L’émeute du 6 janvier: un bilan ambigu pour les Américains edit
La commission spéciale du Congrès vient de présenter ses conclusions sur les dramatiques événements qui se sont déroulé le 6 janvier 2021 et qui ont constitué une crise majeure de la démocratie américaine. Les conséquences de l’attaque du Capitole et de la contestation de la défaite de Trump sont cependant très ambiguës. Une partie importante du corps électoral et du Parti républicain continue à rejeter l’élection de Biden et à préparer d’éventuelles manipulations du scrutin présidentiel de 2024.
Les neuf membres de la commission spéciale du Congrès, sept démocrates et deux républicains, n’ont pas ménagé leurs efforts pour instruire l’aventure criminelle qui a débouché sur l’invasion par une foule déchaînée du siège du Parlement américain, un événement sans précédent dans l’histoire des États-Unis. Ils ont tenté, avec un certain succès, d’informer l’opinion des résultats de leur enquête, en organisant la diffusion télévisée des principaux éléments de celle-ci. On estime qu’une vingtaine de millions de téléspectateurs ont regardé ces trois épisodes de deux heures chacun. Parmi les chaînes d’information, seule Fox News, restée fidèle à Trump et à son idéologie d’extrême droite, a refusé cette diffusion, refus qui n’a eu aucun impact sur son audience.
La responsabilité écrasante de Donald Trump
Les faits illustrés par des images spectaculaires de l’invasion du Capitole par les émeutiers, complétées par des entretiens avec divers acteurs de cet événement, n’ont pas apporté de révélation majeure sur une histoire qui a déjà été largement couverte par les médias et de nombreux livres. L’objectif de la commission était de souligner la responsabilité écrasante de Donald Trump qui refusa d’admettre sa défaite et mobilisa pendant deux mois conseillers et avocats pour essayer de revenir sur le scrutin et se faire proclamer élu en dépit de l’évidence des chiffres. Cette position de la commission a été exposée avec une grande clarté par sa vice-présidente, la républicaine Liz Cheney, qui a condamné sans équivoque les agissements de Trump et a appelé son parti à se libérer de l’influence néfaste de l’ancien président.
Ce qui ressort néanmoins de ces séquences télévisuelles, c’est que dès le lendemain du scrutin, des femmes et des hommes proches du président refusèrent de le suivre. Ce fut le cas du ministre de la Justice Bill Barr et du vice-président Mike Pence, deux personnalités dont le rôle était essentiel pour garantir la légalité du scrutin et qui résistèrent aux pressions du président tant il leur paraissait évident que celui-ci avait nettement perdu l’élection. Ce fut aussi l’attitude de la fille et du gendre de Trump, Ivanka et Jared Kushner qui dès décembre 2019 s’éloignèrent de la Maison-Blanche où ils avaient travaillé pendant quatre ans et s’achetèrent une propriété en Floride, loin de Washington.
De même, le gouverneur et le secrétaire d’Etat de Géorgie rejetèrent les requêtes pressantes de Trump et de ses avocats qui voulaient truquer les résultats d’un État où Biden ne l’avait emporté que de 12000 voix. Il convient de rappeler qu’en mai dernier, ces deux personnalités ont remporté des primaires qui les opposaient à des partisans de l’ancien président.
Ces réactions montrent que les institutions démocratiques des États-Unis, vieilles de près de 250 ans, continuent à fonctionner. Il subsiste néanmoins de nombreux motifs de préoccupation sur le proche avenir et le scrutin présidentiel de 2024.
La leçon des primaires
Le fait qu’une foule déchaînée et encouragée par un homme qu’elle vénérait ait mis à sac le siège du Congrès et du Sénat, deux assemblées élues dans des conditions parfaitement démocratiques, est évidemment préoccupant. Ce qui l’est aussi est le fait qu’encore aujourd’hui, entre 60 et 70% de l’électorat républicain reste convaincu qu’il y a eu des fraudes majeures en 2020 et que c’est Trump qui aurait dû être élu. C’est pour tenir compte de cet état d’esprit que la plupart des candidats républicains aux primaires continuent à soutenir la thèse du scrutin volé. Si l’on met à part le cas de la Géorgie, cette stratégie électorale s’est révélée payante. En Pennsylvanie, le candidat républicain au poste de gouverneur est un partisan avéré de la thèse du vote truqué. De même, Tom Rice, un des dix députés républicains qui avait voté en janvier 2020 l’impeachment de Trump, a été largement battu dans la primaire de Caroline du Sud par un trumpiste inconditionnel. Il est à craindre que Liz Cheney subisse le même sort en août prochain, à l’occasion de la primaire du Wyoming.
Une longue étude publiée par le Washington Post du 15 juin confirme ces données. Selon les enquêteurs du journal, sur 170 primaires républicaines qui ont eu lieu en avril et en mai 2022 et qui concernent des postes de gouverneur, de membre du Congrès ou des responsables politiques des Etats, 108 gagnants de ces primaires ont été élus sur le sujet de l’élection faussée par la fraude et de l’absence de légitimité du président Biden. Or la plupart de ces personnalités l’ont emporté dans des États à majorité républicaine. Ils sont donc pratiquement certains d’être élus en novembre prochain. D’après les mêmes enquêteurs, tout laisse prévoir que les primaires de l’été donneront des résultats semblables, si bien qu’on assistera cet automne à un important renouvellement du personnel républicain et au remplacement de modérés par des extrémistes orientés de manière très précise dans le sens d’une remise en cause du système électoral jugé trop favorable aux Démocrates.
Les menaces sur la présidentielle de 2024
Ainsi, le bilan des évÉnements du 6 janvier reste largement négatif. En dépit des efforts spectaculaires de la commission spéciale et des témoignages publics de proches conseillers de Trump, l’électorat reste en majorité soit indifférent, soit convaincu du bien-fondé des revendications de l’ancien président. Une situation que de nombreux dirigeants républicains sont en train d’exploiter pour 2024 en se dotant des armes juridiques qui permettraient de modifier les votes.
La relative indifférence de l’électorat apparaît dans les sondages. Il en ressort que le parti démocrate ne tire aucun profit de l’étalage des turpitudes de Trump et de ses avocats. La cote de popularité de Biden, de l’ordre de 40% d’opinions favorables, est aussi basse que celle de Trump quand il était président et il se confirme que les électeurs préoccupés avant tout par l’inflation et la baisse du pouvoir d’achat donneront la majorité aux Républicains dans les deux assemblées du Congrès et du Sénat, en novembre prochain.
Parallèlement le débat sur « l’élection volée de 2020 » a mis en lumière une fonction ignorée de la majorité des Américains, celle de secrétaire d’Etat. Ce personnage, qui est élu, au même titre que le gouverneur a la responsabilité du suivi des élections locales et nationales dans l’Etat qui l’a désigné. Or les républicains pro-Trump ont présenté des candidats décidés à revoir les modalités du vote dans des Etats importants et susceptibles de basculer à droite comme le Michigan, l’Arizona ou le Nevada. On peut donc craindre qu’ils profitent des deux années qui s’écouleront entre leur élection et la présidentielle de 2024 pour faire voter des clauses restrictives à l’encontre des minorités dans la loi électorale et préparer les manœuvres pour contester en invoquant des fraudes imaginaires un vote qui serait favorable à l’adversaire démocrate.
Cette situation rappelle une réalité que beaucoup d’Européens et même de responsables démocrates ont eu tendance à oublier : les États-Unis sont une fédération au sein de laquelle les Etats disposent de pouvoirs considérables, notamment en matière électorale. On peut donc craindre que le scrutin présidentiel de 2024 n’accentue dans des proportions inimaginables la coupure entre les États qui respectent les procédures démocratiques et ceux qui décident d’imposer leur choix sans aucun respect pour les électeurs.
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Voir aussi : États-Unis: la bataille perdue du droit à l’avortement.