La réforme va-t-elle appauvrir les retraités? edit
C’est une petite musique qu’on entend chez les opposants à la réforme des retraites : le système par points ne fera que des perdants et conduira mécaniquement à un appauvrissement des retraités. « Une réforme des retraites synonyme de régression sociale. Comment qualifier autrement un texte qui fera une grande majorité de perdants parmi les quelques 20 millions d’actifs assujettis au régime général ? » (Fabien Roussel, en réponse au Point, le 17 janvier 2020). Ce sentiment n’est pas simplement exprimé par les leaders de la contestation, il est largement partagé les opposants anonymes (voir par exemple l’article de l’Express « On est tous perdants. Paroles de manifestants contre la réforme des retraites » 17/12/2019). En réalité, la question du niveau de vie des retraités et surtout de leur niveau de vie relatif dépend d’évolutions démographiques qu’on peut facilement anticiper et de décisions politiques sur le partage du revenu entre retraités et actifs qui sont en grande partie indépendantes de la réforme elle-même.
L’évolution démographique – le vieillissement de la population, la poursuite de l’arrivée à la retraite des générations de baby-boomers – est effectivement défavorable au maintien du pouvoir d’achat des retraités dans l’hypothèse où l’on maintiendrait constants le poids des dépenses de retraite dans le PIB et les principaux paramètres du système. Même si l’on envisage, comme le font Didier Blanchet et Fabrice Lenseigne dans un article récent[1], que l’âge de liquidation des droits à la retraite soit prolongé jusqu’à 64 ou 65 ans à terme, augmentant ainsi le taux d’activité, cela ne compenserait que partiellement l’effet démographique négatif. Les deux auteurs évaluent l’effet conjoint des deux évolutions (structure par âge et taux d’emploi) à une baisse de 5 points de niveau de vie à long terme. Si le poids des retraites dans le PIB reste le même (entre 13 et 14%), ce serait les retraités qui supporteraient cette baisse. En lui-même, le système par points ne change rien à ce constat mais il contribuerait à en répartir l’impact plus équitablement.
Néanmoins, la réforme envisagée contient une disposition qui est favorable aux retraités. Elle prévoit en effet de changer le mode d’indexation des retraites en revenant à une indexation sur les salaires qui avait été abandonnée en 1987. Or l’indexation sur les salaires est beaucoup plus favorable que l’indexation sur les prix qui prévaut aujourd’hui. Dans son rapport de 2019, le Conseil d’orientation des retraites estimait qu’une indexation sur les salaires dans son scénario central (scénario C, 1,3% de productivité et 7% de chômage et sans les réformes menées depuis les années 1990) aurait conduit à faire passer à l’horizon 2030 les dépenses de retraites dans le PIB à 19,4% (contre 13,6% avec indexation sur les prix). Ceci dit cette mesure n’est pas inhérente au système par points. Elle existait d’ailleurs dans le système actuel avant 1987.
Résumons : qu’on ait ou non engagé la réforme en cours, l’évolution démographique est défavorable au maintien du pouvoir d’achat relatif des retraités. Pour le maintenir il n’y a pas des milliers de solutions si l’on reste dans le cadre du système de répartition dans lequel les cotisations des actifs financent les pensions des retraités, les actifs-futurs retraités escomptant que les nouvelles générations d’actifs feront de même à l’avenir. Dans ce cadre, pour obtenir le résultat souhaité (maintenir le niveau de vie des retraités) il faut soit augmenter le poids des retraites dans le PIB (mais il est déjà très élevé), c’est-à-dire augmenter les cotisations et donc le prélèvement sur le salaire des actifs, soit modifier le rapport cotisants/retraités en repoussant l’âge de liquidation des droits, étant entendu qu’il y a plusieurs moyens d’obtenir ce dernier résultat et qu’on peut le moduler en fonction de paramètres individuels (dont la pénibilité).
La question de l’équité entre les générations
Finalement comme l’écrivent Jean-Hervé Lorenzi (Les Echos, 9 janvier 2020) ou Patrick Artus ce débat est celui de l’équité entre les générations. Il n’y a pas en effet sur la durée de « trésor caché » où trouver un financement pérenne qui permettrait de compenser les effets démographiques défavorables au maintien du niveau de vie relatif des retraités. La logique même du système de répartition auquel tout le monde se dit attaché est celle de la solidarité entre les générations. Ponctionner davantage les actifs au bénéfice des retraités est un choix politique aux conséquences assez lourdes en termes d’équité entre générations. On peut d’ailleurs se demander par quels moyens il pourrait trouver une légitimité démocratique.
La question politique des retraites est d’autant plus complexe qu’elle mêle des effets d’âge et des effets de génération. Des effets d’âge parce que, évidemment, tout le monde sera un jour ou l’autre retraité. Sur ce point il y a une communauté de destin. Mais y-a-t-il pour autant une communauté d’intérêts ? On peut en douter car les retraités actuels ont certainement une conscience claire de leurs intérêts de retraités. Ils partagent tous une condition commune qui a effacé en partie leurs identités professionnelles. Les actifs, et surtout les jeunes, ont bien du mal à se projeter comme futurs retraités et à envisager quels seraient leurs intérêts à un horizon de quarante ou cinquante ans. Les jeunes ont d’ailleurs été très peu présents (à part quelques groupes politisés) dans le débat et la contestation actuelle, comme si le sujet ne les concernait pas.
Les retraités forment donc un groupe de pression politique beaucoup plus conscient de ses intérêts que les jeunes actifs futurs retraités. Ces derniers peuvent pourtant être impactés par les réformes du système soit comme cotisants, soit comme futurs retraités si la pérennité du système vient à être mise en cause en portant atteinte à sa crédibilité et à sa solidité financière.
Mais, en réalité le débat d’équité générationnelle se pose surtout entre actifs : les jeunes actifs d’un côté et les actifs âgés de l’autre, assez proches de l’âge de la retraite. On comprend facilement que ces derniers soient a priori défavorables aux mesures visant à repousser l’âge de départ ; ces mesures qui les contraignent à travailler plus longtemps visent à assurer l’équilibre financier du système mais ces actifs proches de la retraite n’en tirent aucun bénéfice immédiat puisque leur carrière est presque achevée et leurs droits connus. On peut tenter de les inciter à accepter ce désavantage en leur octroyant une surcote qui améliore leur niveau de retraite. Encore faut-il que cette surcote soit suffisamment attractive.
Les jeunes actifs, à l’inverse, devraient être plus favorables aux mesures qui visent à assurer la pérennité financière du système sans accroître les prélèvements, c’est-à-dire aux mesures d’âge. En effet, la question cruciale pour eux est celle de la crédibilité et de la solidité du système : en tant que jeune actif puis-je avoir confiance dans le fait que le système sera pérenne et m’assurera un niveau de retraite décent ? Certes, si pour atteindre cet objectif des mesures d’âge sont prises, ils en seront eux-mêmes affectés à l’avenir et devront prolonger leur carrière. Mais en termes d’équité générationnelle le bon indicateur n’est pas l’âge de départ, mais la durée de vie (et peut-être plutôt la durée de vie en bonne santé) à la retraite. Si l’espérance de vie continue de progresser, ces jeunes actifs pourraient avoir une durée de vie à la retraite équivalente à celle des jeunes retraités actuels, même en cessant plus tard de travailler. La difficulté de ce débat générationnel qui explique sans doute qu’il n’ait pas eu lieu, est que la visibilité de l’enjeu est claire et presque immédiate pour les actifs âgés alors qu’elle est très floue pour les jeunes.
Néanmoins le débat public aurait pu tenter d’éclairer ces enjeux générationnels sans doute mieux que cela n’a été fait. Les jeunes ont été en réalité les grands absents du débat sur les retraites. Sur le plan démocratique c’est bien dommage, car il aurait fallu entendre leur point de vue qui ne serait pas forcément le même que celui des actifs plus âgés dont une partie notable s’est dressée contre la réforme.
[1] « Croissance économique et pouvoir d’achat des ménages en France : les principales évolutions depuis 1960 », Economie et statistique n° 510-511-512, 2019, p. 55-70.
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