Grande coalition en Allemagne: une solution logique edit
Le 24 septembre au soir, au moment où tombaient les résultats des élections allemandes, trois propositions faisaient à peu près consensus.
La percée de l’AFD était un échec personnel de Mme Merkel, signe d’une mauvaise gestion des flux migratoires et d’une incapacité à faire accepter son choix par son propre électorat. Une autre lecture était pourtant possible : l’Allemagne, plus tardivement que ses voisins à l’est et à l’ouest, connaissait une poussée populiste de droite nourrie de craintes et d’une volonté de repli.
La coalition « Jamaïque » allait s’imposer car la percée du FDP indiquait une sensibilité de droite conservatrice plus marquée dont Mme Merkel devait tenir compte cependant que l’alliance avec les Verts venait de loin et avait été minitueusement préparée avec notamment le retrait du nucléaire. Là aussi une autre lecture était possible qui partait de la dérive idéologique du FDP, de la volonté de ce parti de renouer avec la radicalité de droite de ses débuts pour questionner son ralliement à la démarche centriste de Mme Merkel.
La « Grande Coalition » avec 53% des voix était la vraie perdante des éléctions. Son rejet confortait la volonté du SPD de se refaire une santé dans l’opposition. L’évidence d’un tel choix supposait que l’échec pouvait être réellement attribué à la participation à la grande coalition.
La coalition Jamaïque a fait long feu et le projet de grande coalition renaît de ses cendres.
Au moment donc où l’éventualité d’une reconduction de la grande coalition en Allemagne est à nouveau envisagée, nous voudrions avancer les cinq raisons qui selon nous devraient pousser la social-démocratie allemande à accepter cette reconduction.
Cinq raisons d'accepter
1. Le premier refus opposé par le SPD au lendemain des élections allemandes à la reconduction de la grande coalition se fondait sur l’idée selon laquelle son recul électoral (voir tableau 1) était dû à sa participation à la coalition gouvernementale dirigée par la CDU d’Angela Merkel et que, de retour dans l’opposition, il pourrait se refaire une santé. Cette analyse nous semble fausse. D’abord, il faut noter que le recul de ce parti ne s’est nullement traduit par une poussée de l’opposition de gauche, qu’il s’agisse de Die Linke (+ 0,6) ou des Verts (+ 0,5) mais par celle du FDP et de l’AfD (respectivement +6 et +8). Il s’agit donc d’une poussée vers les partis plus ou moins eurosceptiques de droite. La coalition sortante, qui a reculé au total de 13 points, demeure majoritaire avec 53,5%. Ensuite, dans la mesure où l’affaiblissement électoral du SPD est une tendance lourde en Allemagne comme elle l’est pour la social-démocratie dans la plupart des pays d’Europe et que la gauche y est divisée et incapable dans ces condition de formuler une proposition crédible de coalition gouvernementale, il est peu probable que le SPD dans l’opposition se renforce suffisamment dans les années qui viennent pour avoir l’espoir de revenir seul au pouvoir. Dans ces conditions, un long séjour dans l’opposition risque de lui faire perdre progressivement son statut de parti de gouvernement et de l’user davantage qu’au pouvoir. Quant à l’éventualité de nouvelles élections, on ne voit pas pourquoi elles profiteraient demain aux sociaux-démocrates, la droite populiste et eurosceptique ayant le vent en poupe.
2. Tout autre coalition qui succèderait à la grande coalition risque fort de s’écarter du programme social-démocrate sur les deux points majeurs de son programme, la construction européenne et la lutte contre les inégalités, rendant difficile ensuite de revenir en arrière, la CDU-CSU étant alors poussée à infléchir sa politique dans le sens contraire. Cette réorientation pénaliserait d’abord l’électorat de gauche et du centre-gauche. En contribuant à favoriser cet infléchissement, le SPD ferait donc, d’une certaine manière, la politique du pire. Faut-il rappeler que c’est la grande coalition qui a introduit le SMIC et que c’est elle qui pourrait demain revoir dans un sens plus favorable la politique des retraites ? Faut-il rappeler également que le FDP milite pour des baisses d’impôt alors que le SPD veut relancer l’investissement ?
3. Le recul électoral du SPD, et plus généralement de la social-démocratie européenne (tableaux 1 et 2), traduit une panne de courant. En Allemagne, le programme du SPD a été réalisé pour l’essentiel et a été largement repris par la CDU, et l’on voit mal comment, une fois de retour dans l’opposition, il pourrait innover radicalement, tant serait grande la difficulté à articuler un nouveau programme redistributif dans le contexte actuel de la mondialisation. À moins que ce parti change radicalement d’orientation pour se rapprocher de la gauche radicale avec le double inconvénient que l’ensemble de la gauche, en Allemagne comme dans l’ensemble de l’Europe, devient structurellement minoritaire et qu’un tel rapprochement ferait fuir, de surcroît, vers la droite une partie de l’électorat de centre-gauche. Que réclame en effet la nouvelle gauche radicale ? Pour l’essentiel trois réorientations majeures : 1/une remise en cause du libre-échange (opposition au CETA) perçu comme facteur de désindustrialisation, de délocalisations et de perte de maîtrise face aux multinationales du fait du rôle reconnu aux tribunaux d’arbitrage dans les querelles commerciales, 2/une stratégie hardie de lutte contre les inégalités avec la mise en place d’un revenu universel et une nouvelle avancée de l’État protecteur, 3/un rôle nouveau pour l’État dans la planification de la transition énergétique au besoin en renonçant aux contraintes de l’austérité et de la restauration des grands équilibres.
4. En réalité, le compromis-social libéral est aujourd’hui, en Allemagne comme en France, le meilleur compromis possible pour la social-démocratie, celui qui protège le mieux la gauche réformiste contre les poussées populistes. C’est le seul compromis qui offre une chance à l’alliance des centres-gauche et des centres-droit de gouverner et de défendre à la fois la construction européenne et l’État social, et, plus largement, une société ouverte. Sans l’apport du SPD, rien ne garantit que la CDU à elle seule puisse poursuivre dans cette voie. Le SPD, qu’il le veuille ou non, ne pourra participer au pouvoir, dans les années qui viennent, sans accepter et faire vivre ce compromis. La question est alors de savoir s’il privilégiera ou non sa vocation gouvernementale. Comme le disait Willy Brandt, le pays passe avant le parti.
Il convient ici de replacer la situation du SPD dans celle de l’ensemble de la Social-démocratie européenne du point de vue de sa participation gouvernementale.
Parmi les 28 pays de l’UE (plus la Norvège et la Suisse), la social-démocratie participe au gouvernement dans dix pays et sur ces dix elle détient le poste de chef du gouvernement dans cinq, le Portugal, la Slovaquie, Malte, la Suède et l’Italie, s’agissant dans ce dernier pays du parti démocrate qui bien que membre du parti des socialistes européens n’est pas à proprement parler un parti social-démocrate mais un parti de centre-gauche. Dans les cinq pays où elle participe au gouvernement sans le diriger, les gouvernements sont tous dirigés par des partis de droite et du centre. Il s’agit de l’Estonie, du Luxembourg, des Pays-Bas, de la Slovénie, et de la Suisse où la présidence du Conseil fédéral est exercée à tour de rôle par les partis qui participent au gouvernement. Dans les pays où la SD (dont le PD en Italie) occupe le poste de chef du gouvernement, elle gouverne seule en Suède, au Portugal et à Malte, mais en Suède elle a besoin, malgré la participation des écologistes, du soutien épisodique de la droite face aux populistes et au Portugal de celui des communistes et du Bloc de gauche. En Slovaquie, il s’agit d’une coalition avec le centre et la gauche. En Italie, enfin, il s’agit d’une coalition avec une partie des chrétiens démocrates.
Il ressort de ces données que, compte tenu de sa situation électorale minoritaire et de sa tendance lourde à l’affaiblissement dans l’ensemble des pays, ainsi que des divisions de la gauche avec l’apparition des gauches radicales, en France, en Allemagne, en Espagne et en Grèce en particulier, qui empêchent les coalitions de gauche à la seule exception du Portugal, la SD n’a en réalité le choix qu’entre l’opposition et les alliances à droite et au centre. Il est peu probable que cette situation change dans un avenir prévisible, exception faite peut-être du Royaume-Uni du fait de son mode de scrutin majoritaire à un tour et du système de partis que ce mode de scrutin protège. L’Allemagne de tous ces points de vue n’est pas un cas isolé mais, du fait de l’importance du pays et de la force qu’y représente encore le SPD, le choix qu’elle fera pèsera lourd dans l’ensemble de l’Europe.
5. La relance européenne. Longtemps interdite par la crise sans fin connue depuis 2007, aggravée par les chocs à répétition en Grèce, au Portugal, en Irlande, en Espagne, en Italie, et rendue difficile par la méfiance grandissante des Allemands à l’égard de Français incapables de tenir leurs engagements, cette relance devient à nouveau possible avec l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir et le programme qu’il met en oeuvre. Or la simple lecture des déclarations des dirigeants du FDP et du SPD montre l’écart qui s’est creusé entre les libéraux du FDP et la CDU. Là où les partis de la Grande Coalition ont développé l’instrument de solidarité qu’est l’ESM, le FDP veut en geler l’usage. Là où SPD et CDU sont prêts à considérer les propositions d’Emmanuel Macron en matière de budget, de ministre des Finances et de fonds d’investissement, le FDP est pour donner une fin de non recevoir à toutes ces propositions. Au delà des sujets économiques, les avancées prévues en matière de défense, de gestion des flux de migrants, de protection des frontières exterieures de l’Union opposent d’un côté le FDP et de l’autre la CDU et le SPD. La vérité est que le FDP s’est reconstruit sur un euroscepticisme plus respectable que celui de l’AFD mais l’objectif stratégique de Lindner est de ramener à son parti cet électorat.
Conclusion
Pour le SPD le choix européen est fondateur. Dans une grande coalition le SPD serait moteur. Il a, par moments, exprimé des positions plus avancées que la CDU, notamment sur la solidarité. Au regard des risques qu’affronte l’Europe (Trumpism, Brexit, agressivité de Poutine, déstabilisation du Moyen Orient…) et des périls internes à l’Europe (poussées du populisme, démocraties illibérales à l’Est, montée de l’euroscepticisme, risques politiques et financiers en Italie…) le SPD ne peut que s’inscrire dans la perspective de la grande coalition.
Après avoir laissé Mme Merkel tenter la coalition Jamaïque et laisser le FDP révéler sa vraie nature, le SPD doit sauter le pas, d’autant qu’un gouvernement minoritaire (discrètement soutenu par le SPD) ou de nouvelles élections ne changeraient rien à l’affaire. En exprimant son hostilité à cette dernière éventualité, la Chancelière ne lui tend-elle pas la main ?
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