L’écologie est-elle soluble dans l’extrême-gauche? edit
Cette question, pour le cas français en tout cas (il en irait très différemment outre-Rhin), peut sans doute trouver une réponse affirmative dans le contenu de l’accord conclu entre EELV et LFI en vue des élections législatives. EELV donne quitus à son partenaire sur les principaux points de son programme : smic à 1400€, retraite à 60 ans, blocage des prix sur les produits de première nécessité, et surtout l’accord pour « désobéir à certaines règles européennes ». Bien sûr la formulation de l’accord sur ce dernier point est ambiguë à souhait, puisqu’il est rappelé en même temps que « pays fondateur de l’Union européenne, la France ne peut avoir pour politique ni la sortie de l’Union, ni sa désagrégation, ni la fin de la monnaie unique ». Mais dans les lignes qui suivent, le texte stipule que la « désobéissance » concernerait « le pacte de stabilité et de croissance », « le droit de la concurrence », « les orientations productivistes et néolibérales de la PAC », autrement dit le socle de la politique économique et agricole de l’Union européenne. On ne voit pas bien comment une telle rupture serait compatible avec le « respect de l’état de droit » tel qu’il est défini dans les traités de l’Union, et auquel le texte de l’accord dit vouloir toujours adhérer. Mais l’objet de ce papier n’est pas d’analyser la portée de ces apparentes contradictions. Il est plus prosaïquement d’analyser à quel degré les électeurs ou les sympathisants d’EELV se sentent proches de l’extrême-gauche et adhèrent à l’idée d’une rupture radicale avec le modèle de société qui prévaut aujourd’hui, puisque le rapprochement entre EELV et LFI peut se lire comme une convergence, au moins partielle, sur des positions de ce type.
Les données de l’enquête réalisée par Harris Interactive auprès d’un échantillon de 8000 jeunes[1] (et d’échantillons miroirs des générations des parents et des boomers) permettent de se faire une idée sur cette question. L’enquête ne porte évidemment pas sur tous les aspects de l’accord conclu entre LFI et EELV, et elle n’avait pas été conçue à cet effet. Mais elle fournit une mesure du positionnement politique et de la radicalité qui peuvent être attachés aux convictions écologiques.
Proximités et divergences idéologiques entre sympathisants LFI et EELV
Le tableau 1 montre ainsi le pourcentage de répondants qui se situent à l’extrême-gauche (en position 1 ou 2 sur une échelle en dix positions), qui se déclarent favorables à un changement radical de la société par une action révolutionnaire, qui trouvent justifié l’usage de la violence pour protester ou défendre des idées et qui sont favorables à la sortie de l’Union européenne, en fonction de la force de leurs convictions écologiques et de leur proximité avec EELV ou LFI. Concernant les jeunes de 18-24 ans, il se dégage deux résultats principaux de ce tableau. Tout d’abord, sur ces différents aspects, les jeunes « écolos » (qu’on mesure cette allégeance par les valeurs ou la proximité partisane) se distinguent très peu de l’ensemble des jeunes : ils se positionnent un peu plus souvent à l’extrême-gauche (6% contre 4%), mais l’écart est faible et ce n’est surtout qu’une très petite minorité qui choisit cette orientation politique (en gardant à l’esprit que 43% de l’ensemble des jeunes disent « ne pas avoir d’idées assez précises pour se positionner » !). Sur les autres questions les écarts sont également très faibles, les jeunes écolos étant même plus pro-européens que l’ensemble des jeunes.
Le deuxième résultat marquant est que les jeunes écolos sont idéologiquement très différents des jeunes proches de LFI : ces derniers se situent trois fois plus souvent à l’extrême-gauche, sont nettement plus favorables à une action révolutionnaire et à la justification de la violence ; ils sont également deux fois plus favorables que les jeunes proches d’EELV à une sortie de l’Union européenne
Tableau 1. Positions politiques et idéologiques en fonction de la génération et des convictions écologiques
* Personnes se situant sur un niveau élevé d’un « score écologique » construit à partir des réponses à des questions sur l’importance des questions liées à l’environnement, au climat, à l’écologie ; et sur le fait d’être prêt à certains changements de comportements pour lutter contre le réchauffement climatique (concernant la consommation de viande, l’usage d’un téléphone 5G, les voyages en avion, l’utilisation de la voiture et l’éventuelle restriction de son niveau de vie pour préserver l’environnement). Lecture : 6% des jeunes ayant des convictions écologiques fortes se situent à l’extrême-gauche.
Ces jeunes qui constituent les gros bataillons d’EELV (ils se disent deux fois plus souvent proches de ce parti que les générations plus âgées) sont d’ailleurs plutôt moins radicaux que la génération de leurs parents qui, lorsqu’ils affirment de fortes convictions écologiques, sont plus souvent à l’extrême-gauche, et plus souvent pour une transformation radicale de la société et une sortie de l’UE. Chez les sympathisants écologistes, la jeune génération est plus modérée que la génération des parents (sauf, il faut le noter, sur la justification de la violence).
En tout cas, ces résultats semblent montrer que les univers idéologiques des jeunes proches de l’écologie et de ceux proches de LFI sont très éloignés, ces derniers étant beaucoup plus radicaux que les premiers. On le voit également à propos du positionnement des jeunes proches d’EELV et de ceux proches de LFI vis-à-vis du mouvement des Gilets jaunes. Les jeunes proches de LFI sont 13% à déclarer y avoir participé et 54% à déclarer l’approuver sans y avoir participé ; les pourcentages correspondants sont de 6% et 36% pour les jeunes proches d’EELV.
La figure 1 montre d’ailleurs que le renforcement des convictions écologiques des jeunes est principalement associé à un positionnement plus marqué en faveur de la gauche modérée (position 3 ou 4 sur l’axe gauche-droite en 10 positions) plutôt qu’à un renforcement du positionnement à l’extrême-gauche.
Figure 1. Positionnement politique à gauche en fonction de la force des convictions écologiques
Les sympathisants LFI sont-ils écolos ?
Une autre façon d’évaluer la réalité de la convergence idéologique entre les sympathisants LFI et EELV est d’analyser à quel point les jeunes proches de LFI sont convertis aux idées écologiques. Le tableau 2 présente les résultats de l’enquête Louis-Harris à ce sujet.
Tableau 2. Attitudes des jeunes à l’égard de l’écologie selon leur proximité à LFI et à EELV
Ce qui en ressort principalement est que les convictions écologiques des jeunes sympathisants LFI sont plus proches de celles de la moyenne des jeunes que de celles des jeunes écologistes. Jean-Luc Mélenchon a présenté un programme très en pointe sur les questions d’environnement, mais ses sympathisants se sentent manifestement moins engagés sur les questions environnementales que les jeunes d’EELV.
Au total, la convergence idéologique et politique entre les jeunes sympathisants de ces deux familles politiques est loin d’être évidente. Un dernier élément de l’enquête Louis-Harris le montre bien. Dans la typologie des attitudes sociopolitiques qui en ressort, une majorité de jeunes écologistes (55%) se rattache au groupe des « démocrates protestataires », des jeunes sensibilisés aux questions du climat, du genre, et qui choisissent de protester pour faire avancer leurs idées tout en restant attachés à la démocratie et en répudiant la violence politique. Seuls 27% des jeunes proches de LFI se rattachent au même groupe, alors que 31% d’entre eux se rangent dans le groupe des « révoltés » (contre seulement 19% des jeunes EELV), ceux des jeunes qui prônent un changement révolutionnaire et qui ne répugnent pas à l’idée d’utiliser la violence politique pour la faire advenir.
C’est ce clivage sur la radicalité politique qui sépare finalement les jeunes proches de l’écologie politique de ceux qui se sentent en proximité avec la France insoumise. Mais on sait que les militants des partis sont souvent plus radicaux que les sympathisants ou les électeurs qu’ils représentent. C’est ce qui a permis sans doute à l’accord entre EELV et LFI de se conclure, même si cet accord est loin de refléter une véritable convergence politique à la base.
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)
[1] Enquête réalisée en septembre 2021 sur un échantillon représentatif. Pour une synthèse des résultats voir O. Galland, 20 ans le bel âge ? Radiographie de la jeunesse française d’aujourd’hui, Editions Nathan, 2022