Poutine: demi-échec en Ukraine, succès en Syrie edit
Vladimir Poutine est en passe de réussir en Syrie ce qu’il n’a pas obtenu en Ukraine depuis deux ans. Montrer que la Russie est de nouveau une puissance mondiale, politique et militaire, en mesure de parler d’égal à égal avec les Etats-Unis et capable d’infliger des revers stratégiques aux Occidentaux. Il a annoncé lui-même à la télévision russe l’accord pour un cessez-le-feu en Syrie négocié avec Barack Obama. « Je suis sûr, a-t-il dit, que les actions communes décidées avec la partie américaine seront suffisantes pour changer radicalement la situation. » Cette annonce faisait suite à des heures et des jours de négociations directes entre les chefs des diplomaties russe et américaine, Sergueï Lavrov et John Kerry.
Il y a loin de l’annonce d’un cessez-le-feu à une véritable pause dans les combats. Dans un premier temps, il s’agit de permettre l’acheminement de vivres, de médicaments et de carburant dans les villes assiégées et d’interrompre les bombardements qui touchent surtout les civils. Avec des exceptions dont devraient profiter les Russes et les forces du régime syrien : les attaques contre les « terroristes » peuvent continuer. Parmi les terroristes, il y a Daech et le Front al-Nosra, avatar d’al-Qaïda, qui se bat aux côtés des groupes « modérés ». Les avions russes pourront donc continuer à bombarder les opposants à Bachar el-Assad. En revanche le Hezbollah, considéré par les Occidentaux comme une organisation terroriste et actif en liaison avec les pasdaran iraniens au service du régime, n’est pas mentionné dans l’accord. Le cessez-le-feu est aussi menacé par les actions de la Turquie contre le PYG, le parti des Kurdes de Syrie, proche du PKK, et contre sa branche militaire, qui cherchent à contrôler la frontière turco-syrienne au nord d’Alep.
Un cessez-le-feu, aussi précaire soit-il, doit aussi permettre la reprise des négociations pour une transition politique, qui ont été interrompues fin janvier à Genève avant d’avoir vraiment commencé. La Russie et ses alliés les abordent en position de force. Le sénateur américain John McCain n’a pas complètement tort quand il affirme que la force de Poutine c’est la « faiblesse » d’Obama. Mais il exagère en disant que le président russe a « mis la diplomatie au service de l’agression militaire ». Poutine a mené une politique très classique. Il a mis l’agression militaire au service de la diplomatie. Et il a marqué des points.
Il a mis à profit le délai accordé par un premier cessez-le-feu obtenu à Munich à la mi-février – et auquel il ne croyait pas – pour conforter les positions de son allié Bachar el-Assad, qui à l’été 2015 était prêt de s’effondrer, et pour obliger les Occidentaux à traiter avec celui qu’ils rejetaient voilà encore quelques semaines. Sous la pression russe, le dictateur de Damas a annoncé pour le 13 avril la tenue d’élections législatives destinées à légitimer les institutions actuelles et à donner l’illusion d’une « transition politique » contrôlée par Moscou, avec Bachar el-Assad, au moins dans un premier temps.
En intervenant militairement dans le conflit syrien, avec une rapidité et une ampleur inattendues à partir de la fin septembre 2015, Vladimir Poutine a imposé l’idée de l’ordre mondial tel qu’il l’entend. Oubliée la Russie « puissance régionale », dont se moquait Barack Obama, il y a encore quelques mois. Fini le système né après la fin de la guerre froide et fondé sur les conceptions « libérales » des Occidentaux. Il fallait la naïveté d’un Gorbatchev pour croire à une communauté d’États égaux, petits ou grands, cultivant les mêmes valeurs, qui n’était que le paravent de l’hégémonie américaine. Depuis son arrivée au pouvoir en 2000 et surtout depuis son retour à la présidence de la Russie en 2012, Vladimir Poutine travaille à restituer à la Russie le statut de grande puissance qu’elle avait du temps de l’URSS.
Il a saisi les occasions qui se présentaient. Il a cherché à les créer quand elles ne se présentaient pas. Il a commencé comme trublion. Mais il ne lui suffisait pas de contrer la stratégie américaine ou européenne ; il lui fallait arracher une codécision. Il n’y est pas complètement parvenu en Ukraine. Certes il a réussi l’annexion de la Crimée – une vieille obsession chez lui depuis les années 1990 – et la création d’un abcès de fixation dans l’est du pays qui pourrit la vie démocratique du pays, déjà bien disposé à cet égard. Toutefois, il n’a pas obtenu la cotutelle sur l’Ukraine à laquelle il aspirait et surtout, il n’est parvenu ni à enfoncer un coin entre les Etats-Unis et l’Europe, ni à diviser les Etats de l’Union européenne, malgré les divergences entre les uns et les autres. Contrairement aux attentes de Moscou, les sanctions décidées au lendemain de l’annexion de la Crimée durent depuis deux ans. Seront-elles levées, à tout le moins adoucies en juillet quand se posera la question de leur renouvellement ? Les Russes peuvent l’espérer. En laissant les séparatistes du Donbass multiplier les incidents armés, en contravention avec les accords de Minsk, ils peuvent faire monter la pression sur des Européens déjà agacés par les atermoiements des autorités de Kiev, voire entraîner les Américains dans une négociation sur l’Ukraine, et plus généralement sur la sécurité en Europe, dans la foulée d’un accord bilatéral en Syrie. Ce n’est pas une simple coïncidence si Vladimir Poutine condamne dans une même phrase le chaos provoqué par les printemps arabes et l’instabilité consécutive aux révolutions de couleur en Europe.
En Syrie, la Russie a réussi la démonstration qu’elle n’a pu mener à bien en Ukraine. Elle donne un coup d’arrêt à la politique du changement de régime mise en œuvre par les Occidentaux en Irak puis en Libye. Elle montre aux dirigeants contestés qu’elle est une alliée fiable qui ne laisse pas tomber ceux qui lui font confiance. Elle sort du relatif isolement où les Occidentaux voulaient la confiner. Elle jette même le trouble dans l’Alliance atlantique en profitant de la tension avec la Turquie, membre de l’OTAN qui inquiète jusqu’à ses alliés. Elle participe à la déstabilisation de l’Union européenne en exploitant le thème des réfugiés pour soutenir les tendances antilibérales dans quelques États de l’UE. Face à ce projet stratégique aux multiples facettes, les Européens semblent tétanisés et les Américains occupés à limiter les dégâts.
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