle par rapport aux élections générales. Une autre région socialiste est menacées : La Rioja. Mais son faible poids démographique ôte de l’intensité à l’affaire.
Du côté des municipalités, Madrid, Barcelone, Séville, Valence, Valladolid, Bilbao seront les grands lieux à observer. À Barcelone, tout est possible : depuis la conservation de la mairie par Ada Colau et ses alliances soit avec le PSOE soit avec les indépendantistes républicains, ou son basculement vers le PSOE ou encore sa reconquête par les indépendantistes de centre-droit qui présentent l’ancien maire Xavier Trias (2011-2015). Sa victoire ne manquerait pas de recomposer sérieusement les équilibres de la politique catalane. D’ailleurs en Catalogne, une analyse fine de ces élections municipales s’imposera à tous les acteurs politiques. Elle livrera la clef des futures recompositions… Séville, bastion socialiste depuis 1979, pourrait basculer à droite. Valence et Valladolid sont très incertains. Et si à Madrid, le maire PP, José Luis Almeida, devrait arriver en tête, il aura besoin du soutien des élus de Vox.
Les dynamiques de la droite
Pour le PP, la victoire le 28 mai est plus que vraisemblable. Mais son leader, Alberto Nuñez Feijóo, sait bien que pour que cette victoire ne soit pas un mirage, il a besoin de créer un écart important avec Vox. Ce fut le cas en juin 2022 en Andalousie : mais cette configuration n’est pas aisément reproductible et, en Castille-Léon, le gouvernement régional est conditionné par Vox.
Il y a une semaine, Vox a présenté une motion de censure contre le gouvernement Sánchez. S’agissant d’une procédure constructive, il s’agissait d’essayer d’articuler une majorité alternative. Vox entendait développer un argumentaire autour d’un gouvernement de techniciens, attachés au redressement du pays. Et le parti est allé chercher son candidat parmi les vieilles gloires de l’antifranquisme et de la transition démocratique. Il s’agissait de l’ancien député (communiste) et économiste Ramón Tamames, âgé de 90 ans ! L’erreur de casting était évidente et la motion a tourné largement à l’avantage du président Sánchez. Le soutien du PP était indispensable à Vox : or il lui a été refusé. Au même moment, dans l’assemblée régionale de Madrid, Isabel Díaz Ayuso rompait avec Vox. La compétition entre les droites est féroce.
Entre le PP et Vox, selon les différents sondages nationaux, l’écart est désormais de 15 points (30% contre 15%). C’est une situation beaucoup plus favorable au PP qu’en 2019 (20,8% contre 15%) mais qui demeure fragile. Le bloc de droite est largement majoritaire (45-46% contre 36% au bloc PSOE-Podemos) mais Vox continue de représenter une hypothèque lourde pour le PP. Et qui sait si après le 28 mai, de trop nombreux accords de gouvernements en région ou dans les grandes villes, entre le PP et Vox ne porteront pas atteinte à l’image centriste que Nuñez Feijóo entend donner à son mouvement ? Il sait que sa victoire passe par l’accueil des électeurs centristes déçus tout à la fois par Ciudadanos et par le PSOE. Mais les leaders de Vox ne préfèreront-ils pas la politique du pire : faire peur pour que la droite perde et que, de la déception d’une défaite naisse une radicalisation qui ferait de Vox le grand parti de la droite espagnole ? Ce scénario à la Melloni – Vox adore la présidente du conseil italien – n’est pas encore le plus crédible. Mais il demeure là, dépendant des rapports de force qu’établiront les électeurs.
La gauche a-t-elle déjà perdu?
La droite, on l’a dit, est majoritaire dans les sondages d’opinion. La « coalition progressiste », comme l’appelle Pedro Sánchez, est-elle vouée à perdre ? Les tensions entre le PSOE et Podemos, les recompositions à l’intérieur même de Podemos sont de nature à accentuer les turbulences dans la gauche espagnole.
En 2015 et 2016, Pablo Iglesias et Podemos avaient caressé le rêve de supplanter le PSOE. Aujourd’hui, l’écart entre les deux partis s’est accentué : le PSOE possède entre dix et quatorze points d’avance sur Podemos. La résilience du vieux PSOE, entièrement repris en main et d’une main de fer par Pedro Sánchez, est évidente tandis que le leadership de Pablo Iglesias fragilise le projet politique de Podemos. En février 2021, Iglesias quittait le gouvernement pour affronter le PP dans l’élection anticipée du parlement régional de Madrid. Il y fut humilié… et les sondages vaticinent le passage sous la barre de 5% de Podemos à Madrid au profit de Más País, un assemblage de gauche, pensé par Iñigo Errejón, un ancien bras droit de Iglesias. Pedro Sánchez table même sur la montée en puissance de cette alter-gauche. Yolanda Díaz, vice-présidente du gouvernement et ministre du Travail, doit monter une coalition « Sumar » – qui veut dire additionner, ajouter –, à partir du noyau de Podemos. Mais les tensions sont vives entre Iglesias et Díaz et le projet politique de Sumar condamné peut-être par des divisions au sein de cette gauche plus à gauche que le PSOE.
Dans ces conditions, le PSOE peut apparaître comme la meilleure option d’un électorat de gauche un peu déboussolé mais très déterminé à faire barrage à Vox. Pedro Sánchez sait remarquablement jouer sur ce registre. Aussi, rien ne garantit, le 28 mai, un raz-de-marée si puissant en faveur de la droite qu’il plierait le match pour les élections générales. Le match est lancé et il est plus équilibré que ne le laissent croire les sondages. Les campagnes seront sans doute décisives pour incliner la balance d’un côté ou de l’autre.
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