Le rapprochement UE-Russie passe par la Transnistrie edit
La redéfinition du partenariat UE-Russie connaît actuellement des développements accélérés, comme l’illustre le récent Sommet franco-germano-russe de Deauville. À l’heure actuelle, la route la plus courte pour construire un partenariat de sécurité entre Bruxelles et Moscou passe par la Transnistrie, petite région séparatiste de Moldavie d’à peine 4000 km2.
À première vue, le lien semble lointain entre cette mince bande de terre séparatiste de l’Est de la Moldavie, pays situé entre la Roumanie et l’Ukraine, et la proposition russe de refonder l’architecture européenne de sécurité. En réalité, Angela Merkel mise sur la résolution du conflit transnistrien pour reconstruire des relations UE-Russie encore loin d’être aisées malgré la conjoncture favorable induite par la politique américaine du redémarrage (reset) et la détente russo-polonaise.
Le « partenariat de modernisation » proposé à l’issue du Sommet de Deauville qui rassemblait Merkel, Sarkozy et Medvedev, faisait mention de la question des visas et des enjeux de sécurité sur le continent européen. Sur ce dernier point, l’Allemagne entend profiter de son nouveau statut de membre du Conseil de sécurité de l’ONU pour avancer sur les conflits non-résolus de l’espace post-soviétique : l’Abkhazie, l’Ossétie du Sud, le Haut-Karabakh et la Transnistrie.
Toutefois, la marge de manœuvre est mince. Les deux premiers cas n’offrent pas de perspective de résolution à court ou à moyen terme, les protagonistes de la guerre russo-géorgienne d’août 2008 étant toujours en place. Le Haut-Karabakh, région peuplée d’Arméniens mais située sur le territoire azerbaïdjanais, semble lui aussi un dossier trop sensible pour que l’on puisse espérer une amélioration rapide. Reste donc le conflit transnistrien, le seul à même de servir de test dans les relations UE-Russie : c’est d’ailleurs la seule action coopérative mentionnée dans la déclaration de Deauville.
Le comité conjoint UE-Russie sur la sécurité proposé en juin dernier lors des rencontres germano-russes (mémorandum de Meseberg), et dont l’idée est reprise à Deauville, est radicalement nouveau en ce qu’il met de côté la présence américaine dans les affaires de sécurité européennes. Il devrait mettre directement en relation la haute représentante pour la politique étrangère Catherine Ashton avec le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, afin de gérer les crises civiles et militaires du continent.
Moscou a donné récemment plusieurs gages de volonté de coopération au niveau international, du vote des sanctions à l’ONU contre l’Iran à l’accord trouvé avec la Norvège sur les frontières maritimes, en passant par la réduction de l’arsenal stratégique. Sa volonté de reprendre le chemin de l’OMC semble également illustrer un changement de méthode, de discours, voire, à la marge, de positionnement sur la scène internationale. On peut mentionner aussi la participation de spécialistes russes aux missions européennes au Tchad, en République centre-africaine et dans le cadre de la lutte contre la piraterie dans le Golfe d’Aden. Néanmoins, on peut se demander quelles sont les motivations russes qui ouvriraient la voie à une résolution du conflit en Transnistrie, où la Russie est présente depuis la fin du XVIIIe siècle.
Si elle reconnaît officiellement l’intégrité territoriale de la Moldavie, la Russie dispose en Transnistrie d’une influence essentielle, matérialisée par la présence de la Quatorzième Armée (moins d’un millier d’hommes aujourd’hui), mais également par tout un dispositif économique, politique, diplomatique et culturel. En contrepartie du départ de ses troupes, Moscou attend au moins une réduction des armements conventionnels en Roumanie, qui permettrait d’envisager son retour dans le Traité des forces conventionnels ainsi qu’un meilleur climat de confiance dans la région de la mer Noire.
En réalité, la perspective de résolution du conflit exigerait une participation très active de la Russie, comme un engagement à trouver une sortie honorable pour les séparatistes transnistriens afin de sécuriser un accord, en appuyant une demande d’autonomie au sein de la Moldavie, des avantages économiques, des investissements et le statut de neutralité pour le pays. Moscou ne manque pas de rappeler qu’elle était venue avec son propre projet de résolution du conflit en 2003 (le mémorandum Kozak), mais que sa proposition, assez déséquilibrée il est vrai, avait été rejetée sous l’influence des Américains et des Européens. Néanmoins, un accord sur l’architecture de sécurité européenne semble aujourd’hui davantage utile pour Moscou qu’une présence sur les rives du Dniestr.
Reste également à voir comment s’opérera concrètement la réintégration de la Moldavie avec sa province séparatiste de Transnistrie. Un mauvais accord n’augurerait pas d’une grande postérité des efforts de relance dans les relations UE - Russie. L’approche proposée à Deauville ne répond pas à toutes les questions à ce niveau : elle ne prend par exemple que peu en compte le rôle de l’Ukraine, qui est l’un des acteurs majeurs en Transnistrie. De même, amener les dirigeants transnistriens à restreindre substantiellement leur pouvoir, voire à le quitter pour de bon, reste une tâche complexe, puisqu’il faut trouver des remplaçants aux dirigeants actuels, s’il se confirme qu’ils ne sont pas acceptables par les Européens. En outre, pour l’heure, la position de la Moldavie dans ce processus est incertaine, du fait d’un référendum manqué en septembre et d’élections législatives qui vont se tenir le 28 novembre prochain. Au pouvoir depuis les élections de juillet 2009, l’Alliance pour l’intégration européenne jouit aujourd’hui d’une excellente réputation à Bruxelles, mais rien ne garantit que la coalition résiste à un accord forcé si elle devait gagner les élections.
Une chose est sûre : la Transnistrie bénéficiera de beaucoup plus d’attention les prochains mois qu’elle n’en avait obtenu depuis sa sécession au début des années 1990 de la part des Européens, même si la clé de la résolution de ce conflit est encore à Moscou. Il reste à voir si les deux questions, l’intégration de la Russie dans l’espace de sécurité européen et la résolution du conflit transnistrien, resteront bien couplées dans les prochains mois, et plus particulièrement jusqu’au Sommet UE-Russie de décembre 2010.
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