Qui a peur de Giorgia Meloni? edit
Les élections du dimanche 25 septembre en Italie ont donné une victoire claire à la « coalition de centre droit » et avec toute vraisemblance Giorgia Meloni sera chargée par le président de la République de former le gouvernement, car avec 26% des suffrages son parti Fratelli d’Italia est largement en tête à l’intérieur de la coalition.
« In the land that invented fascism, the far right is back in power. » C’est par ces mots que s’ouvre un article publié le 27 mars par le Washington Post. La référence au fascisme de la part du prestigieux quotidien américain est de toute évidence sans sérieux rapport avec la réalité. Les « Démocrates suédois » qui ont surgi récemment se sont développé dans un pays au passé politique impeccable. Il vaut mieux regarder aux racines communes et nouvelles de cette potentielle dérive à droite en Europe et aux États-Unis. Et ce qui se passe en Italie demande une analyse un peu plus focalisée sur les dynamiques internes.
Quelle dynamique politique?
L’Italie d’aujourd’hui, malgré tous ses problèmes, politiques et surtout économiques, n’a rien à voir avec l’Italie d’il y a un siècle et si on veut trouver un rapport entre le parti de Mme Meloni et un précédent, on pourrait penser plutôt au Rassemblement national français. Avec une différence importante. Le parti Fratelli d’Italia est une formation politique récente, née en 2012 d’une scission du parti de Berlusconi, qui ne valait que 4% aux dernières élections politique de 2018.
La croissance exponentielle des toutes dernières années est due à la personnalité de sa dirigeante et à l’offre politique qui a été proposée aux électeurs par les partis. Giorgia Meloni est depuis plusieurs mois l’acteur politique qui jouit de la plus grande popularité auprès de l’opinion publique dans la péninsule – après l’actuel Premier ministre Mario Draghi, qui, lui, n’était pas candidat.
Il faut d’abord tenir compte du fait que la « coalition de centre droit » (Forza Italia, Ligue et FdI), à partir des élections européennes de 2019 et depuis dans tous les sondages, a été en tête quant à l’intention de vote des citoyens italiens, vis-à-vis d’une possible coalition de centre gauche. La droite n’a pas augmenté son nombre de suffrages exprimés dans les urnes par rapport aux sondages, mais ses électeurs ont déplacé leur choix, de la Ligue et du parti de Berlusconi vers Giorgia Meloni.
Il serait superficiel de croire à une droitisation du vote : le déplacement s’est fait à la faveur d’une personnalité politique qui a semblé plus attrayante aux électeurs déçus par Berlusconi et Salvini, et qui en outre représentait un choix nouveaux vis-à-vis des expériences politique récentes qui – à l’exception du gouvernement Draghi – n’ont pas trouvé le consentement des électeurs. Il serait d’ailleurs bien peu crédible de dire que Giorgia Meloni est l’expression de positions plus à droites que celle de Matteo Salvini, que l’on pense aux relations de ce dernier avec le parti de Vladimir Poutine et avec Victor Orban. La victoire de Meloni est une victoire personnelle, plus que celle de son parti. Une victoire qui tient aussi beaucoup à la faiblesse de tous ceux qui se sont opposés à elle pendant la campagne électorale qui a suivi la démission du gouvernement de Mario Draghi.
Enrico Letta a essayé de former une coalition alternative, qui aurait eu quelque chance d’empêcher la victoire de la droite. Mais la tâche s’est vite avérée impossible. Le Mouvement 5 étoiles, qui a connu depuis son triomphe en 2018 une chute radicale, a été à l’origine des démissions de Draghi que Letta avait soutenu avec force. En outre les positions radicales prises par son nouveau leader Giuseppe Conte n’en faisaient pas un partenaire fiable pour le secrétaire du Parti démocrate. De l’autre côté, le nouveau parti de centre de Calenda, ancien ministre du gouvernement Renzi, n’était pas prêt à une coalition avec le Parti démocrate qui avait accepté d’aller aux élections avec des petites formations de l’extrême gauche, ce qui aurait brouillé son image centriste. Or, dans un système électoral tel que celui en vigueur en Italie, dans lequel un peu plus d’un tiers des sièges parlementaires sont assignés grâce à un scrutin uninominal majoritaire à un tour, battre une coalition représente une tâche impossible pour des forces politiques qui se présentent divisées aux élections.
Et maintenant?
Une fois tourné la page du vote qui a donné à la droite une victoire attendue, il faut se poser deux questions à propos de ce qui va se passer nans l’avenir proche : celle de la formation de l’exécutif et celle du rapport du nouveau gouvernement notamment avec l’Union Européenne.
La première tâche n’est pas nécessairement la plus difficile. Giorgia Meloni doit faire le choix de ministres compétents et présentables en Europe et elle a déjà annoncé qu’elle fera, avec l’aide du président Mattarella, des choix raisonnables. Elle a tout intérêt à le faire, car il en va de la survie de son gouvernement. Certes, des tensions pourraient se produire avec ses partenaires de coalition. La Ligue notamment et son chef Salvini déçu par les résultats des élections pourraient exiger certains ministères qu’elle ne voudra pas lui assigner – notamment celui de l’Intérieur ; mais ces tensions n’empêcheront pas la mise en place de l’exécutif.
Plus difficile pour la nouvelle Première ministre sera l’effort de modifier sa réputation, notamment auprès des chancelleries européennes. Son atlantisme est bien établi. Mais les déclarations passées de Giorgia Meloni quant à son européisme sont pour le moins ambiguës. Étant la présidente du parti des Conservateurs européens, et maintenant la leader politique de la troisième nation de la zone euro et d’un des États fondateurs de l’Union, on comprend bien l’inquiétude de la majorité anti-souverainiste du Parlement européen devant un possible dérapage à droite de l’Italie.
Mais une chose est la rhétorique politique, une autre la réalité, et à bien des égards le souverainisme est une chimère en Europe. Par ailleurs les citoyens italiens sont largement favorables à l’Union et à la monnaie unique, et la prochaine Première ministre fera tout ce qui est nécessaire pour garder la confiance de ses électeurs (et des marchés), car justement un pays comme l’Italie avec sa dette publique faramineuse ne peut pas se passer de l’Union européenne, qui est en outre en train de l’aider. Ni le pays, ni la Première ministre ne sont animés de tendances suicidaires.
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