Les gauches et les élections européennes edit
Les gauches partisanes et syndicales se sont unies contre la réforme des retraites. Ce n’était pas trop difficile. La période politique qui s’ouvre va être marquée par les élections européennes. Maintenir cette unité sera alors beaucoup moins facile dans la mesure où il ne s’agira plus seulement de s’opposer mais de proposer. Ces élections présentent à l’évidence pour la Nupes un risque d’affaiblissement. Mais de quelle gravité ?
Les élections européennes ont longtemps été des élections de second ordre. La participation était faible et les motivations des votants n’étaient pas principalement centrées sur l’Europe. Cependant, dans la dernière période, la participation, en France, s’est accrue, passant de 40,6 en 2009 à 42,6 en 2014 et à 50,1 en 2019, supérieure à la participation aux élections législatives de 2022. Plus généralement, la moyenne de la participation à ces élections dans l’Union européenne a connu une forte progression, passant de 42,6% en 2014 à 50,7% en 2019. L’enjeu européen, dont l’importance est croissante, a rendu les élections européennes de plus en plus… européennes. De ce fait, les partis politiques qui, généralement, ne faisaient pas des questions européennes leurs thèmes principaux de campagnes à ces élections seront conduits probablement à leur donner une place plus importante en 2023, d’autant que la guerre en Ukraine et les conséquences majeures qu’elle produit actuellement sur la construction européenne elle-même obligeront sans doute les partis politiques à prendre position et à définir leurs politiques à l’égard de l’Ukraine et de la sécurité européenne. Plus que jamais, donc, les élections européennes seront des élections sur l’avenir de l’Europe, qu’il s’agisse de son fonctionnement interne ou de sa politique étrangère et de défense.
Pour la Nupes, ces élections seront un moment de vérité car ses différentes composantes devront préciser leurs positions respectives. Or ces positions sont diverses et parfois contradictoires. Le débat à gauche a déjà commencé à propos de l’éventualité d’une liste unique de la gauche et il s’annonce pour le moins tendu. Pour comprendre les positions de départ des différentes formations il convient de rappeler d’abord les résultats des précédentes élections (tableau). En 2019, 33 listes étaient en lice dont six seulement ont atteint les 5% de suffrages exprimés nécessaires pour obtenir des sièges au Parlement européen. Notons que la liste du Parti communiste, ayant obtenu 2,5%, n’a pas obtenu de sièges.
Tableau 1. Résultats des élections européennes de 2019 en France
Les autres listes de gauche ont obtenu respectivement 13,5% pour EELV, 6,3% pour LFI et 6,2% pour le PS, Place publique, Nouvelle donne et le parti radical de gauche. Les députés écologistes siègent actuellement dans le groupe Verts/ALE, ceux de LFI dans le groupe GUE/NGL et ceux du PS et de ses alliés dans le groupe S&D. Cette dernière liste n’était pas conduite par un socialiste mais par un membre de Place publique, Raphaël Glucksmann.
Deux leaders de partis de gauche sont favorables à une liste d’union, Jean-Luc Mélenchon et Olivier Faure. Mélenchon, car après son bon score de l’élection présidentielle de 2022 (22%), il peut craindre qu’une liste LFI réalise un score nettement plus bas et qu’une liste écologiste la dépasse, remettant en cause son statut de leader de la gauche. Il est prêt à céder la tête de liste de gauche à un (e) écologiste pour éviter ce danger. Olivier Faure a été depuis sa création le principal supporter de la Nupes. Il craint qu’une liste PS ne franchisse pas les 5% mais également que la rupture de la Nupes ne mette plus tard en péril les sièges parlementaires socialistes qu’il a pu sauver en 2022. Enfin, il semble croire que la Nupes sera la nouvelle organisation politique permettant de rassembler durablement la gauche.
Les opposants à la liste unique sont nombreux. Fabien Roussel, le leader du PCF qui a provoqué Mélenchon en duel politique, espère faire franchir cette fois la barre des 5% à son parti. Marine Tondelier, à la tête d’EELV, entend montrer qu’une liste écologiste peut arriver à nouveau nettement en tête de la gauche, ce qui améliorera son rapport de forces avec les autres composantes de la gauche dans la perspective des élections futures. Il est très peu probable, donc, que les écologistes reviennent sur leur décision de présenter leur liste. Quant au Parti socialiste, il est coupé en deux et Olivier Faure, s’il persiste dans son idée d’une liste commune avec LFI, provoquera presque certainement une scission de son parti, risque qu’il ne peut courir. Il est donc probable que le PS tentera de bâtir, comme la dernière fois, une liste de centre-gauche pro-européenne. Dans ces conditions, la gauche partira sans doute au combat en étant aussi divisée qu’en 2019.
Les divisions de fond
Au-delà des calculs électoraux qui fondent les tactiques partisanes il devient de plus en plus difficile dans la situation actuelle pour les différentes formations de gauche de cacher leurs profondes divergences sur les questions de la construction européenne et sur la guerre en Ukraine, enjeux politiques désormais majeurs.
On savait que sur la question de la guerre en Ukraine, socialistes et écologistes d’un côté et insoumis et communistes de l’autre étaient en désaccord sur la question centrale des livraisons d’armes. Mais les déclarations récentes de Manon Aubry, la chef de file des insoumis au Parlement européen, attestent que les désaccords demeurent tels sur la construction européenne que les partisans de la liste unique en dévoilent eux-mêmes, involontairement, l’impossibilité. La députée européenne a en effet déclaré le 8 mai, réagissant à la proposition de la majorité de rendre obligatoire le pavoisement des mairies avec les drapeaux européens et français, que le drapeau européen « renvoyait aussi quand on est français à une forfaiture démocratique », ajoutant que « la France, massivement, a voté non en 2005 à 55% au traité constitutionnel européen et ce traité nous a été imposé par la suite ».
Les écologistes ont répondu aussitôt par la voix de Yannick Jadot : « Comme ça c’est clair ! Non, l’Europe n’est ni LE problème, ni une forfaiture ! L’Europe fait partie de la solution. Et son drapeau en Europe et dans son voisinage un magnifique symbole de liberté, d’État de droit et de démocratie ! » La sénatrice EELV Mélanie Vogel a rappelé de son côté que le traité de Lisbonne a été signé par la France et ratifié par des parlementaires bien français : 560 pour, 181 contre, 152 abstentions. « Pourquoi le drapeau européen renverrait-il à une forfaiture démocratique et pas le drapeau français ? », a-t-elle ajouté. Du côté du Parti socialiste, c’est le conseiller des Pays de Loire, Christophe Clergeau, qui a fait part de son désaccord : « Disqualifier ainsi le drapeau européen n’est pas vraiment compatible avec le fait de plaider pour une liste d’union aux européennes. Double discours ? »
Le plus éclairant est la manière dont Manon Aubry a répondu à ces réactions à ses déclarations, expliquant que la question « n’est pas le symbole mais ce qu’on y met derrière. Un drapeau, c’est un symbole, Pour les Ukrainiens, le drapeau européen incarne l’espoir. Pour certains citoyens, il représente la paix ou Erasmus, pour d’autres, il rappelle l’austérité ou le déni démocratique du référendum de 2005. » On ne pouvait mieux démontrer l’existence de deux lignes opposées sur l’Europe au sein de la gauche ! Il est clair que ces déclarations achèvent de ruiner l’hypothèse de la constitution d’une liste de la Nupes aux élections européennes. Olivier Faure, avec trois autres dirigeants socialistes, a publié le 9 mai dans le Monde une tribune favorable à la construction européenne et à l’OTAN, estimant que c’est l’Europe qui est agressée en Ukraine, ce qui laisse plutôt penser qu’il a abandonné, lui aussi, l’idée d’une liste commune avec LFI bien qu’il n’aborde pas dans son texte la question de la liste commune ni les dissensions au sein de la gauche sur l’Europe et la guerre en Ukraine.
Et après ?
En faisant l’hypothèse que la gauche se présentera divisée à ces élections, l’avenir de la Nupes s’en trouvera-t-il compromis ? En particulier, les désaccords sur la politique européenne et la politique étrangère et de défense empêcheront-ils la Nupes de présenter un candidat unique à la prochaine élection présidentielle ? Il n’est pas possible de répondre avec assurance à cette question aujourd’hui. D’un côté, l’ensemble des composantes de la Nupes ont intérêt à une candidature unique. En effet, seule une telle solution donne à la gauche une chance de se qualifier pour le second tour de scrutin. La même Marine Tondelier qui estime que les désaccords de fond sur l’Europe interdisent la présentation d’une liste unique aux européennes s’est en même temps montrée favorable à une candidature unique de la gauche à la prochaine élection présidentielle. C’est l’intérêt des communistes, des écologistes et des socialistes qui risqueraient à nouveau de ne pas franchir la barre des 5%, mais c’est également celui de LFI qui à elle seule aurait peu de chances d’atteindre le second tour. Du point de vue tactique, tout pousse ainsi à la candidature unique en 2027. Mais la question est alors de savoir si, d’ici là, les enjeux européens et internationaux demeureront, ou non, suffisamment importants pour faire obstacle à cette union. Les désaccords sur ces questions, qui pour les écologistes notamment rendent impossible l’union aux européennes, auront-ils disparu alors ou bien pourront-ils être mis sous le boisseau à la présidentielle ? Il faut rappeler ici que le président de la République joue un rôle majeur dans la détermination des politiques dans ce domaine, ce qui en fait des éléments cruciaux lors de cette élection. Ces questions elles-mêmes auront-elles conservé leur importance actuelle dans le débat politique intérieur ou bien auront-elles au contraire perdu leur saillance ? La désunion en 2023 empêchera-t-elle l’union en 2027 ? La question reste ouverte.
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